Placebo ou, plus exactement, Brian Molko. Difficile de faire mieux, pour le leader d’un des groupes rock anglais les plus en vogue du moment. Chanter, voire crier la révolte avec une voix unique et un style extrêmement léché, fait de lui le digne successeur, et ce n’est pas peu dire, de David Bowie lorsqu’il développait la fascinante facette de Ziggy Stardust.
Brian Molko, dès la sortie, en 1996, de l’album éponyme du groupe, a cependant accentué les traits de l’androgyne aux yeux vairons des années 70: Nancy Boy, le premier 45 tours de l’album, a eu un succès fulgurant en Angleterre. Sujet développé: un «escort boy» homosexuel. Extrait des paroles: «Since I was born I started to decay» (Depuis ma naissance, je tombe en décadence). Le tout interprété avec la voix métallique de Brian Molko, alors âgé de 23 ans, tout à fait conscient de son image sulfureuse – alors que le groupe émergeait à peine de la scène anglaise, les journalistes qui l’ont rencontré ont d’abord pris le chanteur pour une femme – et devenant instantanément une star, au sens le plus rock du terme. Un modèle, un exemple, un étendard pour une jeunesse en mal de repères, flirtant avec les drogues et les amours éphémères, cherchant une sexualité sans barrière. Voilà l’effet Placebo, tel qu’il se développe à la vitesse de la lumière depuis huit ans.
L’androgyne sous substances, alcools et autres nuits blanches, a opéré un virage de maturité avec la sortie de Sleeping With Ghosts, en 2003. Beaucoup plus intimiste dans la thématique, peut-être plus amer, mais aussi beaucoup plus investi par la musique électronique, l’album propulse les trois membres du groupe, avec le guitariste Stefan Olsdal et le batteur Steve Hewitt, dans la grande industrie du disque (Virgin est désormais leur maison de production). Brian Molko, interrogé quelques heures avant son concert, évoque, dans un français impeccable, à peine teinté d’un accent londonien, l’ajout d’un disque de reprises et d’inédits. «Ce “repackaging” est courant pour les maisons de disques. Mais on ne voulait pas que ce soit une arnaque pour les fans: il fallait leur donner quelque chose de spécial. Nous avons donc repris nos chansons préférées des dix dernières années, mais comme celles-ci étaient déjà disponibles sur le Net, nous avons ajouté des inédits. Pour nous, c’est impossible d’être plus intéressés par le fric que par l’art.»
Première bougie et
mauvaise gueule
Le contact avec le public, l’une des grandes forces de Placebo, en tournée quasi perpétuelle depuis bientôt trois ans. D’ailleurs, dès leur arrivée à Beyrouth, les trois artistes, en provenance du festival allemand Southside et en partance pour les Eurockéennes de Belfort, ont passé, contrairement aux rumeurs, la plupart du temps à se reposer dans leur hôtel – du moins pour la version officielle. Avec une incursion, pour Brian Molko, à Beyrouth, du côté du palais de l’Unesco, histoire de retrouver l’appartement où il a vécu la première année de sa vie, quand son père, financier, était en poste dans la capitale. «J’y ai soufflé ma première bougie avant de m’en aller, raconte-t-il avec un éternel sourire de Joconde. Je n’ai donc vraiment pas de souvenirs de cette période, ni de photos d’ailleurs.» Voilà pour les attaches libanaises, c’est dire si elles sont ténues. Questionné ensuite sur son lien avec la culture française, il explique qu’elle lui est «très facile et très naturelle». «C’est une culture avec laquelle j’ai grandi. Pour ce qui est de la culture anglaise, je me rattrape.»
Retour aux tournées – Placebo, pour les besoins de la promotion de Sleeping With Ghosts, se produit en public, depuis plus d’un an et aux quatre coins du monde, près de trois fois par semaine. Une performance énorme. Et réponse de Brian Molko: «Nous sommes de la vieille école sur ce sujet, celle des U2 par exemple. Rester le plus de temps sur scène, c’est notre manière d’être très loyaux vis-à-vis de nos fans. » Il continue sur sa lancée en ajoutant: «C’est une bénédiction de faire ce que nous faisons. Si nous avions une mauvaise gueule, on pourrait se plaindre. Nous apprécions la vie particulière que nous menons, qui nous permet de faire des rencontres énormes, de visiter des pays que l’on ne connaît pas. Je ne vois pas d’autre métier qui puisse exposer à autant de choses.»
Serge Gainsbourg
et cigarettes
Brian Molko a tout sauf une mauvaise gueule. L’accueil du public en dit d’ailleurs long sur un homme qui assume à merveille la femme qui vit en lui, comme le prouve l’excitante reprise, en duo avec Asia Argento, de Je t’aime, moi non plus, présente sur l’album Positions (Discograph, 2002) de Trash Palace. Brian Molko y chante les paroles de Jane Birkin, et sa partenaire, celle de Serge Gainsbourg. «C’est toujours très agréable de travailler avec des gens qu’on connaît. Le tout s’est fait chez moi en une demi-heure, tandis qu’Asia Argento enregistrait sa partie à Rome. Ça ressemblait étrangement à du sexe par téléphone, mais très frustrant.»
Sur scène comme devant la presse, qu’il accueille avec une politesse aussi avenante que détachée, un mélange typiquement «molkoien», le chanteur à la voix affûtée se donne et se retient tout à la fois, proche et lointaine icône, très peu bête de scène, mais pourvue, et cela est rarissime, d’une très forte aura. Avec une grande économie de gestes et d’attitudes (compensés par ceux de Stefan Olsdal, homosexuel assumé qui n’hésite pas à offrir, avec «homo» écrit en rouge sur son torse nu et «sapiens » sur son dos, de grands moments de «gay dancing»), Brian Molko mise presque tout sur les inflexions de sa voix, qui ne semble pas être atteinte par les nombreuses cigarettes que le chanteur allume sur scène.
Une scène constamment reliée à l’espace assiégé, à Byblos, par plus de 6000 personnes, grâce à un éclairage qui les illumine avec la même intensité. Pendant quelques fractions de seconde, les fans ont la vision d’être sur scène, écrasés de lumière, et que leurs idoles les applaudissent. Terriblement efficace. Concédant à la foule un second rappel, les trois musiciens se retirent, visiblement fatigués, après que Stefan Olsdal s’est jeté, contre toute attente, dans le public. Une coutume dans les mégaconcerts rock occidentaux qui a légèrement blessé trois personnes à Byblos. Les risques du métier, inhérents au fan du tout premier rang.
La venue inespérée au Liban d’un groupe en pleine gloire comme Placebo – entendre par là ni sur le déclin ni médiocre, deux boulets que balancent assez régulièrement sur le public certains pseudo-festivals en manque d’inspiration et de goût musical – ouvrira, on l’espère en allumant des cierges, la porte au rock comme on l’aime, jusque-là trop injustement négligé.
Diala GEMAYEL
Veuillez vous connecter pour visualiser les résultats
Les plus commentés
« Avant, je pensais que la résistance nous protégeait... » : à Tyr, la colère gronde
Qui se cache derrière le tir de roquettes contre Israël ?
Fadlallah : Israël profite de la faiblesse de l'État