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Actualités - REPORTAGE

Le Lycée et l’école des Sœurs antonines se partagent les élèves francophones du caza de Nabatiyeh La langue de Molière, un gage d’avenir pour les enfants du Liban-Sud

« J’apprends aujourd’hui le français et je voudrais, quand je serais grande, l’enseigner aux enfants de la région. » Zeina a une dizaine d’années et elle rougit sous le voile qui lui encadre strictement le visage. D’abord très impressionnée, voire effrayée, d’être convoquée chez Mme la proviseur, elle ne se détend un peu que pour parler de ses études et du français, cette langue qu’elle adore, même si elle n’a pas l’occasion de la pratiquer à la maison. Zeina habite Habbouche et elle est l’une des 805 élèves du Lycée français ouvert il y a sept ans dans le village. Entre le Lycée et l’école des Sœurs antonines à Nabatyieh, ils sont plus de 3500 élèves à faire leurs études en français dans le caza, car, pour eux et pour leurs parents, c’est plus qu’une langue, une véritable somme de valeurs et un passeport pour un avenir meilleur. La tempête des élections municipales s’est apaisée et le caza de Nabatiyeh a repris son train-train quotidien. Le paysage vallonné est doux et verdoyant comme une aquarelle. À dix jours des vacances scolaires d’été, l’ambiance est plutôt à la nostalgie. Les élèves des deux grandes écoles francophones du caza, celle des Sœurs antonines – qui a fêté l’an dernier son jubilé d’or – et le Lycée franco-libanais, ouvert en 1997, sont tristes de ne plus avoir de classe, tant ils aiment l’atmosphère scolaire et ce qu’ils apprennent. C’est d’ailleurs étonnant de voir qu’au cœur du Sud profond, des enfants de quatre à dix-sept ans ne voient leur avenir qu’en français. L’école des Sœurs, dans le prolongement du quartier chrétien de Nabatiyeh – qui, soit dit en passant se réduit comme une peau de chagrin –, abrite 2350 élèves, alors que le Lycée, lui, en compte 805. Les élèves appartiennent dans leur grande majorité à la confession chiite et, si certains d’entre eux ont des parents francophones expatriés en Afrique, la plupart viennent de familles totalement arabophones. Les deux écoles, celle des Sœurs préparant au bac libanais, alors que le Lycée donne une formation de bac français, pensent d’ailleurs que le nombre des élèves doit augmenter, tant les demandes sont nombreuses, même si la sélection reste stricte. Des familles prêtes à tout pour le français Dans le caza, même si nul n’utilise le français dans la vie courante, tout le monde considère cette langue comme un nouvel horizon et le passeport pour un avenir meilleur. C’est d’ailleurs touchant de voir que, malgré l’ouverture récente de l’école du Hezbollah et l’existence de plusieurs écoles relevant du mouvement Amal, sans parler des écoles publiques, les familles appartenant à la classe moyenne tiennent à inscrire leurs enfants dans les écoles francophones. Même si les scolarités y sont plus chères, ces familles sont prêtes à tout pour donner un bagage francophone à leurs enfants. Certaines préfèrent la tradition et les règles strictes de l’école des Sœurs, qui est en quelque sorte un gage de moralité, alors que d’autres sont séduites par la laïcité affichée et le bâtiment neuf, qui ressemble à un véritable campus, du Lycée. Même si elles ont des parcours et des identités différentes, les deux écoles se partagent l’univers scolaire francophone du caza. Pour l’école des Sœurs, qui aujourd’hui, semble un élément important du paysage de Nabatiyeh, tout n’a pourtant pas toujours été rose. La mère supérieure, sœur Jérôme, une petite femme alerte au sourire bienveillant, a vécu des moments très durs dans son école, pendant les années de guerre. Même si elle n’aime pas trop les évoquer, elle a toujours une pensée émue pour le président de la Chambre, Nabih Berry, qui s’est tenu aux côtés de l’école pendant les épreuves. Bien qu’originaire de Majdel Méouch, sœur Jérôme a été en poste à l’école de Nabatiyeh de 1986 à 1993, avant de revenir en tant que directrice en 1998. En feuilletant les albums aux photos jaunies et parfois écornées, elle égrène quelques souvenirs. « Lorsque la congrégation a décidé d’ouvrir une école à Nabatiyeh, le quartier chrétien était bien plus important que les quelques maisons que vous voyez maintenant. Il y avait une telle demande qu’il semblait nécessaire d’ouvrir une telle mission. Nous avons commencé dans des maisons louées, avant d’acheter le terrain et d’entreprendre la construction des bâtiments. En 1953, nous avions 250 élèves et nous étions la première école mixte du quartier. Nous faisions même office de garderie et de pensionnat. Les parents déposaient leurs nouveau-nés chez nous, avant de s’envoler vers l’Afrique. » Sœur Jérôme regarde ainsi avec émotion la photo en noir et blanc d’un couffin dans l’un des salons de l’école. « Il vient nous voir de temps en temps. Il est devenu un notable de la région » , dit-elle, attendrie. L’école des Sœurs, un refuge et un phare Il est même arrivé qu’un bébé soit déposé devant la porte de l’école. Les sœurs n’ont jamais su par qui, mais elles ont pris en charge la petite fille, l’ont appelée Salam et l’ont gardée pendant des années, avant qu’elle ne soit adoptée par une famille. « Cette école est un recours pour tous les habitants de la région. Pendant les années noires, tous ceux qui avaient un disparu venaient chez nous pour qu’on les aide à le retrouver. Tous ceux aussi qui fuyaient les bombardements, ou dont les maisons avaient été endommagées, se sont réfugiés un temps chez nous. L’école était plus qu’un bâtiment pour les enfants, elle était devenue un phare et un refuge. » C’est sans doute ce rôle que certains n’ont pas supporté. En avril 1987, à la veille de la fête de Pâques, des extrémistes occupent l’école et les miliciens d’Amal se postent en face d’eux, pour tenter de les déloger. Les sœurs se sont réfugiées chez les instituteurs habitant la région et, finalement, les extrémistes sont partis, et l’école a pu rouvrir ses portes, pour redevenir un symbole de culture et de convivialité. Avec une écrasante majorité d’élèves musulmans, l’école ne donne pas d’instruction religieuse et l’église ne sert qu’aux sœurs elles-mêmes. Mais cela ne signifie nullement qu’elles doivent cacher les signes de leur appartenance religieuse. Concrétisant à merveille la ligne adoptée par le pape Jean-Paul II, qui a toujours insisté sur la présence chrétienne dans les lieux mixtes, les sœurs sont convaincues de la nécessité de garder leur école ouverte. Aujourd’hui, la vague extrémiste a d’ailleurs quitté le Liban, et les notables de la région considèrent les sœurs comme un bien précieux, qu’il faut protéger et honorer. Ils viennent d’ailleurs présenter leurs vœux à toutes les fêtes chrétiennes et les sœurs entretiennent des rapports très cordiaux avec les différentes formations présentes dans la région, à leur tête Amal et son chef, qui, d’ailleurs, lors de la cérémonie du cinquantième anniversaire de l’école, leur a rendu un vibrant hommage pour « veiller sur des générations de jeunes de Nabatiyeh et de ses environs ». Au fil des années, l’école n’a cessé de s’agrandir, avec de nouveaux bâtiments. Un notamment pour la garderie, voire la pouponnière, de nouvelles cours et des terrains de jeux. En plus des études, l’école peut ainsi organiser des activités de loisirs pour les élèves, toujours dans un esprit éducatif. Ce qui ne peut qu’augmenter l’attachement des élèves à leur institution scolaire. Quel que soit leur âge, ils portent tous l’uniforme scolaire et se lèvent respectueusement à l’entrée de sœur Jérôme. On se croirait presque dans une école religieuse du début du siècle dernier. Les couloirs, les classes et même les toilettes sont d’une propreté irréprochable, les sœurs étant très strictes sur les questions d’hygiène, et sur la discipline, apparemment sévère, mais sans contrainte, ni atmosphère de peur. À l’école des Sœurs, on ne cherche pas à terroriser l’enfant, mais à lui inculquer les principes de respect de l’autre, de l’autorité en général, ainsi que la tolérance. Moralité, excellence académique et valeurs Dans la cour de récréation, les adolescents ressemblent à ceux des autres écoles, où l’uniforme est de rigueur sans être toutefois très strict. Certaines filles sont voilées, d’autres pas, mais il n’y a aucun excès apparent, ni dans un sens ni dans l’autre. Même pendant les années de guerre, la mixité n’a jamais été remise en question. Au contraire, selon sœur Jérôme, les parents y tiennent beaucoup, tout comme ils comptent sur la formation parascolaire donnée aux élèves. Apparemment, les parents musulmans souhaitent inscrire leurs enfants dans cette école chrétienne. « Chez nous, ils savent que leurs enfants sont pris en charge. Nous laissons aux familles le soin d’apprendre la religion, mais nous donnons aux enfants un mode de vie et des valeurs qui devraient les accompagner tout au long de leur vie » , précise sœur Jérôme. Le slogan de l’école : « Moralité, excellence académique et valeurs ». De quoi séduire les habitants du caza de Nabatiyeh, qui continuent à inscrire leurs enfants dans cette école. Et, si parfois, les moyens font défaut, les sœurs ont un système d’aide qui touche essentiellement les familles nombreuses. Selon sœur Jérôme, l’école a connu son apogée après les années de guerre, avec 3300 élèves. C’est comme si tous les habitants du coin souhaitaient inscrire leurs enfants dans une école francophone. « Le français pour eux, c’est plus que la part du rêve, c’est l’avenir qui s’ouvre » , précise la supérieure. Une sorte de promotion sociale pour les familles qui misent tout sur l’éducation de leurs enfants, car, dans le caza de Nabatiyeh, la société est encore conservatrice et tient à garder ses valeurs. C’est pourquoi l’éducation des enfants reste une priorité. Il faut ajouter à cela le retour au Sud, dès 2000, de nombreux émigrés en Afrique, souvent francophones et désireux que leurs enfants fassent leurs études dans la langue de Molière. Mais s’ils ont la nationalité française, les parents envoient leurs enfants au Lycée. C’est ce qui a fait perdre à l’école des Sœurs une partie de ses élèves, au profit de l’établissement ouvert par la Mission laïque française. L’ouverture du Lycée, une volonté politique de la France C’est d’ailleurs à cause de la demande que cette Mission a décidé d’ouvrir un Lycée dans le coin. C’était bien sûr une décision politique de la part de la France, d’autant que le Lycée a ouvert ses portes en 1997, à Habbouche, sur le flanc d’une montagne qui faisait face aux positions israéliennes. Le site est d’ailleurs assez impressionnant. Même aujourd’hui, quatre ans après la libération et, alors que le calme règne, cet ensemble de bâtiments isolés et bien exposé a quelque chose d’angoissant. Mme la proviseur, Noëlle Delhomme, rit des appréhensions des visiteurs. Énergique, déterminée, c’est elle qui a choisi d’être nommée dans ce Lycée, et elle n’a qu’une envie: renouveler son mandat lorsqu’il viendra à terme. « C’est très intéressant d’être là, dit-elle. Nous avons 805 élèves et, depuis 1997, nous n’avons pas eu le moindre incident. Au contraire, la population est très attachée à cet établissement. Cette année, nous aurons notre première promotion : 13 élèves qui, je l’espère, auront de bons résultats au bac. Car, ici, nous préparons les étudiants au bac français.» Selon elle, ce n’est nullement un handicap. Au contraire, les parents soucieux de donner toutes les chances de réussite à leurs enfants, préfèrent qu’ils passent le bac français parce qu’il leur ouvre les portes des universités françaises. Selon Mme Delhomme, les enfants des francophones d’Afrique sont minoritaires au Lycée, la grande majorité des élèves ayant des parents arabophones ou parlant un peu le français. Mais ici, tout le monde semble attaché à cette langue. Les élèves viennent de tous les villages de la région et même de Saïda et de Tyr, mais la plupart d’entre eux sont de Nabatiyeh. L’ouverture de ce Lycée en 1997 a été d’ailleurs un événement pour la région et les habitants ont bien compris l’enjeu politique que cela représentait pour la France, qui a d’ailleurs procédé à un montage politico-diplomatique pour que cet établissement soit à la fois rattaché aux Affaires étrangères et à la Mission laïque française. Moins machos qu’au Texas Mais l’ouverture de ce Lycée a, aussi, surtout, une dimension socio-éducative. Les parents sont autant séduits par la laïcité de l’école que par le fait qu’elle est sous le contrôle direct de la France. Pour eux, c’est comme un label de qualité et de garantie pour l’avenir. Le respect que les habitants de la région portent à la langue française et aux francophones a quelque chose d’émouvant. Mme Delhomme ne serait pas la dernière à le dire. De par sa fonction, elle est souvent appelée à participer à des réunions ou doit répondre à des invitations à déjeuner, où la plupart des convives sont des hommes. Elle confie : « Le plus souvent c’est moi qui suis la plus embarrassée. » Mais cette femme, pleine d’humour, a l’expérience des milieux machistes puisqu’elle a été en poste au Texas pendant des années. « Et, croyez-moi, là bas, c’est autre chose. Les hommes sont vraiment machos. La situation, ici, n’a rien à voir. » Mme Delhomme est pleine de respect pour les traditions de la région, mais le Lycée étant une école laïque, il n’y a aucune pratique religieuse sous son toit. Pourtant, les élèves filles peuvent venir voilées ou non, la direction n’intervient pas dans ce domaine, exigeant simplement des tenues vestimentaires décentes. Entre eux, les élèves parlent de tout, des élections municipales de la religion, de politique en général, mais le ton reste dans les limites de la politesse. Les professeurs évitent les thèmes qui pourraient provoquer des controverses, mais cherchent essentiellement à apprendre à leurs élèves que tous les choix sont respectables du moment qu’ils sont le fruit d’une conviction et qu’il est nécessaire de s’accepter les uns les autres. C’est en quelque sorte un apprentissage au système démocratique. Parents et élèves, tout le monde semble satisfait de la formation donnée au Lycée. Le seul problème rencontré par la direction est le refus des parents de laisser redoubler leur enfant. « Pour eux, c’est une honte et ils refusent totalement que leurs enfants redoublent, quitte à les changer d’établissement » , déclare Mme Delhomme, qui reconnaît que les élèves du Lycée appartiennent à une certaine classe sociale, les parents étant généralement des médecins, des pharmaciens, des avocats, bref des membres de professions libérales. « Ici, la cellule familiale est très solide, précise la proviseur. Et les parents sont très concernés par l’éducation de leurs enfants. Ils viennent à toutes les réunions, participent activement et sont toujours très respectueux. » Ils sont surtout très fiers de voir leurs enfants s’exprimer en français, comme si à travers leurs enfants ils réalisaient un rêve ou leur assuraient une sorte de promotion sociale. Pourtant, la plupart des élèves interrogés affirment qu’ils ne parlent pas le français à la maison et ils doivent se débrouiller tout seuls pour leurs devoirs ou alors avec l’aide de leçons particulières. Mais il ne viendrait à l’esprit d’aucun d’eux de négliger le cours de français. Cette langue, c’est sacré. Mais ce n’est pas seulement cela qui séduit les élèves du lycée. Rim, inscrite au Lycée depuis la septième, est très attachée à son école. « Elle m’a aidée à renforcer ma personnalité. Au fil des années, je me suis découverte moi-même. Je rêve d’aller en France, de poursuivre mes études universitaires là-bas, mais je reviendrai travailler ici, pour appliquer tout ce que j’ai appris. Je suis musulmane mais je ne me sens pas différente des chrétiens. Au Lycée, on apprend la tolérance, l’ouverture, le dialogue. Tout cela, c’est un peu comme si on était en France, tout en rentrant le soir à la maison retrouver nos traditions. » Rim et ses compagnons s’intéressent à la politique et ont beaucoup parlé des élections municipales, mais dans la cour de récréation et sans jamais hausser le ton. La seule discussion animée se déroule régulièrement avec le seul élève communiste de l’école. Les autres élèves ne peuvent pas comprendre qu’il ne croit pas en Dieu, et lui se lance dans des explications qui soulèvent des polémiques. Mme la proviseur observe la cour de son bureau. Elle aime voir ses élèves discuter entre eux. Parfois, elle fait elle-même sa petite tournée et l’atmosphère est toujours amicale et courtoise. Dans la cafétéria, au labo ou dans les classes ensoleillées, c’est un nouveau Sud qui se dessine, résolument francophone, mais attaché à ses traditions. Un mélange qui annonce un avenir optimiste, où les jeunes veulent prendre le meilleur des deux cultures, des deux mondes, pour édifier un pays à l’atmosphère plus respirable. Scarlett HADDAD

« J’apprends aujourd’hui le français et je voudrais, quand je serais grande, l’enseigner aux enfants de la région. » Zeina a une dizaine d’années et elle rougit sous le voile qui lui encadre strictement le visage. D’abord très impressionnée, voire effrayée, d’être convoquée chez Mme la proviseur, elle ne se détend un peu que pour parler de ses études et du français,...