En France, à deux semaines du prochain Tour, c’est le séisme. On ne parle que du cas Lance Armstrong. Il serait addict à la dope, depuis des années.
Grande nouvelle, vraiment ! Comme si on pouvait courir par monts et par vaux pendant trois semaines, franchir des cols de 18 % à des altitudes de 2 500 mètres, couvrir des étapes de 200 km, faire en tout quelque 3 000 km (pour ainsi dire un Paris-Beyrouth), à une moyenne frisant les 40 km/heure (plus de 50, dans les contre-la-montre), sans se remonter un peu le moral. À l’EPO, ou à la transfusion sanguine. Qui revient à la mode depuis que le dépistage des nouveaux produits a fait de sensibles progrès.
À ce propos, une enquête récente montre que lors des contrôles ordinaires, qui interviennent durant les épreuves elles-mêmes, le taux d’inculpation ne dépasse pas les 7 %. Alors qu’il est de 57 % quand il y a une inspection surprise, en amont, bien avant une course, quand les coureurs n’ont pas encore interrompu leurs injections, pour laisser le corps éliminer les traces des produits interdits. Et que leur taux d’hématocrite ne dépasse pas les 45 %.
D’ailleurs, selon son ancienne soigneuse qui le dénonce, Lance Armstrong avait si bien récupéré, une fois, que ce taux était tombé à 41 %, ce qui était trop peu. Il l’aurait alors rassurée en lui indiquant qu’il savait comment s’y prendre pour retrouver des forces... En fait, selon un ancien médecin du Tour, le champion se trompait, scientifiquement. À 41 %, à condition que cela soit après dégazage, le système hémato-musculaire n’a pas perdu de son énergie aussi supplémentaire qu’artificielle.
Le dopage, une bombe
à retardement
Ce ne sont là, en réalité, que des détails oiseux. Il est en effet de notoriété publique que dès les premières épreuves ou presque, les forçats de la route, comme les a appelés Albert Londres, se shootaient à l’absinthe, liqueur du pauvre. Le fameux sorcier vert de Verlaine ou l’Assommoir de Zola, interdit il y a un siècle parce qu’il fauchait par pleins tombereaux les ch’timis, les mineurs du Nord, ou les métallos parigots et les canuts lyonnais.
Répétons-le : il n’est humainement pas possible de faire du cyclisme professionnel en restant clean. Tous les grands champions, ou presque, une fois sortis de l’auberge, finissent par avouer.
Le problème est cependant très difficile à résoudre. À cause, évidemment, des enjeux commerciaux ou financiers. Mais aussi, un peu paradoxalement, du fait que le dopage est surtout une bombe à retardement. Contraitrement à ce que l’on voit sur les stades de foot, où les jeunes joueurs tombent soudain raides morts comme des mouches (trois, tout récemment), il fait peu de victimes immédiates parmi les cyclistes, dont le traitement est plus étudié. Ainsi, on parle encore aujourd’hui de Tom Simpson, dont la mort en bord de route remonte à 1967. Par contre, force est de constater qu’il y a peu d’anciens hauts de gamme qui vivent plus qu’une cinquantaine d’années. Alors que l’espérance de vie de l’humanité entière flirte désormais avec les 70. Copi, Anquetil, Bobet, entre mille autres, n’auront pas eu la joie hugolienne d’être grands-papas : partis avant l’heure.
Bref, on fait tout, depuis de longues années pour étouffer l’éternel scandale. Quand Miguel Indurain, cinq fois couronné, abandonne son dernier tour suite à une braque défaillance, on fait semblant de croire à une simple fringale qui l’aurait saisi. Alors même que dans la montée, il n’avait cessé de croquer des biscuits. Même la tragédie d’un Pantani, mort pour les autres pour ainsi dire, ne semble pas suffire pour que l’on tire vraiment la sonnette d’alarme.
Les raisons
Pourquoi ce rideau de fer, ce mur du silence ? D’abord, et surtout, parce que vox populi, vox dei, le public ne veut rien savoir. Il lui faut ses jeux de cirque. Comme les fameuses images de Josepa Beloki tombant dans une descente et de Lance Armstrong, surpris, coupant le vallon, pieds raclant les branches mortes. Le sportif de salon est intox à la Grande Boucle. Il s’y précipite, la suit parfois tout entière ou se plante face à ses écrans télés, pour vibrer avec Virenque, tout en faisant (grâce surtout aux hélicams) du supertourisme. Des paysages splendides, des châteaux, des lacs, la mer, les champs, des chevaux qui coursent le Tour, de belles filles. Et ce petit garçon fauché l’an dernier par un véhicule du Tour, qui ne s’en est pas arrêté pour autant.
Les sponsors y vont donc à pleines poignées de fric. Et on ne peut en faire une boulette. Tout comme on ne peut se passer, du moins pas encore, de Lance Armstrong. Tout l’intérêt de la prochaine édition est en effet de savoir s’il va pouvoir être le premier à franchir la barre des cinq victoires pour atteindre les six, comme Bubka à la perche. Non seulement il serait le seul à cette hauteur mais également il serait le seul à avoir apposé sa marque sans solution de continuité, d’une manière consécutive. De plus, Armstrong a un statut spécial. Il est, du fait de sa domination, reconnu comme régulateur par ses pairs. L’équivalent d’un capitaine en équipe de football. C’est lui qui décide comment les innombrables primes vont être réparties entre les équipes. C’est lui qui délivre, ou non, des bons de sortie pour échappées. C’est lui qui négocie avec les organisateurs. Qui ne peuvent pas l’écarter, même s’il était inculpé, comme ils l’avaient fait pour Cippolini ou pour le grand Pantani lui-même.
Il reste cependant que, sous la pression, il y a de fortes chances, ou de forts risques (selon que l’on soit contre Armstrong ou avec lui) qu’il ne réussisse pas le sextuplé. Et c’est peut-être pourquoi Jan Ullrich, son éternel rival, domine actuellement dans le tour de Suisse préparatoire.
En conclusion, comme beaucoup le demandent, le dopage étant inévitable, il s’agit de mieux l’organiser. Pour aider les coureurs à l’endurance plutôt qu’à la performance brute. Un soft package en somme. Qui aurait l’avantage, vital, de ne pas trop attaquer leur santé. Et de leur permettre de vivre au-delà des cinquante ans...
Jean ISSA
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Grande nouvelle, vraiment ! Comme si on pouvait courir par monts et par vaux pendant trois semaines, franchir des cols de 18 % à des altitudes de 2 500 mètres, couvrir des étapes de 200 km, faire en tout quelque 3 000 km (pour ainsi dire un Paris-Beyrouth), à une moyenne frisant les 40 km/heure (plus de 50, dans les contre-la-montre), sans se remonter un peu le moral. À l’EPO, ou à la transfusion sanguine. Qui revient à la mode depuis que le dépistage des nouveaux produits a fait de sensibles progrès.
À ce propos, une enquête récente montre que lors des contrôles ordinaires, qui interviennent durant les épreuves elles-mêmes, le taux d’inculpation ne dépasse pas...