« Méfiez-vous. Toutes les idées générales sont fausses. Et cela même est une idée générale. »
(Alain)
Donc, l’œil myope de l’humain ne peut pas plus distinguer le vrai du faux que l’ivraie de la faux.
Bizarre, comme la vie nous bluffe. Comme elle est illogique, irrationnelle. Quel tas fumeux de postulats idiots elle nous inflige. Sous forme de conventions jamais discutées.
Tenez, le veau d’or. L’emblème même du matérialisme. Et pourtant, regardez, on n’en voit pas le socle : il est purement immatériel ! Comment cela ? Simple comme bonjour, explique un orfèvre en la matière, un financier de mes amis (on a les fréquentations qu’on peut). Deux quantités égales à une troisième étant égales entre elles, la confiance, quintessence de l’intangible, aboutit au crédit, au fric palpable, via la crédibilité, leur mur mitoyen. Le troisième larron de foire. Ça, c’est l’idée générale… Fausse commune.
Car en fait, il y a souvent un quatrième mousquetaire dissimulé derrière les tentures : la crédulité, fille de dame confiance. Héritière putative des traites, crétine ou géniale, candide ou intéressée. Selon qu’elle est sincère ou simulée. Ma-dame Bonacieux ou Mi-lady de Winter. Et qui, et que, croyez-vous qu’elle soit dans le pitoyable cas libanais ?
Comment imaginer un seul instant que l’on continue à prêter au Liban, ou à surseoir à ses échéances par le swap, parce qu’il est solvable ? À trente-cinq milliards de dollars, pour un pays de trois millions et demi d’âmes, ça fait le nouveau-né, le moribond et le reste, endettés de 10 000 dollars. Vas-y, rembourse. Ta pièce ne vaut rien. Et ta piécette encore moins.
Pour moins que cela, toutes proportions gardées, l’Argentine (et bien avant elle ce Brésil aujourd’hui florissant) a frisé la mise en faillite. Personne ne nous en menace. Pourquoi cette mansuétude, par compassion ? Certes pas, l’argent n’a pas plus de cœur qu’il n’a d’odeur (de sainteté). Alors pourquoi ? Par intérêt tout simplement. Parce que dans cette pétaudière qu’est le Moyen-Orient notre effondrement financier entraînerait d’incalculables, de redoutables conséquences pour tous, amis ou ennemis, proches ou lointains. Ensuite parce que l’exception libanaise offre un champ de placements rentables, juteux sinon judicieux.
La place bancaire
Pour peu que l’on aime prendre des risques (audaces fortuna juvat). Ce qui n’est pas, généralement, dans la nature frileuse des groupes financiers, des grosses banques étrangères. Sans doute tentées par le rapport de rendement, mais qui se trouvent bridées autant par un facteur risque trop lourd que par les législations ou les règlements restrictifs internationaux. Qui se durcissent de plus en plus, à cause de la lutte effrénée contre un blanchiment d’argent débordant de la mafia au terrorisme.
Il y a de fait, aujourd’hui, un mouvement général de reflux, de retrait des fonds déposés dans des pays à risques, ou à récession. Les banques étrangères se désengagent de ces sites, qui deviennent trop chers en termes d’immobilisation de fonds propres. Et il faut commencer à entrer dans l’ère de Bâle II, un nouveau ratio, très strict, de calcul de solvabilité qui prendra effet à partir de fin 2006. Ipso facto, la barre devient plus haute à franchir pour les pays d’instabilité classifiée. En contrepartie de chaque risque pris, pour parer à toutes les mauvaises surprises imaginables, il faut assurer dès le départ un épais matelas de fonds. Dans la balance, la différence de rendement entre un dépôt au Liban et un autre en Europe (en moyenne 2,5 % en notre faveur) ne fait évidemment pas le poids face, par exemple, à la possibilité d’une nouvelle guerre régionale. Ou de notre effondrement monétaire.
Alors, on se retrouve pratiquement entre nous. Un premier constat saute aux yeux. C’est la maladie du Trésor qui fait la bonne santé, tant chantée, de nos banques. En somme, c’est la famille pélican, ce volatile des mers qui nourrit ses enfants de sa propre chair quand il n’a pas pu leur rapporter des poissons.
Comment cela se passe ? Par le jeu de va-et-vient entre les fonds reçus en dépôt et les bons du Trésor, en livres, en dollars ou en euros. Dans un cadre bien structuré par la législation (le code du crédit et de la monnaie). Pour commencer, les banques doivent confier à la Banque centrale, en garantie, quelque 15 %. Supposons 150 dollars sur un total de 1 000 disponibles. Cet argent est petitement rémunéré : 1,75 % à court terme, 3,5 % à long terme. Il reste 850 dollars à faire fructifier. Historiquement, du côté des prêts aux particuliers ou aux entreprises, la crise générale aidant, les prestations s’effectuaient déjà au compte-gouttes. Mais se trouvent désormais pratiquement gelées, toujours à cause du frein risque. Une seule petite poire pour la soif : le placement, à un maigre 1 %, dans des banques à l’étranger. Ce sont quelque 350 dollars qui partent ainsi. Reste le plat de résistance, les 500 autres dollars. Après avoir coûté quelque 3,5 % d’intérêts payés aux dépositaires, ils sont placés en eurobonds. Qui rapportent, selon la durée et le risque, entre 8 (la dernière émission) et 10 %. Et le swap ? Ce n’est pas une nouvelle émission d’eurobonds, mais un report de remboursement. Les banques y trouvent largement leur compte. Car les 500 dollars qu’on leur aurait restitués maintenant, elles auraient dû leur faire prendre le chemin des banques étrangères, pour se contenter de 1 %. Avec le swap, ces 500 dollars, replacés au même endroit, continuent donc à rapporter quelque 8 %. Juste de quoi garder la tête hors de l’eau. En tout cas, sans le vide des caisses du Trésor, les banques libanaises rempliraient difficilement les leurs. Quoique, à bien y réfléchir, il est évident qu’un assainissement des finances publiques redonnerait au Liban sa prospérité. Et à son secteur bancaire, sans doute, un rôle actif de plaque tournante régionale, voire internationale, bien plus rassurant, sinon bien plus rentable, que le client étatique. De plus en plus unique De plus en plus exposé. Et de plus en plus Forrest Gump, champion de la fuite en avant. Par swap interposé.
Jean ISSA
Veuillez vous connecter pour visualiser les résultats