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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Libre échange

Comme vos collègues, connaissances et amis, comme votre teinturier, votre coiffeur, votre manucure et votre épicier, vous n’entendez plus parler depuis quelque temps que de swap. Ne serait-ce que pour prendre part à une conversation sans vous couvrir de honte, vous avez vaillamment entrepris de rafraîchir vos pâles réminiscences des années de faculté. Ou alors une bonne âme vous l’a charitablement expliqué : le swap, ou échange, est un mécanisme financier permettant à une institution ou un État de remplacer un emprunt venant à échéance... par un autre emprunt, ce sursis ayant évidemment pour prix une hausse des intérêts. Le procédé n’est finalement qu’un expédient parmi d’autres qui, comme tous les expédients, ne sert pas à guérir le mal mais à gagner du temps : à s’acheter, à prix raisonnable, une relative tranquillité en reportant à plus tard, c’est notre fameux et funeste « boukra », la véritable facture : la lourde, celle qui promet de faire mal... La controverse sur l’opportunité de cette mesure s’est muée comme on sait en un âpre affrontement politique entre Émile Lahoud et Rafic Hariri qui ne se sont jamais vraiment résignés, ni l’un ni l’autre, à leur cohabitation forcée. Pour le président de la République, un recours immédiat à cette traîtreuse bouée de sauvetage qu’est le swap constituerait un désaveu aussi cinglant que techniquement correct de la politique de surendettement chère, c’est bien le cas de le dire, au Premier ministre. Et ce dernier voudrait plutôt que l’on attende l’arrivée à échéance, en 2005, des bons du Trésor et autres obligations émises par l’État. Car à cette date, ou bien le Liban se sera doté d’un nouveau président plus porté sur la coopération ; ou bien Lahoud aura, comme on lui en prête l’intention, obtenu une reconduction de son mandat. Auquel cas Hariri ne sera plus au Sérail, lui, pour peser sur la décision, puisqu’il n’est plus disposé à renouveler l’expérience. C’est dire à quel point se trouve actuellement politisé, dans l’acception la plus primaire du terme, le problème de cette dette que l’on manie, de part et d’autre, comme un formidable moyen d’extorsion. To swap or not to swap, telle est soudain la question pour tous ces Hamlets du pouvoir bourrés d’arrière-pensées, pour qui l’ego tient lieu de raison d’État, et qui ne se sont jamais encombrés de trop de questions sur tout le reste. C’est-à-dire sur les mille et une raisons pour lesquelles notre pays n’a miraculeusement survécu à la plus dévastatrice des guerres que pour se voir administrer une mort lente : et cela par les soins de ces mêmes gouvernants censés gérer en bons pères de famille l’ère de la paix. Le swap ? Il est résolument pour, le peuple, mais tel qu’il l’entend. Il ne demanderait pas mieux en effet que de troquer dans sa quasi-intégralité, contre d’authentiques serviteurs publics, une classe politique des plus médiocres à laquelle on doit un Liban plus pauvre, plus sectaire, plus désorganisé encore dans la paix que dans la guerre. Ce que veulent les Libanais, c’est le changement, à l’heure où toutes les certitudes sont remises en question dans la région. Ils auraient bien souhaité par exemple, les Libanais, qu’il se trouve une seule personnalité capable de prendre acte des déclarations des présidents Bush et Chirac sur la nécessité de redonner sa souveraineté au Liban. Ou de prendre au mot le raïs syrien Bachar el-Assad pour affirmer haut et clair que l’élection présidentielle est en effet l’affaire des Libanais, et qu’il ne saurait en être autrement. Un président effectivement garant des libertés – et plus généralement de la Constitution dont il est le gardien – un président résistant à la tentation d’un second sexennat et s’en ouvrant aux citoyens, afin que l’équivoque ne vienne pas paralyser davantage une activité économique déjà léthargique. Un gouvernement conscient de ses responsabilités, et non deux ou trois factions de gouvernement se faisant la guerre à tout propos, le moindre n’étant pas le partage du gâteau des privatisations. Des ministres véritablement dédiés à leurs départements et qui se préoccuperaient de savoir par quel prodige (et quinze ans et des milliards après la fin de la guerre !) le réseau électrique demeure aussi défaillant, pourquoi l’eau ne coule toujours pas des robinets, pourquoi le Liban pourtant surfliqué ne s’est pas encore doté d’un code de la route sauvegardant la sécurité des citoyens. Oui, contre tout cela – et même pour beaucoup moins – peuple poussé à bout échangerait les hommes qui le gouvernent, si tant est qu’il y a preneur. Intermédiaire prié tenir parole et s’abstenir.
Comme vos collègues, connaissances et amis, comme votre teinturier, votre coiffeur, votre manucure et votre épicier, vous n’entendez plus parler depuis quelque temps que de swap. Ne serait-ce que pour prendre part à une conversation sans vous couvrir de honte, vous avez vaillamment entrepris de rafraîchir vos pâles réminiscences des années de faculté. Ou alors une bonne âme vous l’a...