Des dirigeants musulmans modérés du nord du Nigeria ont averti ce week-end qu’al-Muntada al-Islami, une organisation humanitaire financée par des Saoudiens, provoque des divisions au sein de la communauté musulmane qui risquent de déboucher sur des affrontements interreligieux. « Ils sont très intolérants. Ils vont utiliser la force pour imposer la charia en dehors de toute logique ou réalité. Regardez ce qui s’est passé en Afghanistan », a estimé Sheik Musalqasiyuni Nasir Kabara, un responsable de la secte soufi. « Ce qui nous inquiète vraiment, c’est qu’avant l’arrivée d’al-Muntada à Kano, il n’y avait pas ou très peu de conflit interreligieux, nous en entendions parler ailleurs, mais pas ici. Maintenant nous en sommes presque à la guerre civile, Dieu nous pardonne », a-t-il souligné. Le chef d’al-Muntada au Nigeria, le Wahhabite soudanais, Sheik Muhiddeen Abdullahi, a réfuté les accusations : « Nous ne prêchons pas la violence. Nous prêchons l’islam pacifiquement. » « Nous construisons des mosquées et nous les gérons par exemple en nommant les imams et leurs assistants. Nous construisons aussi des écoles grâce aux financements venus de Londres ou de notre association en Arabie saoudite », a-t-il expliqué à Kano. Établie au Nigeria depuis neuf ans, al-Muntada a construit 40 mosquées, selon lui. Le Nigeria compte environ 70 millions de musulmans, et les chefs soufis, qui affirment représenter la majorité des musulmans de Kano, dénoncent l’activisme d’al-Muntada qui va conduire selon eux non seulement à des tensions entre musulmans, mais aussi à des affrontements avec les chrétiens. En dépit des accusations de complicité avec le terrorisme et l’enquête des services de sécurité actuellement en cours, les autorités de l’État de Kano soutiennent le travail d’al-Muntada qui tente d’imposer une conception radicale de l’islam. Le porte-parole de cet État, Sule Ya’u Sule, a ainsi défendu l’ONG, affirmant « nous ne connaissons pas ce genre d’extrémisme dont vous parlez. Tout ce que nous avons ce sont des gens très croyants et très engagés dans leur religion ». M. Musalqasiyuni affirme néanmoins qu’al-Muntada finance le « lavage de cerveau » des imams dans des universités en Arabie saoudite et s’impose aux congrégations du Nigeria grâce à son riche réseau de mosquées et d’écoles. Quelque 5 000 Soufis avaient manifesté le 1er mars contre l’ONG à Kano pour demander sa fermeture. La lutte entre les deux factions a lieu également sur le terrain électoral puisqu’elles sont en compétition pour les élections locales prévues le 27 mars. Les violences interreligieuses ou interethniques ont fait plus de 10 000 morts depuis la fin du régime militaire au Nigeria en 1999. Pour le moment, al-Muntada a suspendu ses travaux après l’ouverture d’une enquête sur son rôle dans le soulèvement islamiste des talibans dans l’État de Yobe à la fin de 2003. Soupçonné de les avoir financés, M. Muhiddeen a été arrêté le 19 février et interrogé avant d’être relâché. Il a toujours nié avoir des liens avec ces talibans. L’ONG al-Muntada n’a jamais été citée par les différents services de sécurité enquêtant sur le financement du terrorisme. Mais ses membres avaient été interrogés au Kenya après l’attentat contre l’ambassade américaine à Nairobi en 1998. Créée par un homme d’affaires saoudien en 1985, elle a son siège à Londres et des bureaux dans 20 pays dont 13 d’Afrique. Le bureau de Kano, le plus important, a été ouvert en 1994. Selon des sources humanitaires britanniques, elle a dépensé 2,8 millions d’euros l’an dernier à travers le monde.