Le port du voile, un sujet qui fait couler beaucoup d’encre, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Occident. Qu’elles soient voilées ou pas, qu’elles pratiquent ou pas leur religion selon les préceptes prônés par le Coran, qu’elles soient convaincues ou pas de la nécessité de se voiler, quelques femmes musulmanes s’expriment, en toute liberté. À travers leurs...
Actualités - REPORTAGE
Société - Le voile, une affaire de femmes... au sein d’une société persuasive Vivre leur religion à fond, une liberté qu’elles revendiquent
Par EL HAGE Anne Marie, le 31 janvier 2004 à 00h00
Le port du voile, un sujet qui fait couler beaucoup d’encre, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Occident. Qu’elles soient voilées ou pas, qu’elles pratiquent ou pas leur religion selon les préceptes prônés par le Coran, qu’elles soient convaincues ou pas de la nécessité de se voiler, quelques femmes musulmanes s’expriment, en toute liberté. À travers leurs témoignages, émerge, certes, pour les femmes convaincues, le désir de se voiler et de se vêtir décemment, ainsi que le prescrit le Coran, afin de vivre à fond leur religion. Mais au fil des mots, la pression sociale transparaît, forte et persuasive, notamment à l’égard des femmes qui refusent d’adopter le foulard et qui s’accrochent à un style vestimentaire et à un mode de vie loin de toute contrainte sociale ou religieuse. Par ailleurs, vive est l’indignation face à l’incompréhension de la communauté non musulmane, parfois accusée d’être discriminatoire. Çà et là, les diverses réactions de l’entourage, positives ou négatives, donnent lieu à des commentaires amusés, souvent anecdotiques. Car même au sein de la communauté musulmane, le port du voile étonne parfois et n’est pas toujours bien accueilli par l’entourage.
Pour une grande partie des femmes musulmanes, chiites ou sunnites, la question du port du voile ne se pose pas. Et pour cause, le hidjab fait partie intégrante de leur mode de vie, dès qu’elles sont en âge d’accomplir leurs devoirs religieux. Couvrir ses cheveux, mais aussi son cou, ses bras, ses jambes, et porter des habits amples qui cachent les formes du corps devient au Liban une pratique de plus en plus courante. Certes, les façons de le porter sont très différentes, car la coquetterie n’est pas pour autant interdite. Mais l’objectif est unique et consiste pour la femme à ne pas dévoiler ses charmes, afin de ne pas susciter la convoitise des hommes. Issue d’une famille chiite très pratiquante, Darine a porté le hidjab de son propre chef dès l’âge de 9 ans, « à l’âge où la fillette doit commencer à assumer ses devoirs religieux », explique-t-elle. Forcée ? « Pas le moins du monde, dit-elle. Mes parents n’y étaient même pas préparés. Mon père m’avait prévenue qu’il ne m’aimerait pas plus que mes sœurs aînées, qui n’étaient pas voilées. Quant à ma mère, elle n’avait envisagé aucun changement dans ma tenue vestimentaire, comme il est d’usage pour préparer une telle étape. » En effet, à partir du jour où la jeune fille porte le hidjab, elle doit aussi adopter une tenue appropriée, autrement dit ne plus dévoiler ses bras, ses jambes et son cou ou même ses formes. Déterminée et convaincue « à 100 % » de son acte, car elle entendait vivre profondément sa foi, la fillette a dû surmonter les critiques de ses camarades de classe et de ses enseignantes, non voilées, persuadées qu’il s’agissait d’un coup de tête. « Il était, à l’époque, impensable pour une fillette de mon âge de porter le hidjab », se souvient la jeune femme, aujourd’hui mariée et âgée de 22 ans.
Le courage nécessaire
Pour d’autres, le port du voile est synonyme de maturité et d’approfondissement de la religion, et ce même au sein de la classe aisée et instruite. Après une existence à l’occidentale, durant laquelle elles s’habillaient sans contrainte, fréquentaient les plages mixtes ou buvaient de l’alcool, certaines femmes décident de se voiler, du jour au lendemain, sans crier gare. Fervente pratiquante depuis une quinzaine d’années et soucieuse de bien connaître sa religion, Karima Barrage, sunnite, divorcée et chef chocolatier dans sa propre entreprise, a décidé de porter le voile il y a tout juste un an, lors d’un séjour en Angleterre après un pèlerinage à La Mecque. « Depuis ma plus tendre enfance je rêve de le faire », raconte-t-elle, tout sourire, ajoutant que c’est le devoir religieux de toute femme musulmane. Dans sa vie quotidienne, rien n’a vraiment changé. Elle continue à diriger son entreprise et voyage aussi souvent que son métier l’exige, tout en s’abstenant de saluer les hommes avec la main, « sauf si c’est vraiment nécessaire ». Élégamment vêtue d’un tailleur gris et noir lui couvrant les genoux, rehaussé d’un collier de perles, elle décrit « sa sérénité retrouvée » depuis qu’elle a trouvé sa voie. « Se voiler ce n’est pas seulement porter ce fichu sur les cheveux, explique-t-elle, c’est aussi et surtout un comportement, une façon de parler et d’être, une façon de vivre conformément à l’islam. »
Le parcours d’Amal Hakim, mère de famille sunnite et enseignante à l’université Saint-Joseph, ressemble étrangement à celui de Karima. « J’ai toujours voulu porter le voile, raconte-t-elle, mais je n’en avais pas le courage, et je n’avais pas les connaissances religieuses nécessaires pour le faire, d’autant plus que mon mari y était totalement opposé. » Sa décision de porter le voile date d’il y a un an, après un pèlerinage à La Mecque, mais aussi un approfondissement de l’islam. « Je me sens tellement mieux depuis, dit-elle. Je me sens plus forte, plus sereine, alors qu’avant, j’étais rongée par la culpabilité. » Depuis qu’elle porte le foulard et qu’elle a adopté une tenue vestimentaire plus stricte, mais non moins élégante, Amal s’avoue moins gênée par le regard des hommes. « Quand je marche dans la rue, je n’essuie plus leurs remarques désobligeantes. Auparavant, j’entendais des pointes et des compliments à longueur de journée. Cela me dérangeait énormément. De plus, dans mon travail, où je traite avec des personnes de différentes confessions, je me sens respectée et nettement plus à l’aise. »
Convaincue par son fiancé
Certes, le port du voile n’est pas toujours un acte délibéré et de nombreuses jeunes filles et femmes n’y viennent que forcées par un père, une mère, un frère ou un mari. « Dans mon entourage, beaucoup de femmes sont contraintes par leurs parents ou leur mari de porter le hidjab », raconte Rima, énumérant les disputes, scènes de ménage et conflits dont elle a été témoin. « Parfois, elles n’ont d’autre choix que de se résigner, notamment lorsqu’elles ont des enfants. »
Il en a été ainsi pour Inaam, à qui son fiancé, très pratiquant, avait posé comme condition de porter le voile, avant leur mariage, il y a déjà une quinzaine d’années. « Bien qu’étant moi-même conservatrice, à l’époque, priant et jeûnant, je m’habillais différemment », se souvient la jeune femme, évoquant les pantalons, les pulls col rond, les vêtements à demi-manches qu’elle portait alors. « Après maintes discussions, mon fiancé a fini par me convaincre, d’autant plus qu’il observait, lui aussi, une certaine rigueur vestimentaire. Je n’ai pas hésité à porter le hidjab et à troquer mes habits contre des jupes longues, des vêtements plus amples qui masquaient mes formes, et des bas, même en plein été, car non seulement je l’aimais et tenais à lui, mais j’étais aussi très croyante. »
Le port du voile n’a pas été la seule concession de la jeune femme à son futur époux. En effet, elle a dû se résoudre à renoncer au vernis à ongles, celui-ci représentant un frein à la purification avant la prière. Ne peut-elle se permettre la moindre coquetterie ? Un maquillage discret qu’elle a réussi à faire admettre à son époux et une panoplie de foulards assortis à ses vêtements constituent aujourd’hui sa seule coquetterie vestimentaire.
Évidemment, l’hésitation est chose courante, car la décision de porter le hidjab non seulement implique un changement total dans la tenue vestimentaire et l’attitude de la femme, mais constitue en quelque sorte comme une entrée dans la religion. C’est pourquoi, il est très mal vu de se voiler et de changer d’avis ultérieurement. Layla l’a pourtant fait, durant de longues années, pour faire plaisir à son époux, mais aussi par défi. « Nous vivions alors en Afrique, dit-elle, et mon mari n’appréciait pas de me voir porter le hidjab, d’autant plus que là-bas, seules les femmes âgées le portaient. » Rongée par le remord et la culpabilité, cette femme de 48 ans a finalement remis le foulard depuis six ans, après un pèlerinage à La Mecque. « Je me sens tellement plus élégante, dit-elle. Il donne une beauté à la femme et celle-ci se fait mieux respecter. Quant à mon mari, il a finalement accepté ma décision, même s’il n’est pas pratiquant. »
Mais le voile n’est-il pas synonyme d’intégrisme religieux ? Certainement pas, estiment les femmes musulmanes qui ont adopté le voile. Selon leurs dires, l’islam prône une certaine décence chez la femme, non seulement dans sa tenue vestimentaire, mais dans son attitude, car elle ne doit pas susciter la convoitise d’un homme qui n’est pas son époux.
Convaincues de leur comportement, elles se demandent d’ailleurs pourquoi le monde fait la guerre aux personnes qui se couvrent, et non pas à celles qui se dénudent outrageusement, dans la rue, dans les publicités et à la télévision...
Anne-Marie el-HAGE
Des réactions mitigées, entre acceptation et intolérance
Porter le voile du jour au lendemain suscite forcément des réactions de la part de l’entourage proche, mais aussi de la part des connaissances appartenant à d’autres communautés. Si certaines réactions sont matière à plaisanterie de la part des personnes directement concernées, d’autres réactions dérangent et blessent même carrément, car elles sont teintées d’intolérance et de refus.
« D’un côté on m’a félicitée (mabrouk) et on m’a enviée (nyélik), de l’autre on m’a demandé quelle mouche m’avait piquée (chou sayer alayké). D’un côté on a souhaité pouvoir m’imiter (a’kbali), d’un autre on m’a demandé pourquoi je voulais retourner en arrière, comme les juifs », raconte Karima Barrage en riant. « Mais la réaction qui m’a fait le plus plaisir a été celle de ma fille qui m’a dit que je le portais très joliment. »
Lorsqu’elle a voulu porter le voile, Amal Hakim s’est heurtée au refus catégorique de son époux. « Il avait peur du qu’en dira-t-on, mais aussi de la répercussion de ma décision sur son travail, sur nos relations avec notre entourage, et notamment avec nos amis chrétiens. Mais tout s’est passé bien mieux que prévu. » Quant à ses enfants, ils ont eux aussi réagi négativement, refusant qu’elle vienne les prendre à l’école, craignant qu’elle ne ressemble aux mendiantes des rues, ou menaçant carrément de lui arracher son hidjab. « Mais ils ont fini par s’y habituer, dit-elle amusée, et me trouvent maintenant très belle. » Du côté de son entourage chrétien, les réactions étaient très mitigées. Si à la faculté où elle donne des cours, Amal a été félicitée, ses voisins, eux, ont déploré « ce retour 100 ans en arrière ».
Pour Darine, se faire accepter à la faculté, dans un milieu à majorité arménien, est son défi quotidien. « Au début, j’étais considérée comme différente et bizarre. Certaines camarades me disaient qu’il était dommage de cacher ma beauté et me conseillaient de mieux me mettre en valeur, alors que d’autres m’encourageaient gentiment », raconte-t-elle. Mais elle s’avoue profondément dérangée par l’intolérance qu’elle rencontre lorsqu’elle se rend dans un quartier chrétien pour rendre visite à sa meilleure amie. « Mon amie est la risée du quartier car elle fréquente une femme voilée. Pourquoi cette intolérance ici, alors qu’en Afrique où nous vivions auparavant, tout était tellement plus simple ? »
Cette intolérance exprimée ou cachée à l’égard du voile, au Liban comme ailleurs, elles sont nombreuses à la déplorer, même lorsqu’elles ne le portent pas. Elles évoquent ainsi la loi votée en France contre le port du voile dans les lycées, mais aussi les mesures discriminatoires pratiquées aux États-Unis contre les musulmans. Le fossé se creuse chaque jour davantage. À ce stade, la tolérance est-elle une utopie ?
***
Sans voile, mais musulmanes quand même
Ces femmes ne portent pas le hidjab. Qu’elles envisagent ou non de le faire, qu’elles l’aient porté et enlevé, ou qu’elles le refusent carrément, elles ne revendiquent pas moins leur appartenance à la religion musulmane. Une religion qu’elles vivent à l’intérieur d’elles-mêmes, indépendamment des pressions familiales ou sociales auxquelles elles doivent souvent faire face.
« Porter le voile ? J’espère y arriver un jour, peut-être même très bientôt, indique Rima Barrage, dont la sœur s’est voilée, il y a tout juste un an. Mais l’idée me hante et je me sens coupable. » Coupable de n’être pas voilée, d’aller à la plage mixte, de s’exposer au regard des hommes et des femmes. « J’ai même arrêté de boire de l’alcool, dit-elle fièrement. Je n’en ai d’ailleurs jamais abusé, mais je n’avais pas la conscience tranquille. » Pour cette femme de confession sunnite, on ne décide pas de se voiler du jour au lendemain. C’est une décision qui vient progressivement, dès que l’on connaît suffisamment bien sa religion, estime-t-elle, ajoutant qu’il est d’ailleurs grand temps que l’on en finisse de la conception de la femme objet, synonyme de plaisir.
Certes, si le hidjab reste le but que se sont fixé de nombreuses femmes, d’autres, qui ne le portent pas, refusent d’être considérées comme non pratiquantes, mais ne peuvent s’empêcher d’éprouver de la culpabilité.
Profondément pieuse et conservatrice, Salma, mère de famille sunnite de 37 ans, est convaincue que le port du voile est le devoir de toute femme musulmane, ce geste constituant le résultat d’un approfondissement de sa religion. Et pourtant, elle ne le porte pas et ne compte pas le faire pour le moment. « Je n’en ressens pas le courage. Mais il ne faut surtout pas penser que je suis loin de ma religion », dit-elle, ajoutant qu’elle accomplit tous ses devoirs religieux, sans exception. Et de mettre en garde contre les préjugés qui disent que la femme voilée suit mieux sa religion que celle qui ne l’est pas, car les apparences sont parfois trompeuses. Mais comme tant d’autres femmes, la culpabilité fait partie du quotidien de Salma. « Parfois, je sens que je n’en fait pas assez », regrette-t elle.
La culpabilité, Fatmé vit avec depuis qu’elle a enlevé son voile, deux ans plus tôt, après son mariage. « Mon voile était le symbole de mon engagement religieux et de ma foi, mais mon mari m’a demandé de l’enlever, dit avec résignation cette jeune femme de 20 ans. J’ai obéi, mais intérieurement rien n’a changé. » Fatmé vit mal ce changement qu’elle refuse et craint le châtiment de Dieu. « On m’a fait entendre lors des cours de religion que Dieu réserve un châtiment corporel aux musulmanes qui ne se voilent pas, à l’instar des personnes qui boivent de l’alcool ou qui ne prient pas », observe-t-elle. Quoi qu’il en soit, Fatmé avoue aimer l’écharpe et s’accepte difficilement sans. Et pourtant, il lui arrive d’être moins stricte dans sa tenue vestimentaire, de porter un jeans moulant ou d’arborer un décolleté, d’autant plus que son mari n’y voit aucun inconvénient.
Vivant dans un environnement chrétien, Rima K., célibataire chiite de 34 ans, déplore cette pression sociale qui s’exerce sur la femme musulmane. Pourtant, elle n’envisage pas de porter le voile, s’habille selon la mode et fréquente les plages mixtes. « Ma mère me critique et me culpabilise car je m’habille court et montre mon ventre, dit-elle. Mes proches me disent que la religion musulmane exige la prière, le jeûne et le port du hidjab. Mais je suis convaincue que Dieu acceptera mes prières, même si je ne porte pas le hidjab et m’habille en minijupe. » Elle ajoute, d’ailleurs, que de nombreuses femmes le portent pour avoir la paix et faire les quatre cents coups. L’essentiel n’est-il pas de faire du bien autour de soi et d’avoir la foi intérieure ? demande-t-elle.
À l’instar de Rima K., de nombreuses femmes sont convaincues que les actions sont plus importantes que les apparences. « Je mourrais probablement sans avoir jamais porté le voile. Mais sait-on jamais ? » observe Elham, divorcée de 44 ans. En effet, cette femme, de confession chiite, trouve étrange cette vague qui s’est emparée de ses amies. « Je ne comprends pas cet engouement soudain pour le voile, dit-elle. Elles sont jalouses l’une de l’autre et s’imitent mutuellement, alors que lorsque j’étais jeune fille, j’ai tout fait pour fuir ce milieu plein d’interdits. Un milieu où l’on me disait que Dieu me brûlerait les jambes si je portais du court. »
Élevée plus librement que sa mère ne l’a été, Rhéa considère que le voile est réservé aux femmes âgées qui décident de s’engager activement dans la religion. « Je pourrais le porter un jour, pense-t-elle, peut-être à 60 ans, mais pour le moment je voudrais profiter de la vie. Ma religion est trop contraignante, surtout pour les jeunes qui ont envie de sortir, d’aller à la plage en groupe et de suivre la mode. C’est pourquoi je ne peux l’envisager, tant que j’aurais des choses à vivre. » Mais dans le franc-parler de cette jeune fille de 16 ans, les thèmes de tolérance, de respect de la religion de l’autre font surface, comme pour dire que chacun est libre de vivre sa religion comme il l’entend.
A.-M. H.
Le port du voile, un sujet qui fait couler beaucoup d’encre, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Occident. Qu’elles soient voilées ou pas, qu’elles pratiquent ou pas leur religion selon les préceptes prônés par le Coran, qu’elles soient convaincues ou pas de la nécessité de se voiler, quelques femmes musulmanes s’expriment, en toute liberté. À travers leurs...
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