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Spécial - le figaro Diplomatie - Un entretien avec le ministre des Affaires étrangères qui défend le principe de la légitimité de l’action internationale pour en garantir l’efficacité Villepin : le plan de la France pour le « Grand Moyen-Orient »
le 20 février 2004 à 00h00
Le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin propose, dans un entretien au « Figaro », un « véritable partenariat avec le Moyen-Orient ». Il s’agit de définir « une approche globale » visant à répondre à l’ensemble des défis qui se posent dans la région. Cette démarche ne doit pas, selon lui, être exclusivement « centrée sur les questions de sécurité », mais prendre en compte « toutes les dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, éducative... ». Le projet esquissé par le chef de la diplomatie française répond à l’idée de « Grand-Moyen-Orient » évoquée récemment par l’Administration américaine en vue de conduire la région, au-delà de l’Irak, vers plus de démocratie.
LE FIGARO. – Vous vous êtes rendu la semaine dernière en Afghanistan. Deux ans après la chute des talibans, les élections tardent à venir et le pouvoir du président Karzaï est limité à la capitale. Pourtant, il semble que vous considériez l’expérience afghane comme un modèle dont on pourrait s’inspirer en Irak.
Dominique de VILLEPIN – L’Afghanistan sort de vingt années de guerre. L’ensemble de la communauté internationale s’est trouvé uni au lendemain du 11 septembre pour éradiquer le terrorisme et faire avancer ce pays vers plus de démocratie et de stabilité. Il a été décidé, dans ce cadre, d’autoriser le recours à la force sur la base d’un accord des Nations unies. À la différence de l’Irak, il y a eu en Afghanistan un retour très rapide à la souveraineté. Même si les choses sont difficiles au quotidien, avec le maintien de certaines forces des talibans dans le Sud et le grave problème de la drogue, la réconciliation progresse. Une Constitution a été adoptée. Un processus électoral est lancé avec des élections législatives et présidentielles prévues dans cette année 2004. Il faut conforter cette évolution.
Sur le plan de la sécurité, la France participe à la Fias, avec 550 hommes, et à l’opération Liberté immuable contre le terrorisme, avec ses forces spéciales. Nous sommes prêts à faire davantage puisque nous soutenons la prise en charge par le corps européen du commandement de la Fias au cours des prochains mois. Évidemment, nous posons un certain nombre de conditions pour en assurer le succès : en particulier des conditions de durée, de soutien logistique de la part de l’Otan et d’engagement financier de la part de l’ensemble de nos partenaires.
C’est la méthode qui vous séduit. Vous trouvez le protectorat de l’Onu en Afghanistan plus efficace que le protectorat américain en Irak ?
Il s’agit surtout de privilégier un certain nombre de principes. Celui de l’unité et de la recomposition afghane. Mais aussi celui de la légitimité de l’action internationale qui est essentiel, car il est le garant de l’efficacité. L’action de l’Onu, en liaison avec l’ensemble des partenaires, et tout particulièrement les Américains, offre le cadre qui permet d’obtenir des résultats. Les Afghans mesurent aujourd’hui à quel point la communauté internationale est engagée au service de leur pays. L’important est d’éviter qu’il puisse y avoir une quelconque suspicion sur les raisons qui conduisent la communauté internationale à agir.
En Irak, des élections paraissent impossibles avant le 30 juin. Le Conseil de gouvernement intérimaire actuel peut-il assumer la souveraineté irakienne à cette date ?
Il est important de respecter dans toute la mesure du possible le calendrier fixé. Un retour à la souveraineté irakienne a été prévu le 30 juin. Il faut maintenir ce rythme. Même si ce processus n’est pas complet à cette date, il se poursuivra au-delà de juin prochain et jusqu’en 2005 avec l’élection d’une convention constitutionnelle, l’adoption d’une Constitution et des élections générales avant la fin 2005. Ce processus doit être le plus inclusif possible et les pays de la région doivent être encouragés à soutenir cette démarche. La communauté internationale a aussi son rôle à jouer pour marquer le passage du régime d’occupation à la souveraineté irakienne. La conférence internationale que la France a proposée vise précisément à mobiliser en ce sens l’ensemble des forces nationales, régionales et internationales.
Il reste que l’organisation d’élection à brève échéance soulève de vraies difficultés. C’est pourquoi nous avons, il y a plusieurs mois, avancé des propositions permettant d’aller de l’avant pour désigner un gouvernement transitoire. Parmi ces idées qui sont toujours sur la table, il y a celle d’une conférence nationale, rassemblant l’ensemble des forces irakiennes. Il y a aussi la possibilité de partir des instances actuelles en les élargissant de façon à rallier toutes les forces politiques et sociales qui renoncent à la violence.
Votre préférence va donc à une conférence internationale plutôt qu’à un simple vote d’une résolution à l’Onu ?
Il est important de marquer clairement le retour à la souveraineté irakienne. À quel moment faudra-t-il revenir au Conseil de sécurité pour donner toute sa légitimité au processus et organiser l’action des Nations unies en Irak ? Nous sommes ouverts et nous en discutons avec nos principaux partenaires.
Une fois le transfert de souveraineté effectué, quelle serait la contribution de la France ?
Nous envisageons une coopération dans le domaine de la police et de la gendarmerie, en particulier avec la création d’une école de gendarmerie en Irak. Nous souhaitons le faire en liaison avec nos partenaires intéressés, comme l’Allemagne ou le Japon, et pour le compte d’un gouvernement irakien souverain. Cela s’ajoutera aux coopérations que nous avons déjà engagées avec l’Irak, en matière de santé, de formation supérieure, de culture ou d’archéologie.
Les États-Unis veulent se désengager avant les présidentielles de novembre. Ils voudraient passer le relais à l’Otan. Quelle est la réponse de la France ?
L’Otan a déjà apporté des contributions significatives en dehors de son aire d’influence traditionnelle. On le voit en Afghanistan. En Irak, l’Otan apporte aujourd’hui un appui logistique au contingent polonais. La question d’une implication de l’Otan en tant que telle se pose en d’autres termes. Un certain nombre de conditions doivent être remplies. D’abord, l’Otan ne peut s’engager qu’à la demande d’un gouvernement irakien, d’une part, avec l’accord préalable des Nations unies d’autre part. Il y a, ensuite, une question de principe : l’arrivée de l’Otan en tant qu’acteur au Moyen-Orient sera-t-elle un facteur de stabilité ou, au contraire, de complication ? Il faut être très prudent face à ce qui pourrait être ressenti par certains pays de la région comme une agression. Rien ne serait pire que d’activer un sentiment de confrontation entre le monde arabe et nos pays, entre l’Occident et l’islam.
N’y a-t-il pas là une nouvelle divergence avec la position des Américains, qui, à travers l’idée d’un Grand Moyen-Orient, souhaitent mettre en place un partenariat visant à faire évoluer les régimes de la région vers plus de démocratie ?
Avec nos partenaires européens, nous travaillons depuis longtemps sur les problèmes et les évolutions de cette région. L’enjeu est considérable : le développement économique et ses conséquences sur l’émigration, la formation, la place de la femme dans la société, l’ouverture notamment politique.
Notre conviction est qu’il faut partir des besoins et des attentes des pays du Moyen-Orient et ne pas chercher à leur dicter des solutions. Il est donc important de les associer le plus en amont possible à notre réflexion, dans la logique d’un véritable partenariat. Il faut aussi éviter une approche trop uniforme : on ne peut traiter de la même façon le Maghreb, le Proche-Orient et les pays du Golfe. On ne doit pas davantage tout centrer sur les questions de sécurité. Pour réussir, notre démarche doit être globale et prendre en compte toutes les dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, éducative... Sinon, notre initiative risque d’apparaître comme étant motivée par nos seuls intérêts de sécurité plutôt que par le souci du développement de la région. Enfin, si nous voulons être crédibles, nous ne pouvons pas ignorer le conflit israélo-palestinien. Recréer une dynamique de paix est une condition indispensable à toute initiative dans la région.
L’Europe peut-elle apporter une vision complémentaire à celle des États-Unis ?
L’Europe est un partenaire naturel de cette région. Sa proximité géographique lui a permis de tisser des liens profonds avec ces pays. Une politique euro-méditerranéenne a été mise en œuvre dès les années 1970, le processus de Barcelone a été lancé en 1995, des accords de coopération avec les pays du Golfe ont été signés. Nous devons moderniser nos instruments et les rendre plus efficaces. Nous souhaitons travailler avec nos amis américains pour valoriser nos complémentarités. Nous devons aussi travailler en partenariat avec les pays de la région. Nous sommes opposés à des stratégies qui seraient celles d’un Occident inquiet cherchant à imposer de l’extérieur des solutions toutes faites.
Comment aboutir à des résultats concrets ?
Nous voulons engager rapidement une large concertation sur le Moyen-Orient. Avec nos partenaires européens d’abord, la France souhaite que ce thème soit à l’ordre du jour des prochains rendez-vous européens, à commencer par le Conseil européen de mars. Avec les pays de la région ensuite, à travers notamment le dialogue avec la Ligue arabe. Avec nos grands partenaires enfin, dans le cadre du G 8 en particulier.
Au-delà de la méthode, de quels domaines s’agit-il concrètement ?
J’en vois trois principaux : le dialogue politique d’abord, pour faire avancer la démocratie, la bonne gouvernance, les droits de l’homme ; le développement économique et social ensuite, pour introduire les réformes structurelles nécessaires ; le soutien aux efforts de la société civile enfin, pour encourager notamment le dialogue des cultures. Cette concertation pourrait déboucher sur une déclaration générale qui énoncerait les principes d’un véritable « partenariat pour la paix et pour le progrès ». Il s’agirait de définir les grandes lignes d’action s’appliquant à l’ensemble de la région qui iraient, par exemple, du non-recours à la force jusqu’au renforcement des systèmes éducatifs. Dans ce cadre, nous pourrions moderniser les instruments existant au sein de l’Union, qu’il s’agisse du processus de Barcelone ou du dialogue avec le Conseil de coopération du Golfe.
Les États-Unis semblent vouloir concrétiser leur idée de Grand Moyen-Orient lors des sommets de juin, celui de l’Otan à Istanbul, puis le G 8...
Il y aura effectivement en juin ces deux grands rendez-vous. Chacun devra traiter du Moyen-Orient en fonction de ses compétences propres. L’essentiel est bien que l’Europe et les États-Unis agissent en bonne intelligence, mais, surtout, en étroite concertation avec les pays de la région.
Cette volonté commune peut-elle être un moyen de surmonter les divergences transatlantiques qui se sont exacerbées lors de la guerre en Irak ?
Passée la guerre, il n’y a aucun doute que notre intérêt, celui de toute la communauté internationale, est de se retrouver ensemble pour dégager des solutions. Pour être efficaces, nous devons travailler dans l’unité, en particulier sur cette question du Moyen-Orient qui est centrale pour l’avenir. Il faut le faire dans l’esprit d’un partenariat pour la paix et le progrès qui prenne en compte tous les problèmes auxquels est confrontée cette région.
Avez-vous le sentiment d’être écouté à Washington ?
Notre concertation est franche et amicale sur l’ensemble de ces sujets. Elle est nourrie par une volonté commune de trouver des solutions aux grands problèmes qui se posent. Aujourd’hui, notre intérêt commun est de développer les canaux de dialogue pour mobiliser la communauté internationale face aux défis qu’elle doit affronter.
Le président israélien Moshe Katsav achève une visite à Paris. En quels termes avez-vous évoqué avec lui la question du mur de sécurité qui empiète sur la Cisjordanie ?
Nous avons eu un dialogue confiant. C’est l’intérêt de la France et d’Israël de renforcer leurs relations, comme j’ai tenu à le faire depuis deux ans en mettant en place un groupe bilatéral à haut niveau chargé de relancer notre coopération dans tous les domaines. D’autres visites suivront, notamment celle à Paris du Premier ministre Ariel Sharon, en avril.
Vous évoquez la question du mur. Sur le plan du principe, tout pays a le devoir d’assurer sa sécurité. Mais un mur n’est pas la meilleure façon de développer des relations entre deux peuples. Et, s’il doit avoir une utilité sur le plan de la sécurité, encore faut-il que son tracé ne soit pas contestable. Ce n’est malheureusement pas le cas dès lors qu’il ne suit pas les frontières de 1967.
Le processus de paix est dans une impasse. Comment en sortir ?
Il faut s’en tenir à la « feuille de route » qui est un règlement négocié permettant d’aboutir à un État palestinien vivant aux côtés de celui d’Israël. Dans ce contexte, le retrait israélien de Gaza doit être la première étape de la mise en œuvre de la « feuille de route ». Cela suppose, bien sûr, que les colonies démantelées à Gaza ne soient pas déplacées en Cisjordanie, mais qu’au contraire le mouvement s’y prolonge. À partir de là, pourquoi ne pas imaginer alors la création d’une force de paix à Gaza avec une conférence internationale permettant de passer à la deuxième étape de la «feuille de route » ? Nous avons besoin de montrer que ce processus donne des résultats pour éviter le découragement et la tentation de la violence.
Arafat est-il toujours l’interlocuteur privilégié du côté palestinien ?
Il est le président élu du peuple palestinien, il a donc un rôle à jouer. Il y a aussi un Premier ministre palestinien. Il serait vain de jouer les uns contre les autres.
Le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin propose, dans un entretien au « Figaro », un « véritable partenariat avec le Moyen-Orient ». Il s’agit de définir « une approche globale » visant à répondre à l’ensemble des défis qui se posent dans la région. Cette démarche ne doit pas, selon lui, être exclusivement « centrée sur les questions de sécurité », mais...
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