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Actualités - REPORTAGE

GUIDE DES MÉTIERS - Une profession riche, dynamique, variée, basée sur des principes scientifiques Le travail social: comme l’iceberg, on n’en voit que la partie visible

Peu de métiers sont aussi entourés d’idées reçues que celui du travailleur social. Dans une société où tant de bénévoles se consacrent au domaine social, on n’a pas toujours la juste perception de cette spécialisation tout à fait scientifique, même si elle requiert à la base des qualités de cœur. C’est une profession non encore saturée, diversifiée, loin d’être monotone, que nous proposons cette semaine dans le cadre de notre rubrique hebdomadaire du guide des métiers. Qu’est-ce qu’un travailleur social ? On peut déjà dire ce qu’il n’est pas, une personne occupée « à faire du bien ou de la charité », qui « ouvre un tiroir pour en sortir de l’argent destiné aux nécessiteux », etc., toutes définitions que les personnes que nous avons rencontrées réfutent catégoriquement. Un travailleur social intervient autant dans des cas individuels que dans le cadre de communautés, lorsque la personne ou le groupe ne peuvent plus gérer un problème donné, ou qu’il y a un besoin de faire fructifier les ressources pour exécuter des projets visant à améliorer la qualité de vie d’un certain ensemble, ou encore pour l’organisation d’activités ayant pour objectif l’épanouissement de certaines personnes, pas nécessairement à problèmes. Pour cela, le travailleur social doit avoir une formation solide, être capable d’analyser une situation donnée, intervenir en toute objectivité pour aider à résoudre le problème en coopération avec les personnes concernées, dans des situations souvent délicates. Les services des travailleurs sociaux sont requis dans toutes sortes d’institutions : écoles, universités, entreprises, centres médico-sociaux, foyers, internats, prisons, centres d’éducation spécialisés, hôpitaux, ministères, municipalités, institutions d’accueil pour enfants en difficulté... Les départements universitaires qui forment ce genre de personnel qualifié ne sont pas foule au Liban : ils sont situés dans trois universités seulement, l’École libanaise de formation sociale (ELFS) de l’Université Saint-Joseph (USJ), Haïgazian et l’Université libanaise (UL), où cette discipline est enseignée dans cinq de ses branches. La rareté des formations n’en diminue pas la diversité : à l’UL, on forme des assistantes médico-sociales, avec un background médical plus développé, à Haïgazian, on insiste particulièrement sur le travail communautaire, alors que l’ELFS forme aujourd’hui trois genres de spécialistes, les assistantes sociales, les éducateurs spécialisés et les animateurs sociaux. Trois spécialisations, trois métiers De ces trois départements de formation, l’ELFS est le plus ancien, puisque la création de cette école remonte à 1948. Les trois spécialisations qui y sont proposées couvrent le domaine social dans son ensemble et présentent des différences dans la pratique. Selon la définition donnée par l’ELFS, « l’assistant social est un travailleur social qui intervient auprès des personnes et des communautés en situation de difficulté avec leur environnement, ou en risque de le devenir ». L’éducateur spécialisé, lui, est un « travailleur social dont la fonction première est éducative, basée sur la relation qu’il crée avec la personne ou le groupe, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents, de jeunes adultes ou de personnes âgées, vivant une déficience, un handicap, une marginalisation ou une déviance ». Il est précisé que l’éducateur « les accompagne dans leur évolution, les aide au niveau de la socialisation et de leur autonomie en partageant avec eux la vie quotidienne ». Et c’est en cela qu’on distingue la principale différence entre ces deux métiers dont la finalité commune est d’aider des individus et des communautés en difficulté : l’éducateur spécialisé accompagne le groupe dont il a la charge dans son quotidien. May Hazzaz, directrice de l’ELFS, donne un exemple qui illustre bien les spécificités de chaque spécialisation. « Alors que je travaillais dans un service familial au sein d’un centre, je reçois la visite d’une mère qui ne savait pas comment se comporter avec son enfant trisomique, raconte-t-elle. En tant qu’assistante sociale, j’établis le contact, je visite la famille à la maison, j’analyse la situation et j’effectue, durant six mois, un travail de socialisation de l’enfant en collaboration avec sa famille. L’objectif était de placer l’enfant dans un centre spécialisé. Une fois ce but atteint, c’est un éducateur spécialisé qui l’accueille dans le centre en question et c’est lui qui l’accompagnera dans sa vie quotidienne, durant son séjour. » La formation d’éducateur spécialisé a repris à l’ELFS après plus de deux décennies d’interruption. L’animateur social, lui, « assure essentiellement une fonction de promotion, favorisant les interactions au sein des groupes, des publics et des communautés, renforçant les liens sociaux et développant les potentialités collectives », toujours selon la définition de l’ELFS. En d’autres termes, contrairement aux deux autres professions, l’animateur ne prend pas pour point de départ des problèmes à régler, mais un potentiel à développer. Il exerce principalement dans les secteurs de la jeunesse, des loisirs, de la culture, de l’éducation parascolaire, des droits civiques, etc. Pour les trois formations, une licence est obtenue au bout de 180 crédits durant six semestres (rappelons que l’USJ a adopté le système européen de crédits à partir de cette année). Le master professionnel est préparé durant quatre semestres, avec 120 crédits. Il y a une possibilité d’accès au troisième cycle. Auparavant, pour être admis, il fallait réussir le test d’aptitude en langue française de l’USJ ainsi que le test d’entrée à l’ELFS. Des études pluridisciplinaires Le département du travail social de l’université de Haïgazian existe depuis 1990 et a déjà 46 diplômés à son actif. Il assure un BA (l’équivalent d’une licence) en travail social, qui dure trois ans (les études sont en anglais et il faut avoir passé le TOEFEL pour être admis). Les études sont composées de cours de base, de cours complémentaires (psychologie, sociologie, éducation, etc.) et de cours optionnels. L’Université de Haïgazian ne propose pas d’études du troisième cycle dans le travail social, mais cela ne veut pas dire que les amateurs de cette discipline n’ont pas d’horizons en vue. « Nous avons conçu le système de telle façon que l’étudiant puisse poursuivre ses études dans des disciplines apparentées sans avoir à suivre des cours supplémentaires », explique Frida Abs, directrice de la section du travail social à Haïgazian. « Pour cela, le programme comporte 94 crédits et se trouve être le plus chargé de l’université. Par ailleurs, l’établissement offre la possibilité d’un master en éducation spécialisée, avec une approche principalement axée sur les handicaps physiques, sociaux, mentaux et psychologiques. » Un programme assez chargé peut faire fuir quelques-uns, mais Mme Abs observe que les jeunes manifestent de plus en plus d’intérêt pour cette discipline. « Notre caractéristique, c’est une formation plus orientée vers le travail communautaire », considère-t-elle. Comme les deux autres départements, celui-ci met l’accent sur les stages effectués pendant les études. L’UL, pour sa part, forme depuis 1986 des éducateurs médico-sociaux dans les cinq branches de sa faculté de santé à Beyrouth (les deux sections), à Zahlé, à Saïda et à Tripoli. Les études durent quatre ans, avec des matières relatives à l’intervention dans le domaine médico-social (médecine, sociologie, psychologie, éducation spécialisée, génétique, droit du statut personnel, etc.). Pourquoi l’UL a-t-elle choisi de lier cette discipline au domaine de la santé publique ? « Le pays connaît un grand nombre de problèmes médico-sociaux qui doivent être abordés scientifiquement », explique Hoda Slim, chef du département du travail médico-social dans la branche de Zahlé et présidente du syndicat des travailleurs sociaux. Les différentes branches de l’UL accordent chacune des diplômes à une quinzaine d’étudiants chaque année. Suzanne BAAKLINI Amélioration des conditions de détention L’expérience des travailleurs sociaux dans le milieu carcéral, Denise Murr peut en parler, elle qui a dirigé une équipe chargée d’intervenir auprès des jeunes délinquants à Roumié, dans le cadre de l’organisation internationale Terre des hommes (dont elle est aujourd’hui la représentante). « Ce travail consistait à diriger l’équipe, à rechercher des financements, à établir et entretenir le contact avec les jeunes, même après leur sortie, à s’occuper de leur situation juridique », explique cette jeune assistante sociale dynamique, diplômée en 1992. Rappelons que les assistantes sociales affiliées à différentes ONG assurent des cours d’alphabétisation et des formations professionnelles dans le cadre de la prison. Denise Murr met l’accent sur l’impact positif de la présence des travailleurs sociaux dans la prison en termes d’amélioration des conditions de détention (dont le premier résultat a été la séparation des mineurs et des adultes), des relations avec les gendarmes et avec les familles. Selon elle, les travailleurs sociaux ont été sollicités pour donner leur avis sur la réforme de la loi sur la détention des mineurs. Elle qualifie le métier de « fascinant », notamment le travail avec les jeunes, « qui est une façon de participer au développement du pays ». Un soutien pour le malade et sa famille Quand elle parle de sa profession, Maya Chémali, fraîchement diplômée et récemment engagée à l’AUH comme assistante sociale, s’anime. « Ce n’est pas une profession, c’est une vocation », lance-t-elle, enthousiaste. Sur le travail en milieu hospitalier, elle explique qu’il consiste principalement à aider les patients et leurs familles, sans discrimination aucune, à faire face aux défis engendrés par la maladie. L’intervention peut être de nature psychologique ou émotionnelle, mais financière également au besoin. « Nous travaillons en collaboration avec les autres spécialistes, le psychologue, le psychomotricien, etc., précise-t-elle. Il nous arrive même de faire des médiations au sein des couples ou des interventions dans le cadre des familles. » Les assistants sociaux sont, soit sollicités directement par la famille, soit appelés par le personnel médical. Maya Chémali insiste sur l’approche globale adoptée par l’assistant social, sur son rôle de sensibilisation, sur sa technicité. Travail constructif dans une ONG Cela fait vingt-cinq ans que Marcelle Daou travaille dans le cadre du Service de l’enfant au foyer (SEF), une ONG qui vient en aide aux enfants orphelins de père, tout en les maintenant dans le milieu familial. Pour elle, « les principales difficultés sont de nature financière, pour la récolte des fonds nécessaires ». Elle est capable de juger aujourd’hui des lacunes sur le plan social, comme le manque de places dans les écoles gouvernementales par exemple. Quand elle revoit son long parcours, elle éprouve une grande satisfaction : « Aucun jeune pris en charge par le SEF n’a mal tourné, grâce au suivi effectué auprès des familles. » Elle raconte que le travail sur le terrain lui a beaucoup appris et que « chaque personne rencontrée m’a apporté quelque chose ». L’animation sociale aux multiples facettes Même s’il a suivi une formation d’animateur social, Mohammed Arabi, assistant d’enseignement à l’ELFS, a une expérience antérieure à sa spécialisation. Il est donc bien placé pour juger de la différence entre le bénévolat et le travail spécialisé : « La formation m’a conféré la méthodologie nécessaire pour réorienter et réorganiser mon travail et mon expérience. » L’animation sociale étant de nature communautaire par excellence, il raconte son expérience auprès de populations locales au Akkar. « C’est une profession très riche, à multiples facettes, où il faut être débrouillard puisqu’il s’agit d’intervenir auprès de groupes pour les aider à mieux s’organiser, devenir autonomes, développer leur potentiel », dit-il. Il insiste beaucoup sur l’importance de l’expérience, avant ou pendant la formation, ainsi que sur la culture générale. Les valeurs aussi sont essentielles. « Le travailleur social est toujours à la recherche d’une identité dans le cadre de la mondialisation et de la commercialisation des services », explique Mohammed Arabi. «Pour moi, il doit se démarquer, éviter d’être matérialiste et s’attacher aux grandes valeurs. » Activités sociales à l’école L’une des institutions où le besoin d’une assistante sociale se fait le plus sentir, c’est l’école. Quand elle a été engagée il y a quelque huit ans à l’école des Saints-Cœurs de Hadeth, Denise Souaid devait principalement s’occuper des bourses scolaires et des parrainages. Par une initiative personnelle et beaucoup de persévérance, elle a réussi à diversifier les activités sociales qui englobent aujourd’hui des interventions auprès d’élèves à problèmes ou auprès de leurs familles, un suivi familial en cas de besoin, une formation des parents (notamment un projet de formation en informatique, en anglais et en travaux manuels, destiné aux mères), des séances de communication pour des groupes de parents faisant face aux mêmes problèmes, un club social pour les adolescents et les préadolescents, des colonies de vacances, etc. Denise Souaid indique que la perception de l’assistante sociale a certainement évolué dans les rangs des élèves de son établissement et de leurs parents, mais elle déplore l’absence de ses pairs dans les écoles publiques « où les besoins sont nettement plus grands ».
Peu de métiers sont aussi entourés d’idées reçues que celui du travailleur social. Dans une société où tant de bénévoles se consacrent au domaine social, on n’a pas toujours la juste perception de cette spécialisation tout à fait scientifique, même si elle requiert à la base des qualités de cœur. C’est une profession non encore saturée, diversifiée, loin d’être monotone, que nous proposons cette semaine dans le cadre de notre rubrique hebdomadaire du guide des métiers.


Qu’est-ce qu’un travailleur social ? On peut déjà dire ce qu’il n’est pas, une personne occupée « à faire du bien ou de la charité », qui « ouvre un tiroir pour en sortir de l’argent destiné aux nécessiteux », etc., toutes définitions que les personnes que nous avons rencontrées réfutent catégoriquement. Un...