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Actualités - CHRONOLOGIE

AIDE INTERNATIONALE - Conférence de l’ancien ministre Nasser Saïdi La reconstruction physique ne suffit pas, après une guerre civile

« L’Orient-Le Jour » publie de larges extraits de la conférence prononcée par l’ancien ministre Nasser Saïdi, lors de la conférence internationale sur le dialogue des cultures et la résolution des conflits. Son intervention est intitulée « Promesses chatoyantes, piètre performance : aide et coopération dans les pays sortant d’un conflit ». Plus de 57 guerres et conflits ont eu lieu depuis 1990. Des millions de personnes ont été tuées, estropiées, handicapées, déplacées. Les guerres ont endommagé et détruit le capital physique et l’infrastructure des pays. Cela constitue la partie la plus visible de la destruction et implique une perte de la capacité de produire des biens et services et d’entreprendre le commerce intérieur ou extérieur, ainsi que des investissements. Les guerres ont engendré des chutes de revenu et une hausse de la pauvreté et de la misère. Dans le cas du Liban, j’estime que le revenu par tête d’habitant a chuté de 35 % au moins et la pauvreté a augmenté de façon à inclure quelque 25 % de la population résidante. La destruction moins visible, mais plus importante, réside dans la détérioration et la destruction du capital social des pays en guerre civile. Reconstruire et investir dans le capital social et politique constitue la tâche principale de la reconstruction d’une nation dans les sociétés et économies sortant d’un conflit. En fait, c’est l’incapacité de reconnaître l’importance de la reconstruction du capital social et politique comme pilier fondamental de la reconstruction d’une nation qui a engendré les piètres résultats et performances en matière d’aide et de coopération dans les cas de pays émergeant d’un conflit. Reconstruire l’infrastructure physique détruite, à elle seule, ne pourrait ni restaurer la structure sociale déchirée ni diminuer la probabilité d’un renouvellement de conflit. Quel rôle pour l’aide internationale ? En 2002, l’aide publique au développement (APD) des pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE s’est chiffrée à 57 milliards de dollars, soit 0,23 % de leur revenu national brut (RNB), affichant ainsi un début de reprise par rapport au point bas sans précédent de 0,22 % du RNB dans lequel elle stagnait depuis trois ans. À la Conférence internationale sur le financement du développement, tenue à Monterrey en mars 2002, les pays donateurs se sont engagés à augmenter leur aide publique au développement en faveur des pays en développement. D’après les estimations de l’OCDE, si ces promesses se concrétisent, il devrait en résulter une progression importante de l’APD qui porterait le rapport APD/RNB à 0,26 % d’ici à 2006 – niveau encore largement inférieur aux 0,33 % régulièrement enregistrés jusqu’en 1992. L’aide des pays du CAD de l’OCDE est en baisse depuis 1990 ! Le total de 57 milliards de dollars pour 2002 est seize fois inférieur aux dépenses en armes (un total dépassant les 800 milliards de dollars) ! Or cette baisse a eu lieu pendant la décennie 1990-2000, les « roaring nineties » , de forte croissance dans les pays industrialisés ; il semblerait que l’aide publique au développement baisse, alors que la richesse, la croissance et la productivité augmentent dans les pays riches ! Les pays industrialisés sont bien au-dessous de l’objectif fixé par l’Onu, de contribuer à concurrence de 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement. Malgré tout, l’aide publique au développement peut-elle jouer un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et la reconstruction des pays sortant de conflit ? Les recherches empiriques sur le sujet permettent d’aboutir à la conclusion que l’aide des principaux pays donateurs vise, en priorité, à promouvoir leurs propres intérêts stratégiques. Dès lors, l’aide bilatérale n’a qu’un faible lien avec la pauvreté, la croissance et le développement économique, la démocratie, la bonne gouvernance ou l’aide à la résolution des conflits et la reconstruction des pays émergeant de conflits violents. L’aide étrangère n’augmente pas la croissance économique ni ne réduit la pauvreté en améliorant la qualité des politiques d’un gouvernement et la gouvernance. Bien au contraire, l’aide étrangère a tendance à aller aux gouvernements les plus corrompus. La thèse selon laquelle l’aide et la coopération visent à réformer les gouvernements corrompus ou à stimuler les bonnes politiques économiques et politiques est démentie par les résultats empiriques : l’aide étrangère a tendance à engendrer plus de corruption, et non moins ! Les programmes d’aide et de coopération contiennent souvent des promesses chatoyantes et de bonnes intentions, mais résultent, souvent, en une piètre performance ! L’exemple du Liban-Sud Un exemple indicatif des conclusions mentionnées ci-dessus sur les politiques de l’aide et leurs déterminants consiste dans l’échec de la communauté internationale à gérer la situation après conflit au Liban-Sud suite au retrait israélien après son occupation prolongée du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest en mai 2000. Vu la reconnaissance par la communauté internationale de l’importance géostratégique de la sécurité, la paix et la stabilité au Liban-Sud, l’anticipation des responsables politiques libanais – dont je faisais partie à l’époque – était que l’aide et la coopération internationale seraient immédiates pour une région appauvrie, dévastée suite à deux décennies d’occupation. En effet, la libération du Liban-Sud avait été le seul évènement positif après des années de tentatives stériles pour arriver à un règlement pacifique dans la région. Un plan de développement quinquennal détaillé fut préparé par le Pnud, en coopération avec le gouvernement libanais, en un temps record, et les donneurs conviés à une réunion en juillet 2000, afin de bénéficier de l’euphorie née de la libération des territoires occupés. Trois objectifs avaient été identifiés : un objectif de prospérité, un objectif de sécurité et un objectif de réintégration nationale de la partie sud au Liban. Quatre secteurs avaient été jugés critiques : le déminage, la reconstruction de l’infrastructure, la rééducation et réintégration des anciens détenus des prisons illégales et camps de détention israéliens, et le financement de la reconstruction et du développement de la zone occupée. Hélas, la réponse de la communauté internationale fut honteuse : les organisations internationales telles que la Banque mondiale se sont pliées aux pressions politiques internationales et domestiques, les pays jugés comme amis du Liban se sont abstenus, et d’autres ont argué de leur conjoncture domestique. Divers acteurs – notamment Israël – ont cherché et réussi à saboter les timides efforts internationaux pour participer à la reconstruction du Liban-Sud. En particulier, ces diverses interventions réussirent à ajourner la conférence des donneurs programmée pour octobre 2000. Jusqu’à cette date, aucune conférence des donneurs n’a été tenue et le Liban-Sud continue à porter les cicatrices de l’occupation israélienne et reste un point névralgique de tension géostratégique au Moyen-Orient. En effet, il est maintenant moins peuplé qu’au temps de l’occupation et le revenu par tête habitant a baissé. Aucun des gouvernements libanais depuis octobre 2000 ni d’ailleurs la communauté internationale n’ont cherché à soulager le peuple des zones d’occupation de leur misère et de la mémoire douloureuse de l’occupation. Ce qui, en d’autres circonstances, aurait pu être une véritable occasion pour rétablir la confiance et la crédibilité de la communauté internationale, de créer un exemple réussi d’une région reconstruite suite à un conflit, a été perdue de façon irrécupérable.

« L’Orient-Le Jour » publie de larges extraits de la conférence prononcée par l’ancien ministre Nasser Saïdi, lors de la conférence internationale sur le dialogue des cultures et la résolution des conflits. Son intervention est intitulée « Promesses chatoyantes, piètre performance : aide et coopération dans les pays sortant d’un conflit ».


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