Jusqu’à ce soir et depuis lundi dernier, Paris est à la fête.
Toujours aussi spectaculaire que déficitaire, la haute couture a de nouveau sorti ses griffes pour la grand-messe des défilés parisiens de présentation printemps-été 2004, qui s’est ouverte lundi pour quatre jours.
Les dix maisons de couture qui ont fait une fois encore courir acheteuses, journalistes ou autres chercheurs de tendances tiennent la vedette de ces défilés, secondées par dix créateurs intégrés au calendrier officiel, comme «membres invités» ou «correspondants» de la Chambre syndicale.
Côté haute couture et comme le veut la tradition, c’est la maison Torrente qui a ouvert le bal lundi matin au palais Brongniart, suivie par Christian Dior dans l’après-midi au Polo de Paris.
Mardi, Chanel, compte tenu du nombre d’invités, s’est offert deux présentations dans la matinée quand Dominique Sirop, Christian Lacroix et Givenchy se sont contentés d’une seule.
Pour sa dernière prestation chez Givenchy, le styliste Julien Macdonald a d’ailleurs reçu ses fidèles en ses murs, avenue George V, rompant ainsi avec la politique ostentatoire des «défilés spectacle». Même son de cloche mercredi chez Ungaro, qui souhaite en finir avec «une certaine forme de vanité»: ses modèles étaient donc visibles avenue Montaigne, où deux sessions à la suite furent prévues.
Très attendues ce même jour et dans l’après-midi, les présentations de Scherrer et Jean-Paul Gaultier. Ce dernier s’est installé au palais de la Porte dorée, cultivant son excentricité en sortant la haute couture de l’univers confiné et quelque peu désuet du Triangle d’or parisien où les plus grandes maisons de couture sont installées.
Se sont greffées à ces noms incontournables, de jeunes pousses, pour certaines déjà confirmées, telles Adeline André, lundi après-midi ; la très avant-gardiste Ji Haye qui a détonné mardi dans le cadre du palace Four Seasons George V ou Franck Sorbier, déjà reconnu comme valeur sûre du métier.
La jeune griffe Dupresantabarbara, parrainée par Jean-Paul Gaultier, devra prouver qu’elle est à la hauteur des espoirs de son illustre découvreur ce matin même, alors que le talentueux Élie Saab clôture ce bal de couleurs et d’enchantement, là même où il avait commencé lundi, sous les lambris du palais Brongniart.
Qu’elle influence ou non les cours de la Bourse du luxe au hasard des fusions et des rachats, la présentation annuelle des collections printemps-été demeure un rendez-vous festif qui confirme Paris dans sa position de fer de lance du luxe et du beau.
DI-OR, ou l’or des pharaons
Isis, Osiris, Anubis... tous les dieux de l’Égypte, ses ors et ses pharaons étaient conviés lundi chez Dior pour un défilé littéralement éblouissant servi devant un parterre éclectique rehaussé par une pléiade de stars bouche bée. Tout avait été mis en œuvre pour démontrer, si besoin en était, que Dior se porte de mieux en mieux et, surtout, qu’il continue à porter dans son nom la fameuse boutade de Cocteau: «Dans Dior, il y a Dieu et or.»
Au premier jour de présentation des collections haute couture pour le printemps-été 2004, Galliano, qui a passé dix jours en Égypte en novembre, a aligné les silhouettes longilignes qui rappellent les fresques des pyramides. Pas un tailleur de jour à se mettre dans la garde-robe, priorité aux robes fourreau et aux robes bustier! Les corps sont enrubannés, les bustes engoncés dans des corsets-sarcophages, les hanches soulignées parfois de plissés blancs élégants ramenés sur le devant, dans cette attitude particulière aux silhouettes selon l’esthétique pharaonique: cambrées, une main sur la fesse, l’ autre sur le ventre. Certaines disparaissent sous un grand masque d’Anubis, le dieu à tête de chacal, et d’autres chaussent une parure de tête à cornes dorées à la manière d’Isis.
Une robe se pare de hiéroglyphes, une autre s’orne de manches démesurées ou d’une écharpe blanche plissée nouée devant à la manière des pagnes des Égyptiens de bas-reliefs. Majestueuse dans une longue robe brodée d’or découvrant ses épaules nues, le modèle soudanais Alek Wek glisse sur le long podium de plexiglas, sa démarche altière soulignée par une longue cape de voile. Vient ensuite le décor: mosaïques d’or recréées par des peaux de serpent redorées et découpées en petits carrés rebrodées sur du tissu, fleurs de lotus ornant des robes de mousselines, soies peintes, plumes d’or rejoignant des volutes d’organza, échappées de léopard pour accentuer la finesse du corps, broderies turquoises et corail rappelant les bijoux de l’Égypte ancienne. Les ateliers de la maison de couture et les fournisseurs parisiens de la maison ont fait des prouesses.
Fluide Versace
C’est dans la salle décorée de fresques de la piscine de l’hôtel Ritz, recouverte pour l’occasion, que Versace présentait dans la soirée une collection estivale scintillante à souhait.
Belles et grandes filles aux longs cheveux raides, les demoiselles Versace sortent le jour en pantalons fluides à base évasée et vestes au dos ajouré agrémentées d’un ceinturon de strass. À moins qu’elles ne préfèrent cet ensemble mariant une jupe à un petit haut de paillettes strech argent, sur lequel jeter un mini-blouson de plumes jaune citron. Mais c’est bien dans le «flou» que s’exprime tout le talent de la maison milanaise. Dans ces robes de cocktail sans tissu, faites de chaînettes de perles vertes ou roses rassemblées en seyants drapés. Dans cette petite robe mauve aux épaules allongées de longs rubans, dans ce fourreau bleu aux plis retenus sur la hanche par un cercle de strass, clin d’œil à Loris Azzaro. Depuis le grand escalier menant à la mezzanine, Donatella Versace, le corps aminci, tout de blanc vêtu, est venue saluer un public reconnaissant sous les yeux de son frère Santo, cofondateur de la maison en 1978 avec son autre frère Gianni, disparu en 1997.
Chanel, sévère et frivole à la fois
Longue robe «tige» noire couronnée d’un haut blanc très vaporeux: Karl Lagerfeld pour Chanel a imaginé une collection haute couture qui joue avec les contrastes de volumes et d’esprit, pour être à la fois sévère et frivole, au second jour de présentation à Paris des collections pour le printemps-été 2004.
«Je voulais m’amuser avec les contrastes, le côté tige d’une robe et le côté nuage ou ballon du haut ou inversement», a expliqué le couturier à l’issue du défilé. «C’est le mélange de la sévérité et de la frivolité dans un esprit très couture et romantique», a-t-il ajouté.
Les silhouettes ultralongilignes sont restituées aussi à l’inverse par des vestes-étui ou tubulaires dépouillées, portées sur des robes ou jupes en bouillonnés de tulle de soie et de mousseline, jusqu’à une impressionnante jupe longue asymétrique tout en grosses fleurs et plumes noires.
Le tweed n’est pas en reste, utile à tous les moments de la journée. Le jour, un blouson d’inspiration sport noir et blanc se porte sur une jupe droite à peine rehaussée d’un ruché ton sur ton. Le soir, le tissu presque strict du haut d’une robe s’effiloche en bas à la façon années 20, ou s’associe à une cascade de volants et même à de la mousseline fumée rehaussée de gros camélias de tulle. Dans un esprit plus 60, une robe longue en pastille de tweed écru est parfaite.
Des tons «poussière» ou passés comme le lilas ainsi que les dentelles et plissés donnent l’impression qu’une partie du vestiaire est sortie des armoires de grand-mères. Le côté vaporeux est accentué par des tulles et mousselines effilochés et piqués de plumes d’autruche. Un peu de piquant est apporté par des touches de couleurs, lamé rose ou mosaïques graphiques.
«C’est impeccable», a dit Françoise Montenay, présidente de Chanel, à Karl Lagerfeld à l’issue de la présentation à laquelle assistaient notamment la chanteuse australienne Kylie Minogue et la comédienne britannique Kristin Scott-Thomas.
Au bonheur des «people»
«Sublissime» collection, selon l’expression du mannequin Estelle Lefébure.
Le cinéma de 2004 était aussi de la partie, puisque le cinéaste Claude Lellouch tournait une scène de son prochain film, Les Parisiens, avec Arielle Dombasle, Cyrielle Claire et Maïwenn le Besco, assises au premier rang non loin de leurs consœurs Élodie Bouchez, Ornella Mutti ou encore du ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon.
Autant photographiée que la collection, l’actrice Sarah Jessica Parker, l’héroïne de la série américaine Sex and the City, n’a pas caché son enthousiasme. J’étais abasourdie. «N’était-ce pas extraordinaire?» a déclaré l’actrice, venue à Paris à l’occasion du tournage du dernier épisode de la série.
Croisant le chemin du patron de LVMH Bernard Arnault, elle lui a confié son désir de «vivre avec, dormir avec, prendre mon bain avec», les robes de Galliano, dont le contrat avec Dior vient d’être renouvelé jusqu’en 2007, au moins.
Dans un entretien paru début janvier dans Les Échos, le président de Dior Couture, Sidney Toledano, annonçait pour la marque une croissance organique du chiffre d’affaires à deux chiffres pour 2003 et dépassant «largement les deux milliards d’euros» en 2007.
Grimaldi – Giardina, l’esprit lingerie
Comparativement, et pour son deuxième passage à Paris, le duo italien Grimaldi – Giardina a fait dans la simplicité. Le blanc et autres tons poudrés ont dominé une collection basée sur un travail de découpe des cotons et mousselines: crochet, laser, lanières, effets rubans, etc.
L’esprit lingerie du défilé, avec ses corsets et laçages, a laissé place à la fin à des robes sirènes rebrodées de strass ultralégères.
Le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, l’actrice américaine Sarah Jessica Parker, à Paris le temps d’un tournage, la chanteuse de rock Gwen Stefani (groupe No Doubt) et son rocker de mari Gavin Rossdale (groupe Bush) ont applaudi chaque passage de même que Bernard Arnault, PDG du groupe Dior et de LVMH.
Christian Lacroix
Ce couturier baroque qui n’a jamais eu froid à la palette a présenté une haute couture pleine d’énergie avec ses couleurs vives et sa manière unique de mélanger époques et styles, tandis que dans les salons de Givenchy, l’ambiance était plus feutrée et la couture tout en retenue.
«Ce n’est pas une défense, c’est une attaque!» s’exclamait Christian Lacroix à l’issue d’un défilé où il a voulu «montrer que la haute couture est en forme». «Je voulais montrer l’énergie dans le travail réalisé par les petites mains», a-t-il ajouté.
Et de la bonne humeur, Christian Lacroix en a à revendre. Avec lui, les époques se téléscopent, les références aussi: un trench du XVIIIe siècle côtoie une veste saharienne passée au spray couleur absinthe.
Torrente
et les fifties
Tradition oblige, le coup d’envoi de la semaine de défilés avait été donné en fin de matinée du lundi par Torrente, vénérable maison du Rond-Point des Champs-Élysées, en perte d’identité depuis le départ à la retraite, début 2002, de sa fondatrice.
Auteur d’une première d’une collection de prêt-à-porter agréable, le Français Julien Fournié, 28 ans, a été chargé d’opérer «un virage créatif» à la griffe fondée au début des années 60 par Rose Mett Torrente. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a mis toute son énergie dans une collection où s’accumulent les coiffures, accessoires, broderies, plumes, etc. Quelques réussites sont à signaler, comme ce tailleur pantacourt en soie imprimée fleurie très XVIIIe siècle ou cette robe chemisier en taffetas de soie noire et blanche sous un mini perfecto en agneau citron. D’autres comme le boléro rapace en plumes hérissées où les allusions vaudoues se verraient plutôt sur une scène de théâtre ou au Lido. Malgré l’enthousiasme qui les anime, ses modèles pèchent par un manque d’unité et se perdent dans les références. Le maquillage outrancier des mannequins, l’imprimé japonais d’une veste, la coupe d’un tailleur prince-de-galles, les espagnolades d’une jupe rappellent étrangement, en moins bien, certains modèles de Dior par John Galliano.
Le soir, Julien Fournié s’inspire des carvanals brésiliens et des folies de la cour de France, que l’on retrouve dans l’imprimé fleuri d’un tailleur, l’ampleur d’une robe de tulle géante et des coiffures délirantes que n’aurait pas reniées Marie-Antoinette.
Les couleurs s’entrechoquent et les finitions des robes n’avantagent pas toujours celles qui les portent. Une collection qui risque de décontenancer la sage clientèle de la maison Torrente.
Changement d’ambiance chez Givenchy
La dernière présentation couture du directeur artistique de la maison, Julien Macdonald, a eu lieu dans les petits salons haute couture de la griffe parisienne.
Ce qui ne l’a pas empêché d’être en retard de plus d’une heure en dépit des présences ponctuelles de stars comme Christina Aguilera ou Liv Tyler et du tout nouveau directeur artistique Givenchy pour hommes, Oswald Boateng.
Le style de Dominique Sirop
Des «robes sans pesanteur, suspendues comme retenues dans l’air. Je veux épurer au maximum», explique le couturier, le seul indépendant de la place de Paris à défiler dans le cadre du calendrier officiel et qui «vit depuis sept ans grâce à ses clientes».
Mardi, il a proposé un pantalon traîne surmonté d’un top de mousseline à peine plissé et souligné de dentelle guipure, un tailleur rose poudré et noir au jabot écrasé. Ses robes longues, pour la plupart faites d’une seule pièce de satin et de voile, sans couture ni pince, sont justes retenues par quelques points. L’ornement est secondaire: des traînées de poudre dorées par-ci, quelques éclats de cristaux par-là.
Les étrangers
La haute couture attire de nombreux étrangers qui viennent présenter leurs collections et espèrent que Paris leur servira de tremplin. C’est le cas d’une Japonaise inconnue ici, mais une star du petit écran chez elle grâce à ses prestations dans une série télévisée. Ancienne danseuse étoile, Uno Kanda, c’est son nom, débute son défilé par une série de tutus revus et corrigés. Elle se passionne ensuite pour le long, comme ce fourreau à traîne en cuir blanc à peine rehaussé de strass, ou un autre à manches lampion en satin bayadère et velours noir.
RUBRIQUE RÉALISÉE PAR FIFI ABOU DIB
Veuillez vous connecter pour visualiser les résultats