Le réalisateur Philippe Aractingi et la Arab Finance Corporation (AFC) ont mis au point une structure de financement de films inédite au Moyen-Orient qui, si elle porte ses fruits, pourrait dynamiser la création de contenus audiovisuels dans la région.
Le principe est simple : un véhicule spécial non résident (pour des raisons fiscales) sera créé pour produire et distribuer Autobus pour un budget total de 1,4 million de dollars. Primé au Festival de Carthage pour son scénario, le film est une comédie musicale qui met en scène une troupe de danseurs qui ont décidé de revisiter la « dabké » traditionnelle.
L’argent sera collecté à travers l’émission de 140 certificats de participation de 10 000 dollars chacun. Déposés dans un compte bloqué à la Banque du Liban et d’Outre-Mer, les fonds ne seront libérés que si la somme minimum de 800 000 dollars est réunie. L’usage des capitaux est détaillé dans la notice présentée aux investisseurs, il est contrôlé par un cabinet d’audit.
Ces certificats de participation donnent aux investisseurs des droits équivalents aux actions sans droit de vote dans les sociétés anonymes, explique Walid Hayeck, directeur du département banque d’investissement au sein de AFC. En échange, ils sont prioritaires pour la distribution des recettes jusqu’à remboursement de leur mise initiale, puis jusqu’à ce qu’ils parviennent à un rendement cumulé annuel de 15 % de leur investissment initial. Les bénéfices additionnels leur reviennent ensuite à hauteur de 80 %, les 20 % restants allant à Fantascope Production, la société de Philippe Aractingi. La durée de vie des certificats est de cinq an. Au-delà, toutes les recettes, notamment liées aux droits d’auteur, reviennent à Fantascope Production.
Transformer le produit
culturel en produit commercial
Depuis le début de l’appel à souscription, en octobre dernier, 450 000 dollars ont déjà été réunis. L’Agence intergouvernementale de la francophonie participe à hauteur de 80 000 dollars (ce qui facilitera la distribution du film en Europe), le ministère libanais de la Culture, à hauteur de 20 000 dollars ; 200 000 dollars viennent de petits investisseurs individuels et 150 000 dollars d’un groupe privé libanais. Philippe Aractingi a bon espoir de boucler le tour de table avec la participation d’un groupe koweïtien pour 400 000 dollars, ainsi que celle d’une chaîne de télévision régionale avec qui les négociations sont en cours.
« Si j’avais été demander seul de l’argent on m’aurait ri au nez, car les mentalités ne sont pas encore prêtes, ici, pour ce genre d’investissement, la participation de AFC a été cruciale pour transformer un produit culturel en produit commercial et garantir le sérieux de l’opération », explique Philippe Aractingi. Car, si dans les pays occidentaux, et notamment aux États-Unis, les produits culturels sont un secteur d’activité à part entière, au point que certaines banques sont spécialisées dans l’escompte de titres de financement de films, le domaine est encore nouveau au Moyen-Orient.
C’est l’une des raisons qui a poussé AFC à miser sur le projet, avec l’espoir de rééditer l’expérience ensuite. « Nous étions a priori intéressés pas le secteur des médias au Moyen-Orient, car il s’agit d’un marché émergent dont les fondements sont solides : une langue commune à 250 millions de personnes, un marché moins segmenté que les autres marchés dans la région, une démographie favorable (plus de la moitié de la population a moins de 30 ans) », explique Sami Akhras, directeur général d’AFC.
Création de contenus
De fait, le marché audiovisuel arabe traverse une étape importante de son évolution : après avoir développé les réseaux de distribution et de diffusion, ainsi que les outils de production, le défi consiste aujourd’hui à créer des contenus originaux au lieu de les importer en masse.
C’est donc en misant sur la forte demande de contenus qu’AFC a monté un projet de financement original pour Philippe Aractingi.
D’autant que la particularité d’Autobus est qu’il ne s’agit pas d’un simple film. Le risque aurait été peut-être trop grand pour un premier essai : l’histoire de Hollywood montre bien qu’il n’y a rien de plus aléatoire que le succès d’un film. Les plus grosses productions ont connu des échecs retentissants. L’avantage du projet de Philippe Aractingi est de proposer plusieurs « produits » en même temps.
Le film bien entendu « dont la portée est universelle et qui présente une image positive du Liban, loin des clichés liés à la guerre » ; mais aussi la bande originale dont la composition sera confiée à des musiciens de renom tels que le Libanais Toufic Farroukh et le groupe Afro-Celt (produit par Peter Gabriel) ; et enfin le spectacle musical inspiré du film dont la chorégraphie sera signée Élissar Caracalla.
Sur la base d’études approfondies du marché en Europe et dans le monde arabe, AFC estime que 40 à 50 % des recettes proviendront des entrées en salles ; 5 à 10 % des ventes de disques et des droits d’auteurs ; 5 % des ventes de DVD ; 20 à 25 % des droits de diffusion à la télévision et 15 à 20 % du spectacle.
La musique est en fait au cœur de la stratégie commerciale du projet.
Il s’agit d’une « dabké-beat », c’est-à-dire d’une modernisation de la danse et de la musique traditionnelle libanaise.
Il est prévu de dépenser plus de 100 000 dollars pour la campagne de communication qui permettra des synergies promotionnelles entre le disque et le film : des extraits de la bande originale et des clips seront diffusés avant même la sortie du film, sur le modèle du lancement des comédies musicales indiennes.
Sibylle RIZK
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Le principe est simple : un véhicule spécial non résident (pour des raisons fiscales) sera créé pour produire et distribuer Autobus pour un budget total de 1,4 million de dollars. Primé au Festival de Carthage pour son scénario, le film est une comédie musicale qui met en scène une troupe de danseurs qui ont décidé de revisiter la « dabké » traditionnelle.
L’argent sera collecté à travers l’émission de 140 certificats de participation de 10 000 dollars chacun. Déposés dans un compte bloqué à la Banque du Liban et d’Outre-Mer, les fonds ne seront libérés...