Paul O’Neill, l’ancien ministre de l’Économie de George W. Bush, a jeté un pavé dans la mare avec un livre qui présente le président américain sous un jour peu flatteur à dix mois de la présidentielle. « Le président est comme un aveugle dans une pièce remplie de sourds. Il n’y a visiblement pas de dialogue » au sein de son équipe, estime-t-il dans un livre écrit par un ancien journaliste du Wall Street Journal, Ron Suskind.
Paul O’Neill, limogé en décembre 2002 de son poste, a fourni plus de 19 000 documents à l’auteur qui s’en est servi pour décrire une Administration Bush contrôlée en coulisses par le vice-président Richard Cheney. Le président y apparaît comme un poids plume ignorant des dossiers.
Si cette affirmation n’est pas nouvelle, c’est la première fois qu’elle est étayée par un témoignage venant de l’intérieur au plus haut niveau. Paul O’Neill n’hésite pas non plus à remettre en cause les deux piliers du premier mandat de M. Bush : la guerre contre l’Irak et les réductions d’impôts.
Il indique que la décision de renverser Saddam Hussein était prise avant même les attentats du 11 septembre 2001. « Alors Condi, de quoi allons-nous parler aujourd’hui, qu’avons nous d’inscrit à l’agenda ? » lance George W. Bush à l’adresse de sa conseillère pour la sécurité nationale Condoleezza Rice, lors d’une réunion de son Conseil de sécurité en janvier 2001, dix jours après son entrée en fonctions. « De comment l’Irak déstabilise toute la région, M. le Président », répond-elle. Cela infirme l’argumentation de l’Administration Bush selon laquelle la guerre était justifiée par le danger de voir Saddam Hussein s’allier avec des terroristes après les attentats de septembre 2001.
Paul O’Neill affirme qu’en deux ans passés au secrétariat du Trésor (ministère de l’Économie), il n’a pas vu de preuves concluantes de la présence d’armes de destruction massive en Irak et que la CIA n’en savait elle-même pas beaucoup sur la question.
Il se demande si l’Administration Bush s’est « jetée dans la gueule du loup en envoyant 100 000 soldats au milieu de 24 millions d’Irakiens et d’un monde arabe composé d’un milliard de musulmans ». « Croyez-moi, ils n’ont pas mesuré les conséquences », confie-t-il à l’auteur du livre.
Sur les réductions d’impôts, il est encore plus critique. Décrivant une réunion du cabinet présidentiel en novembre 2002 où il est question du paquet de réductions qui va être présenté au Congrès (et qui sera voté en juin 2003 pour la moitié du montant souhaité par la Maison-Blanche), il y montre un George W. Bush complètement dépassé par l’aspect technique du dossier.
Selon lui, ses avertissements sur l’impact pour le budget sont ignorés et le conseiller politique du président, Karl Rove, finit par emporter la partie avec un argument simple : « Tenez-vous en au principe. »
Le déficit américain devrait atteindre un record de 500 milliards de dollars en 2004 alors qu’il était en excédent lorsque M. Bush est arrivé au pouvoir.
Paul O’Neill passe rapidement sur ses déclarations à l’emporte-pièce qui avaient fait chuter le dollar et mis en émoi plusieurs pays d’Amérique latine qu’il accusait de corruption. Il évoque à ce propos une confidence du chanteur de rock Bono, du groupe irlandais U2, qui l’avait accompagné lors d’une tournée très médiatique en Afrique : « Vous n’êtes pas un homme politique et c’est votre force ».
Ces révélations sont une aubaine pour l’opposition démocrate avant la présidentielle du 2 novembre. Interrogé sur d’éventuelles conséquences sur sa carrière, Paul O’Neill, 68 ans, répond laconique : « Je suis vieux et je suis riche. Ils ne peuvent rien faire contre moi ».
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