Quarante-quatre ans après l’adoption de la loi sur la subvention de la betterave sucrière et trois ans seulement après la suppression de cette subvention, le gouvernement libanais renouvelle son soutien à cette culture traditionnelle. Il propose un mécanisme de subvention certes moins prodigue que le premier, mais qui apporte tout de même une aide de 20 milliards de livres sur trois ans à un produit agricole auquel tiennent encore beaucoup d’agriculteurs, mais dont la compétitivité est mise en doute par le secteur agroalimentaire.
En revenant sur la décision du 22 février 2001 prévoyant la suppression de la subvention de la betterave sucrière, le gouvernement relance le débat sur l’intérêt économique des aides de l’État à la production agricole.
Les éléments qui ont joué en faveur d’une telle mesure sont principalement « la situation économique dans la Békaa, les inondations qui s’y sont produites il y a moins de deux ans et les pressions des lobbys agricoles », explique le ministre de l’Économie et du Commerce, Marwan Hamadé.
Conscient des engagements pris par le Liban dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union européenne et dans la perspective de l’adhésion à l’OMC, le gouvernement a toutefois introduit une série de restrictions à la subvention telle qu’elle était accordée auparavant.
M. Hamadé explique ainsi que la subvention ne dépassera pas les 20 milliards de livres, alors qu’elle était de 62 milliards de livres avant 2001. Cette somme sera allouée sur les trois ans à venir seulement.
De plus, il n’y aura plus de subvention à l’industrie du sucre, mais uniquement à la culture de la betterave.
Les aides s’adressent exclusivement aux petits agriculteurs enregistrés auprès de la coopérative de la betterave sucrière et seuls les terrains d’une superficie de 3 hectares maximum (30 000 mètres carrés) bénéficieront des subventions.
Des plafonds ont été établis pour le nombre de tonnes livrées pour empêcher toute fraude et le plafond minimum a été fixé selon la teneur en sucre de la betterave.
Par ailleurs, le prix de la tonne de betterave sucrière payé par l’État, et dont la teneur en sucre est de 15 %, est fixé à 102 000 livres au lieu de 120 000 livres.
« L’armée libanaise et la Direction générale de la betterave sucrière contrôleront les quantités livrées et les superficies cultivées, qui ne dépasseront pas les 3 000 hectares », ajoute le ministre de l’Économie.
Cette décision de rétablir « partiellement » la subvention de la betterave sucrière suscite cependant bien des remous, tant parmi les membres du gouvernement qu’au sein des industries agroalimentaires. Les critiques et les réserves exprimées ne se limitent pas à la subvention mais visent aussi la betterave en tant que telle.
Un produit à valeur ajoutée ?
En 1959, lorsque l’État décide de subventionner la betterave sucrière, celle-ci était devenue la culture de prédilection des agriculteurs du centre de la Békaa.
Le projet de subvention coïncide également avec l’établissement de la première sucrerie libanaise dans la Békaa.
En dix ans, la betterave connaît un essor qui lui permet de supplanter plusieurs cultures, telles que les pommes, les petits pois ou les pommes de terre.
« La culture de ce produit se prolonge sur près de dix mois, explique Raïf Kassem, actuel propriétaire de l’usine de sucre. Il s’agit d’une période exceptionnellement longue comparée aux autres produits cultivés. »
Quel a été l’intérêt économique de la subvention tout au long de ces années ?
« Tout le monde s’est mis à cultiver des betteraves, déplore le président du syndicat des industries agroalimentaires, Atef Idriss, d’où l’absence de diversification dans le paysage agricole libanais malgré des conditions climatiques très favorables. »
Les représentants du secteur agroalimentaire s’opposent depuis toujours au soutien traditionnel de l’État au système de monocultures.
« Nous ne demandons pas l’arrêt des subventions, mais nous ne voulons pas qu’elles se limitent à la betterave sucrière, au blé et au tabac, qui sont produits en faible quantité, à un coût très élevé et ne sont donc pas destinés à l’exportation », souligne M. Idriss.
Et d’ajouter : « L’État a confiné la production de ces cultures à la régie et à la sucrerie sans permettre la participation du secteur privé et cette situation de monopole n’est pas adéquate pour lier la production locale au marché. »
L’État est mis en cause donc, tant pour avoir négligé les autres cultures que pour l’absence d’une vision agricole.
Pour le président du syndicat de l’agroalimentaire, « la culture des betteraves s’est concentrée dans le centre de la Békaa, alors qu’il fallait la développer dans les zones défavorisées comme Baalbeck-Hermel en tant que substitut aux cultures interdites ; de plus, il fallait finaliser le projet d’irrigation de l’Oronte au lieu d’investir massivement dans la culture de la betterave dans le centre de la Békaa ».
Des membres du gouvernement actuel, les représentants du secteur agroalimentaire et même des négociants en sucre sont d’accord pour dire en effet que le montant de la subvention avant 2001 était trop élevé.
« Elle s’élevait à 1 000 dollars la tonne alors que dans presque tous les pays, la subvention varie entre 200 et 300 dollars la tonne », explique Élie Yazbeck, importateur de sucre.
De son côté, le ministre de l’Économie estime que le Liban se doit d’éliminer les subventions s’il entend se conformer à sa politique d’austérité.
Les représentants du secteur critiquent également le fait que la subvention augmente le prix des terrains cultivables. Selon M. Idriss, « le meilleur prix dans le monde se situe à environ 30 dollars, alors qu’au Liban, il est de 150 dollars ; cela affecte les autres produits agricoles dont le coût augmente parfois de 30 à 40 dollars et affaiblit leur compétitivité par rapport aux produits similaires importés ».
Il ajoute : « Nous ne pouvons pas concurrencer la production provenant d’Égypte ou de Syrie où le prix de la terre est de moins de 30 dollars le m2. »
Pour le président du syndicat de l’agroalimentaire, la subvention ne profite même pas aux petits agriculteurs, bien au contraire.
« Des 60 millions de dollars alloués, les betteraviers ne touchaient que six millions de dollars ; le reste allait aux agriculteurs influents et aux propriétaires des terrains. »
Le problème principal reste cependant que le sucre local extrait de la betterave ne peut faire face à la concurrence du sucre importé.
Selon les experts, le coût de la tonne de sucre produit localement, qui s’élève à environ 1 050 dollars, est quatre fois plus cher que le coût de la tonne de sucre importé d’Europe notamment, estimé à 250 dollars.
Les représentants du secteur agroalimentaire contestent également la hausse des prix des produits contenant du sucre, notamment au sein de l’industrie des boissons gazeuses.
M. Kassem s’en défend : la quantité présente dans les produits est généralement si minime que la hausse des prix est négligeable pour le consommateur.
Une culture qui ne mène
à rien ?
Faut-il cesser pour tous ces motifs d’investir dans la culture de la betterave ? Quel est l’intérêt de subventionner la betterave à prix modéré ?
À la dernière moisson avant la suppression de la subvention, la sucrerie de Raïf Kassem produisait quelque 40 000 tonnes de sucre à partir de 360 000 tonnes de betteraves cultivées sur 7 000 hectares. « Avant 2001, nous assurions environ 35 % du marché local de sucre », souligne M. Kassem.
De son côté, M. Yazbeck évalue les importations du Liban à 110 000 tonnes de sucre par an, une sortie d’argent d’environ 30 millions de dollars.
Reconnaissant que le Liban ne produira jamais des quantités suffisantes pour l’exportation – à moins de mettre au point un système exceptionnel de raffinage –, le négociant en sucre estime cependant qu’il faut investir dans cette denrée largement consommée au Liban.
« On a besoin de produire entre 70 000 et 110 000 tonnes de sucre par an car la production telle qu’elle était avant 2001 ne suffisait pas », explique-t-il, ajoutant que l’usine extrait 8 à 9 % de sucre de betterave, alors que dans tous les pays, on en extrait 12 à 14%.
M. Yazbeck estime en outre qu’il faut « diversifier au sein d’un même créneau en investissant dans les dérivés du sucre comme l’alcool, la mélasse, les produits cosmétiques, la nourriture pour animaux, etc. ».
Un problème global
M. Yazbeck met en garde contre la suppression définitive de la subvention tant que la question des cultures de substitution n’a pas été résolue. Outre les considérations d’ordre social – environ 15000 personnes vivent de la betterave –, il estime qu’il faut offrir aux betteraviers une alternative avant qu’ils ne se tournent vers d’autres secteurs.
Après l’échec du programme des cultures de substitution du Pnud, le projet Agroplus, proposé il y a trois ans par le gouvernement, Idal et le syndicat de l’agroalimentaire comme substitut à la culture de betteraves est resté lui aussi lettre morte.
Selon le ministre Marwan Hamadé, « il a été recommandé au ministre de l’Agriculture d’établir et de mettre en application un projet de substitution de cultures qui favoriserait la production des fleurs, des raisins, des fraises, des framboises, des herbes ou encore des fruits organiques ».
La remise de la subvention pour trois ans sera-t-elle une autre fuite en avant ou un sursis pour l’agriculture libanaise ?
Rana MOUSSAOUI
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En revenant sur la décision du 22 février 2001 prévoyant la suppression de la subvention de la betterave sucrière, le gouvernement relance le débat sur l’intérêt économique des aides de l’État à la production agricole.
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