Rechercher
Rechercher

Actualités

La loi de 1916 a fait de l’anglais la seule langue autorisée à l’école La lente disparition des francophones

Hier, Napoléon et Thomas Jefferson passaient au tribunal à La Nouvelle-Orléans. Dans un procès spectacle mis en scène par le barreau francophone de Louisiane, le premier était jugé pour avoir abandonné les Français vivant en Louisiane en 1803. L’acte de vente, disait l’accusation, ne prévoyait pas suffisamment de garanties de protection de la culture et de la langue françaises. Jefferson était, lui, accusé, entre autres, d’avoir tenté de faire disparaître la langue française.
Deux siècles plus tard, que reste-t-il du français en Louisiane ? « Y a mon voisin et moi », rigole le chanteur Zachary Richard. Difficile d’ailleurs d’apercevoir un voisin depuis sa maison cachée sous les arbres. Selon les chiffres plus précis du dernier recensement, ils seraient encore 200 000 francophones en Louisiane. Les grands-parents de Zachary Richard appartenaient à la dernière génération de « francophones monolingues ». Ses parents, octogénaires aujourd’hui, « ont rencontré l’assimilation de manière brutale ». La loi de 1916 fait de l’anglais la seule langue autorisée à l’école.
Pas très loin, à Basile, en plein pays cajun, Daniel, 62 ans, raconte « les bleus sur les fesses », les coups de fouet reçus à l’école à chaque fois qu’il parlait français. Lorsque « l’américanisation » bat son plein à partir des années 30, il devient mal vu de parler français. Les « Texiens » et les autres anglophones arrivent afin d’exploiter le pétrole de la région. Pour se faire embaucher dans ces entreprises qui paient mieux qu’ailleurs, il faut parler anglais. Un commerçant installé en pays cajun se souvient comment un ami employé à la banque lui avait déconseillé d’y parler français s’il voulait y faire un emprunt. Ceux qui continuent à parler français sont agriculteurs ou éleveurs et ne sont pas allés à l’école. « C’est à ce moment-là que le français est associé à l’ignorance et à la pauvreté », raconte Zachary Richard dont le bureau, entre documents familiaux et livres de la fin du XIXe siècle, est un véritable petit musée d’histoire de la Louisiane. Ses parents lui ont parlé en français. La plupart des gens de cette génération évitaient de le faire, croyant que l’anglais assurerait plus de portes ouvertes à leurs enfants. David Chéramie entendait ses parents discuter en français, entre eux seulement. De cette langue, lui ne connaissait que « maudit diable », les jurons et les insultes. Il a réappris le français plus tard, explique-t-il dans le bureau du Codofil décoré d’une pancarte « Ici on est fier de parler français ».
Le Conseil pour la défense du français en Louisiane est né du « réveil ethnique » des années 60. Autre écho, les programmes d’immersion au français mis en place dans les écoles dans les années 80 : les élèves suivent tous leurs cours en français, à l’exception d’une heure d’anglais par jour. Près de 3 000 enfants sont aujourd’hui inscrits dans ces programmes d’immersion, des Cajuns qui tiennent à leur héritage comme des « Américains » qui veulent une carte de plus pour leurs enfants. « Ici, le programme est devenu intouchable », se réjouit Nicole Boudreaux, responsable de celui de Lafayette qui, avec 830 élèves, est le plus gros de Louisiane.
À quelques kilomètres de là, celui d’une école fréquentée essentiellement par des enfants noirs met la clé sous la porte, faute d’élèves dans les classes. « La nouvelle directrice n’y tenait pas. »
Ils ne sont peut-être plus que quelques poignées à pouvoir dire « I am an American mais je ne suis pas américain », mais le français est encore là, de l’avenue du Général-de-Gaulle de La Nouvelle-Orléans jusqu’au village de Grosse Tête en pays cajun. « Le français fait partie de notre identité, même pour ceux qui ne parlent pas la langue », note David Chéramie.
Les Cajuns de Louisiane se sont officiellement réjouis des excuses récentes du Canada pour les « torts historiques » endurés par les Acadiens, ces Canadiens francophones victimes d’une déportation massive entre 1755 et 1763. Secrètement, on ne sait pas bien si on doit s’en plaindre. « S’il n’y avait pas eu le Grand Dérangement, on serait en train de se geler sous un mètre de neige », rigole David Chéramie.

G. F.
Hier, Napoléon et Thomas Jefferson passaient au tribunal à La Nouvelle-Orléans. Dans un procès spectacle mis en scène par le barreau francophone de Louisiane, le premier était jugé pour avoir abandonné les Français vivant en Louisiane en 1803. L’acte de vente, disait l’accusation, ne prévoyait pas suffisamment de garanties de protection de la culture et de la langue françaises. Jefferson était, lui, accusé, entre autres, d’avoir tenté de faire disparaître la langue française. Deux siècles plus tard, que reste-t-il du français en Louisiane ? « Y a mon voisin et moi », rigole le chanteur Zachary Richard. Difficile d’ailleurs d’apercevoir un voisin depuis sa maison cachée sous les arbres. Selon les chiffres plus précis du dernier recensement, ils seraient encore 200 000 francophones en Louisiane. Les...