Dans le centre historique de Gdansk, la statue de Neptune, dieu de la mer, domine la place centrale, alors que tout le long du vieux port, l’architecture hanséatique propre à tous les havres de la Baltique révèle sa beauté à travers ses nombreux monuments.
Au milieu de ceux-ci, trône Lech Walesa dans un luxueux bureau surplombant la place centrale.
Du haut de ses 60 ans, les cheveux grisonnants, Walesa étonne par sa cravate chamarrée et son gilet en cuir noir flairant fort le tannin sur fond de chemise bleu Denim.
Même sa moustache légendaire, rappelant jadis celle du maréchal Pilsudski, autre héros national et père de la République polonaise indépendante, à qui Walesa aimait tant ressembler, semble moins fournie.
Symbole de la lutte du peuple polonais contre l’oppression soviétique, héros de Solidarité, premier syndicat libre en terre communiste, prix Nobel de la paix en 1983, premier président élu démocratiquement dans une « démocratie populaire », fervent catholique qui a bénéficié du soutien de l’Église, guidée par un compatriote, Karol Wojtila, pour opérer une première déchirure dans le Rideau de fer, Lech Walesa n’est plus ce qu’il était.
Une réponse à tout
Ses contradictions et son discours à l’emporte-pièce sont étonnants, pour ne pas dire incongrus. Sa vision simpliste des problèmes du monde actuel et son optimisme illimité trahissent un amateurisme politique. Le héros de Gdansk veut convaincre qu’il a une réponse à tout...
Première question ! Première question ! lance-t-il en direction de l’interprète, faisant fi des présentations. En plus, avec un tarif de 40 000 dollars par conférence à l’étranger, le temps de l’ancien électricien des chantiers navals Lénine est très compté...
La guerre en Irak ? Elle pouvait être évitée, « il suffisait d’appliquer ma vision d’un monde nouveau ». Un nouvel ordre international où « l’Onu serait un Parlement mondial, le Conseil de sécurité un gouvernement mondial et l’Otan un ministère de la Défense international ».
Pour Walesa, ces institutions doivent veiller sur un monde nouveau, né de la chute du bloc communiste, un monde monopolaire « organisé d’une meilleure façon ».
Il croit fermement à cette nouvelle gestion du monde, « qui ne lui manque que les détails et les points techniques pour qu’elle soit réalisée ». « Si ma proposition avait été appliquée, il n’y aurait pas eu de problème irakien », insiste-t-il.
Cependant, le héros de Solidarnosc avoue qu’il y a problème dans le monde actuel : « Après la chute de l’URSS, nous avons une seule superpuissance, les États-Unis, une superpuissance dynamique qui œuvre pour ses intérêts et, de l’autre côté, il y a l’Onu, qui a raison mais qui est sans pouvoir », et d’ajouter : « Nous avions donc un mauvais choix, l’Onu pèche par son impuissance et les USA par leur hyperpuissance. La Pologne ne savait pas quoi faire, elle a dû choisir le plus fort. » « Les États-Unis ont conscience de leur puissance, mais ils doivent agir en conséquence. Peut-être réformer l’Onu, ou bien la dissoudre et reconstruire une autre instance internationale, mais la situation actuelle n’est pas propice, et ceci peut être dangereux et finira par une catastrophe. »
Proche-Orient
et lutte antiterroriste
Prié de dire s’il voit actuellement dans les États-Unis la même nation qui a volé à son secours vingt ans plus tôt, Lech Walesa rétorque que les États-Unis doivent être une « bonne superpuissance et cesser de vouloir dominer le monde, car ceci est inacceptable », avant de se reprendre : « Je veux tout le bien pour les Américains, mais ils ne peuvent pas continuer à appliquer leur politique actuelle. »
Pour ce qui est de la crise au Proche-Orient, le prix Nobel de la paix revient sur son projet de nouvel ordre mondial, ajoutant que les grandes puissances « doivent démilitariser la région et y assurer sa défense, coupant les mains à tous ceux qui oseraient porter les armes ! »
Mais Israël a toujours refusé d’accepter une force d’interposition internationale ? « Israël veut éviter par tous les moyens une solution internationale alors que l’Onu adopte des résolutions qui n’ont jamais été appliquées. Dans le nouvel ordre mondial, ceci sera inacceptable, et donc le monde doit soutenir ma solution : réformer l’Onu ».
Sur le plan de la lutte antiterroriste, Lech Walesa donne entièrement raison aux États-Unis, « car sans punition, les terroristes seront partout et l’Onu pourra prendre des résolutions à n’en plus finir sans que cela ne serve à quelque chose ». « Heureusement que les USA ont réagi après les attaques du 11 septembre, et je suis avec eux. Demain, Moscou pourra être brûlée par les Tchétchènes et je pense aux capitales suivantes : Londres, Paris, Tokyo, peut-être ici même. » Le terrorisme, poursuit-il, a ses racines dans la guerre froide. « Les deux grandes puissances avaient alors une prédilection pour le terrorisme, ils employaient et finançaient les terroristes. Après la chute du communisme, ils ont coupé les liens avec eux. Désœuvrés, privés de leur gagne-pain, les terroristes sont partis alors à la recherche d’autres sources de financement, et c’est ce qui a causé le problème actuel. »
Le comité Nobel, « un
groupe de commerçants »
Prié de donner son avis sur le prix Nobel de la paix 2003, accordé à la militante iranienne des droits de l’homme, Shirin Ebadi, l’ancien lauréat de la prestigieuse distinction internationale nie avoir qualifié la décision de l’institut suédois de « grave erreur ». Il affirme que les journalistes ont déformé ses propos, ajoutant cependant que le comité Nobel ressemble à un groupe de commerçants : « Les membres de ce comité ont réagi de façon calculatrice, ils pensent que le prix Nobel aidera le mouvement réformateur en Iran. Ils ont attribué le prix à Shirin Ebadi car ils veulent renforcer la lutte démocratique en Iran. Mais s’il y avait une justice dans le monde, le prix aurait été attribué à Jean-Paul II. »
Esprit de revanche ?
Par ailleurs, l’ex-président polonais s’efforce de rester serein quand on évoque devant lui sa cuisante défaite électorale lors de la présidentielle de 2000 : « Je n’ai pas été vaincu », affirme-t-il. « J’ai vaincu les communistes et ils m’ont remercié pour ce que j’ai fait pour mon pays. Ils ont affirmé que je suis le meilleur et ont avoué que le communisme était un mauvais système. Actuellement, ils ne font qu’appliquer mon propre programme : mise en place d’une économie libérale, adhésion à l’Otan et à l’Union européenne, rapprochement avec les États-Unis, etc... », avant d’ajouter : « Ils ont affirmé qu’ils appliqueront ma politique d’une meilleure manière, la preuve, ils (les actuels dirigeants polonais, tous issus de l’ancien Parti communiste) ont des diplômes supérieurs que je n’ai pas, je les ai donc vaincus deux fois... », avant de conclure : « Les ex-communistes sont devenus capitalistes. Ils défendent plus que moi le système libéral. »
Mais le ton de l’ancien leader de Solidarité devient subitement plus grave quand est évoqué le nom de son ancien geôlier, le général Wojciech Jaruzelski : « En tant que chrétien et homme politique, j’ai pardonné à Jaruzelski, affirme-t-il, mais je pense qu’il faut juger tous les responsables du régime communiste, car ce sont des traîtres à la patrie. Ils nous ont trahis, tout comme l’Occident qui nous a lâchés en 1945, en offrant la Pologne à l’URSS, alors qu’on était sans défense », avant de tempérer ses propos : « Le général Jaruzelski et ses acolytes appartiennent à une triste époque. La faute en est peut-être cette époque qu’ils ont vécue » et de conclure : « En tout cas, ce n’est pas à moi de juger Jaruzelski, il y a des institutions pour cela : la police, la justice... comme dans tout État démocratique. Enfin, il y a un Dieu qui juge tout le monde. »
Come-back politique ?
À propos de son retour sur la scène politique, l’ancien président polonais affirme qu’il n’est pas pressé : « Je me présenterai pour la prochaine présidentielle, mais je ne suis pas sûr de l’emporter. En tout cas, je n’ai pas une soif maladive du pouvoir. Je préfère être une référence morale et défendre mes idées concernant la réforme de l’Onu et l’avenir de la Pologne. »
Pas mauvais calcul, quand on sait que le parti de M. Walesa n’est plus représenté à la Diète, que le vainqueur du communisme n’a reçu que 1 % des voix lors de la présidentielle d’octobre 2000, et que Solidarnosc, qui avait rompu tout lien avec son ancien leader emblématique, est voué à un simple rôle de syndicat, après un désaveu populaire total.
Signe des temps, la Pologne est gouvernée par les ex-communistes, devenus chantres de l’économie de marché, et le gouvernement actuel s’occupe surtout à mener à bien l’adhésion du pays à la grande famille européenne.
Quant aux chantiers navals de Gdansk, berceau de la lutte anticommuniste, ils ont fait faillite.
Les Polonais, eux, occupés par leurs fins de mois difficiles, en ces temps de marasme économique, ont oublié Walesa-le-rebelle, celui qui a su tenir tête aux hommes en gris, qui ont figé, des décennies durant, la Pologne dans le grand glacis du communisme, à l’ombre du grand frère soviétique.
Mais ils ne sont pas prêts à oublier Walesa l’arrogant, celui qui, lors d’un débat électoral télévisé, avait traité son rival de tous les noms, alors qu’un Alexander Kwasniewski, ex-apparatchik et actuel président, gardait sa courtoisie et tout son sang-froid.
En fait, pour les Polonais, Walesa n’est plus qu’un souvenir lointain. Un monument appartenant à une époque révolue tout comme la statue de Neptune, dieu de la mer, qui domine la place centrale de Gdansk...
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