Comment a-t-on pu laisser des établissements commerciaux, industriels ou agricoles accumuler autant de dettes ?
Toutes les parties conviennent que la principale cause du problème se situe au niveau des taux d’intérêt exceptionnellement élevés tout au long de la période de l’après-guerre.
Au début des années 1990, ces taux ont gonflé les dépôts dans les banques, entraînant une croissance bien plus artificielle que réelle, selon Shadi Karam, PDG de la BLC Bank.
Ces taux d’intérêt ont commencé à augmenter de manière démesurée lorsque l’État est entré en force sur le marché de la dette, provoquant ce qu’on appelle un effet d’éviction, dit-il. « Le simple jeu de l’offre et de la demande explique en soi l’augmentation des taux d’intérêt », selon M. Karam.
S’ajoute au niveau élevé des taux le fait que les banques étaient obligées d’accorder des crédits à court terme au secteur privé, leurs ressources étant à court terme. « Nous ne pouvons faire autrement, plaide le PDG de la BLC Bank, lorsque la durée de vie des dépôts n’excède pas les 47 jours. » Il précise que la BDL a essayé de mettre en place des mécanismes qui permettraient aux banques de prêter à long terme, comme les taux bonifiés ou des programmes comme Kafalat.
De leur côté, les commerçants, les industriels et les autres agents du secteur privé ont contracté des emprunts pour financer des projets d’investissement en se fondant, selon le président de l’Association des industriels, Fadi Abboud, sur des promesses de paix dans la région, de baisse des coûts, etc.. Les banques, quant à elles, se croyaient protégées par les garanties immobilières adossées à leurs créances.
Or les promesses sont restées lettre morte et la crise économique a frappé la plupart des secteurs. « Les industriels n’ont pas supporté la baisse des tarifs douaniers en l’an 2000, affirme M. Abboud, et leurs dettes ont commencé à s’accumuler. » Étant donné ses charges financières élevées, un industriel par exemple ne pouvait plus faire du marketing, ni acheter des matières premières à bon marché, ou encore essayer de moderniser ses équipements. Résultat : son actif n’est plus productif.
Sauver la capacité
productive
Des taux d’intérêt galopants, des créances qui s’accumulent, des entreprises immobilisées, bref une situation désastreuse pour l’économie nationale, d’autant plus que, selon le secrétaire général de l’Association des banques, Makram Sader, le ratio des créances douteuses par rapport au total des créances dans les banques est de 30 %, l’un des plus élevés au monde. Et ce stock de créances augmente chaque année par le jeu du renouvellement incluant à chaque fois les taux d’intérêt.
Toutes les parties ayant intérêt à trouver un compromis, un projet de règlement du problème du surendettement a vu le jour cette année. L’Association des banques et les parties endettées ont abouti à un accord sous l’égide de la Banque du Liban, qui a émis pour l’occasion la directive no 37, datée du 7 octobre 2003. Le but est de sauver la capacité productive des entreprises privées, en effaçant une partie des créances douteuses, transformées en créances recouvrables.
La première étape du plan consiste à recalculer la créance, en déduisant le montant des biens immobiliers mis en garantie, du montant total de la créance douteuse.
La banque acquiert ces biens immobiliers et les amortit sur 20 ans, selon la directive n° 37. Un commerçant endetté de 10 millions de dollars et dont les biens acquis par la banque sont estimés à six millions de dollars se retrouve avec une dette de quatre millions de dollars. Il jouit en outre d’un droit de préférence lorsque la banque décide de revendre ou de relouer ses équipements.
Deuxièmement, la dette est alors recalculée en ne tenant pas compte des intérêts accumulés depuis 1997. À la place, est appliqué un taux sur lequel s’entendent la banque et son client. Dans le meilleur des cas, il s’agira du taux débiteur préférentiel du marché de Beyrouth (7,75 %), alors que le taux moyen débiteur pratiqué durant la période considérée était de 12 %. Les banquiers précisent cependant que le taux préférentiel ne sera pas adopté dans tous les cas.
Troisièmement, le mécanisme offre aux endettés la possibilité de rééchelonner ou de restructurer la dette nette sur une période allant de 5 à 10 ans, en utilisant le même taux d’intérêt sur lequel se sont entendus la banque et le client.
« Le mécanisme a plusieurs effets sur le bilan, estime M. Karam, tels que la baisse du montant des créances douteuses et la reclassification de l’entreprise comme étant un établissement viable grâce à un actif redevenu productif. » « Il aura également des effets macroéconomiques, comme la reprise de la croissance et la baisse du chômage », ajoute-t-il.
En somme, il s’agit d’un plan de sauvetage pour le secteur privé qui, selon Makram Sader, a un besoin urgent de se restructurer.
Fadi Abboud se demande toutefois si ce mécanisme permettra aux commerçants, aux industriels, ainsi qu’aux autres secteurs concernés de pouvoir respirer quelque peu avant d’être en mesure d’investir à nouveau. « Effacer le passé est une chose, construire pour le futur en est une autre », souligne-t-il.
« Un premier pas positif »
Pour les commerçants, ce mécanisme constitue un premier pas positif vers le règlement du problème du surendettement.
Selon le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nadim Assi, les entreprises commerciales comptent « payer leurs dettes jusqu’au dernier centime ».
« Tout ce que nous demandons aux banques, c’est de la bonne foi ; en cinq ans, nous pouvons nous restructurer », dit-il.
Bien que certaines banques aient exprimé quelques réserves quant au mécanisme, les commerçants espèrent qu’elles répondront à l’appel. Selon Shadi Karam, les banques sont prêtes à « faire des sacrifices » dans l’intérêt de l’économie, quitte à renoncer à quelques profits issus des marges d’intérêt.
Rana Moussaoui