Chacun de ces jeunes a son histoire, son passé et son lot de souffrances. Habitants des régions pauvres, comme Sabra, Bourj Brajneh, Hay el-Sellom, et issus de familles modestes et nombreuses, ils ont généralement quitté l’école très jeunes. Qu’ils travaillent ou qu’ils soient sans profession, ces adolescents ont été confrontés à des difficultés majeures qui les ont conduit à enfreindre la loi. Chômage, pauvreté, violence, mésentente, alcoolisme, négligence des parents, parfois même abus sexuels sont le lot quotidien de ces enfants qui, privés de repères, glissent progressivement dans la délinquance.
400 mineurs suivent une
rééducation chaque année
À Fanar, 76 % des délinquants sont actuellement accusés de vol, 20 % d’abus sexuel sur un autre mineur, alors que 4 % auraient commis un crime, généralement un crime d’honneur ou de vengeance. C’est le cas de Ziad, âgé de 16 ans, qui a passé une année au centre de rééducation de Fanar pour avoir tué un père qui le maltraitait depuis sa plus tendre enfance.
Mais ces chiffres sont variables, d’autant plus que près de 400 mineurs effectuent un passage plus ou moins long au centre de rééducation, chaque année. Quant aux peines, elles sont plus ou moins lourdes et varient de 3 mois à 3 ans de détention, en fonction des éléments du délit, des circonstances atténuantes, de la récidive. Un mineur est parfois même placé au centre de détention de Fanar pour y être protégé de ses propres parents. En effet, un enfant âgé de 11 ans a été placé au centre de Fanar après avoir été initié par son père à se droguer en absorbant des médicaments. Il a été transféré par la suite dans un centre de désintoxication.
Dans le bâtiment du centre de rééducation de Fanar, spécialement aménagé pour recevoir les jeunes délinquants, la vie semble bien organisée. Les horaires sont fixes et l’emploi du temps chargé, mais les loisirs ont leur place. Réveillés à six heures trente, les enfants consacrent leurs matinées aux cours d’alphabétisation, aux études ou à la formation professionnelle, notamment aux métiers de forgeron, de menuiserie, de couture, de cuisine, d’électricité ou autre...
Après leurs cours ou leur formation, certains d’entre eux sont placés dans des usines environnantes, afin de pratiquer leur métier durant la période de détention.
Une vingtaine d’éducateurs, de psychologues, d’assistantes sociales et de formateurs encadrent ces jeunes auxquels ils tentent d’inculquer une certaine éducation. Comportement, savoir-vivre, mais aussi relations entre les adolescents et leurs parents, nombreux sont les sujets d’intervention des éducateurs auprès de ces jeunes, souvent abandonnés par leur famille après avoir commis leur délit. Depuis qu’il a été placé à Fanar après avoir commis un vol, Karim, âgé de 12 ans, est rejetté par son père. La situation de l’enfant était devenue d’autant plus grave que ses parents étaient séparés et que ses relations avec eux ont toujours été conflictuelles.
Quant aux loisirs, ils prennent une place importante dans la vie quotidienne des enfants du centre de Fanar. En effet, ces derniers exercent régulièrement des sports comme le football, le basket-ball, le volley-ball et le ping-pong. Par ailleurs, une sortie est organisée une fois par mois à leur intention et ils ont même la possibilité, de temps à autre, de rencontrer des écoliers et des étudiants avec lesquels ils participent à des activités.
Une solution provisoire,
en attendant mieux
Les enfants placés au centre de rééducation de Fanar ne sont pas coupés de leurs famille. Bien au contraire, ils peuvent recevoir la visite de leurs parents une fois par semaine, et lorsque leur comportement est satisfaisant, ils sont récompensés en passant deux jours chez eux. « Les jeunes de Fanar ne se sentent pas emprisonnés, remarque le directeur du centre, Georges Matar. Non seulement le cadre est agréable, mais une relation étroite s’est progressivement établie entre les jeunes et leurs éducateurs. »
Certes, un centre de rééducation comme celui de Fanar n’est pas la solution miracle pour l’enfance en difficulté, malgré la présence d’éducateurs et de psychologues. Que représentent quelques mois de détention pour des jeunes qui ont été hors la loi durant des années ? Et que feront ces jeunes une fois libérés ? La grande difficulté pour eux est de trouver un travail, d’autant plus que rien ne les empêche de retomber dans la délinquance, une fois de retour dans leur milieu. Si la famille est une structure de stabilité essentielle pour l’enfant, il est important que les parents demeurent vigilants afin d’empêcher les jeunes d’être à la merci des mauvaises influences. Afin de prévenir la rechute, un centre d’accueil des jeunes devrait bientôt ouvrir ses portes à Halate, visant à faciliter l’insertion sociale des adolescents au terme de leur séjour à Fanar.
Mais peut-on dire que tous les mineurs délinquants sont placés automatiquement au centre de rééducation de Fanar ?
Lorsqu’un délinquant est arrêté pour avoir enfreint la loi, il est soumis à un interrogatoire et placé en garde à vue pour une période de 24 heures. Sa peine est décidée par le juge en fonction de la gravité de son délit, mais aussi de ses antécédents avec la justice. Toutefois, pour protéger les mineurs, une mesure est actuellement appliquée, consistant dans la présence et la participation d’une assistante sociale de l’UPEL à leur interrogatoire, afin de leur éviter d’être soumis à des pressions ou des violences. Cependant, le centre de rééducation de Fanar ne peut à lui seul englober l’ensemble des mineurs délinquants. C’est la raison pour laquelle de nombreux jeunes délinquants sont internés à la prison de Roumieh, alors que d’autres sont amenés à effectuer des travaux d’utilité publique.
Mais depuis le vote de la loi de 2002 de protection des mineurs, les mesures alternatives sont de plus en plus appliquées, notamment par l’UPEL. Ces mesures consistent à garder le délinquant dans son milieu familial, tout en le surveillant et s’assurant de l’évolution positive de son comportement.
Cependant, malgré la prise de conscience du gouvernement de la nécessité de protéger les mineurs délinquants, un problème de taille demeure sans solution, celui des filles délinquantes de 12 à 18 ans. En effet, vu le manque de structures spécialisées à leur intention, celles-ci sont détenues à la prison de Roumieh avec les femmes adultes. Le ministère de la Justice envisage d’aménager bientôt un centre pour délinquantes à Dahr el-Bachek. Encore faudrait-il que ce projet ne soit pas relégué aux oubliettes.
Variations dans les délits
Le bureau de l’UPEL du Palais de justice, chargé de la prise en charge des jeunes, a publié certains chiffres.
Entre le 1er janvier le 15 mai 2003, 74 crimes et 740 délits auraient été commis par des mineurs dans la capitale, du moins ceux qui ont été enregistrés.
Par ailleurs, les délits sont d’importance variable et de genres différents selon les régions. En effet, les vols de motos sont très importants à Beyrouth, alors que le nombre de vols de voitures est plus élevé à la Békaa. Quant aux viols, ils sont signalés plus dans la région du Mont-Liban que dans d’autres régions du pays.
Mieux connaître l’Union pour la protection de l’enfance au Liban
Fondée en 1936, l’UPEL est une ONG qui s’occupe de l’enfance et de l’adolescence malheureuse en danger physique et moral, et ayant des difficultés ou des conflits avec la loi libanaise.
Elle est présidée par Antoine Kheir et sa vice-présidente est Hayat Kabalan. Son comité exécutif est composé de quatorze personnes et une centaine de membres en assurent le fonctionnement.
Le ministère de la Justice ainsi que certaines ONG, ambassades et entreprises privées apportent aides et contributions financières à l’UPEL.
Emanuella VINCENTI ABOU CHÉDID
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