Le trésor des Indiens Pechanga est gardé dans un temple du kitch, un bunker de béton aux prétentions de pyramide aztèque. À l’intérieur, il clignote sans fin dans un vacarme incessant de musique synthétique et de pièces tintinnabulantes. Le trésor de la tribu Pechanga a transformé la réserve de Temecula, au nord de San Diego, en petit Las Vegas. Il se compte en milliers de machines à sous et en dizaines de tables de poker et de black jack. Il comprend un hôtel de 522 chambres, cinq restaurants, un cabaret et une salle de spectacle qui accueille aussi bien des matches de boxe que BB King ou Bing Kosby. Dans un coin, on y trouve même une boutique d’artisanat indien, façon de rappeler au chaland que ce temple de l’argent est là pour sauver une culture ancestrale. Mais voilà qu’Arnold Schwarzenegger a déclaré la guerre aux Indiens de Californie : il veut leur prendre leur trésor. Dans un spot télévisé, il les accuse de s’enrichir sur le dos du Trésor public menacé de faillite et reproche à ses rivaux de s’être laissés acheter. « Ces casinos gagnent des milliards et ils ne paient pas d’impôts, s’insurge le prétendant républicain au poste de gouverneur. Il est temps que les Indiens paient leur part. La plupart des autres candidats ont accepté leur argent et leur sont redevables. Moi, je ne joue pas ce jeu-là. » Il est plutôt rare de voir un candidat s’attaquer à des électeurs potentiels. Mais, dans le rôle du redresseur de torts, Schwarzenegger a choisi l’adversaire le plus faible. « Nations souveraines » selon la Constitution américaine, les tribus ont longtemps été considérées comme étrangères. Les Indiens furent les derniers habitants du pays à obtenir la pleine citoyenneté, en 1924. Après avoir croupi pendant des décennies dans des réserves miséreuses, ils n’ont commencé à redresser la tête qu’à la fin des années 80, lorsque la Cour suprême a estimé que leurs territoires échappaient à la législation sur les casinos. Aujourd’hui, 204 des 335 tribus américaines exploitent de tels établissements dans 48 États. Une mine d’or à l’échelle d’un pays possédé par la fièvre du jeu. Gérés par la communauté, les casinos et le tourisme qu’ils suscitent assurent la prospérité de régions entières. À Temecula, le Pechanga Resort fournit non seulement du travail aux 600 membres de la tribu, mais aussi à 3 000 habitants de la ville. Plus au Sud, les 280 derniers Indiens Viejas emploient 2 700 personnes. « Nous étions trop pauvres pour avoir des voitures, maintenant on roule en Cadillac », résume Bobby Barrett, vice-président des Viejas de Kemeyaay. Un tel trésor exige qu’on le protège. Trop peu nombreux pour peser dans les urnes – ils ne représentent plus que 1 % de la population des États-Unis –, les « Américains de souche » jouent donc sur leur nouvelle puissance financière. Dans plusieurs États (Nouveau-Mexique, Arizona, Dakota du Sud et État de Washington notamment), ils ont directement contribué à l’élection de représentants fédéraux. En Californie, où leurs 53 casinos génèrent 5 milliards de dollars par an, ils ont investi 120 millions de dollars depuis 1998 sur la scène politique. Pour cette seule campagne, ils ont distribué 11 millions des 66 millions de dollars levés par les candidats. Cruz Bustamante, le vice-gouverneur d’origine mexicaine, a eu la part du lion, près de la moitié du magot indien à lui seul. Mais ce n’était peut-être pas le meilleur cheval sur lequel miser. Mark Macarro, jeune président du conseil des Pechanga, a donc changé de stratégie. Dans un spot télévisé, il en appelle à la solidarité des Californiens et accuse Schwarzenegger de vouloir « empêcher les tribus d’occuper leur place légitime dans le processus politique, dont elles avaient été trop longtemps exclues ». Soucieux de « rétablir les faits », le chef Macarro explique que son peuple finance lui-même les infrastructures de la réserve à hauteur de 130 millions de dollars par an, versés dans deux fonds publics : l’un paie pour l’entretien des routes et le salaire des pompiers, l’autre alimente une caisse de solidarité avec les tribus qui n’exploitent pas de casinos. « Ce sont les particuliers qui paient des impôts, pas les gouvernements », relève-t-il.
Dans ce bras de fer préélectoral, Arnold Schwarzenegger a montré ses muscles à peu de frais. Mais, face à une nation souveraine, même limitée à quelques centaines d’âmes, il aura du mal à tenir sa promesse s’il est élu. Les Indiens sont prêts à aller en justice pour défendre les conventions passées avec l’État de Californie. Et ils peuvent s’offrir les meilleurs avocats.
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