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REGARD - Flavia Codsi : «Phases», peintures à l’huile Les mouches du hasard

La carte de visite de Flavia Codsi représente une jeune femme en short et tee-shirt emboîtée dans une niche carrée, cellule cubique trop exiguë pour lui permettre de s’y asseoir sans plier les épaules et baisser la tête aux cheveux acajou coupés courts de manière à escamoter le visage. Elle seule émerge au-dehors de cet étrange écrin creusé dans un mur aux tonalités vertes sur fond de rouge, variantes des teintes des habits et de la chevelure.

Claustromanie
Dès ses premières œuvres de maturité, Flavia Codsi (née en 1961) a été comme obsédée par l’image du corps humain blotti, tassé, rétracté, recourbé, replié, recroquevillé, ramassé sur lui-même, le menton aux genoux, essayant de s’incruster ou de s’encastrer dans une sorte de casier. Dans cette claustromanie, il y a, certes, comme l’écho d’une agoraphobie de guerre : le monde extérieur est dangereux, il faut se garer des obus, se protéger en réduisant au maximum son volume et sa surface d’exposition. Lorsqu’on a passé une partie de sa jeunesse dans les abris, la peur et le tremblement, il en reste des marques indélébiles.

Avatar
On peut se demander si le minimalisme scénographique de ses tableaux, simples fonds bidimensionnels, estrades, banquettes ou praticables qui sont non des meubles mais des accessoires de mise en scène strictement nécessaires définissant un espace neutre pour mettre en valeur les motifs (corps ou fruits) dans un présent intemporel, n’est pas l’avatar des murs nus et des intérieurs anonymes des abris où le temps n’en finit pas de stagner.

Agressivité
Le langage du corps encasé, même quand la case a physiquement disparu ou qu’elle s’est intériorisée, est encore présent parmi les 25 tableaux à l’huile de «Phases». Dans «Contre vents» I et II, seul le mouvement d’arrière en avant des cheveux de l’homme et de la femme indique une sorte de résistance passive au vent qui frappe de dos, alors que dans «Contrevenant» le vent emporte la longue chevelure noire d’avant en arrière. Retournement confrontationnel qui, cependant, s’exprime par la même posture, bras croisés entourant les genoux sur les jambes repliées, la tête engoncée dans le cadre ainsi formé.
Ce n’est plus du vent, mais du bruit que les dormeurs en position fœtale de «Insomnie» cherchent à se protéger en relevant les bras pour se boucher les oreilles. Les pieds crispés, croisés l’un sur l’autre, trahissent la tension insupportable.
Les obus, le vent, le bruit, il y a toujours une agression quelque part. Dans «No fly zone» (expression usitée avant la guerre d’Irak pour les zones d’exclusion aérienne), les agresseurs sont des insectes volants. Dans cette zone interdite aux mouches (le verbe s’est transformé en substantif), une jeune femme s’adosse au mur d’un couloir étroit, son pied prenant appui sur le mur d’en face, une tue-mouches à la main, le visage détourné vers une source de lumière, peut-être l’ouverture par où débouchera la prochaine victime à abattre. Agressivité des deux côtés, vie en état d’alerte permanente.

À l’attaque
Dans «Mêle-toi de tes oignons», une jeune femme en robe d’intérieur noire, les cheveux relevés en chignon avec des vrilles retombant sur le visage, est assise à éplucher des oignons. Scène domestique. Mais, apparemment, quelqu’un d’indésirable est entré dans son champ visuel, empiétant sur sa privauté, l’agressant peut-être par sa seule présence ou par une remarque sur sa tenue négligée. Les pieds nus bien plantés au sol, le poing gauche sur la hanche, le visage fermé et hostile, le couteau de cuisine empoigné de la main droite, elle le brandit d’une manière menaçante, prête peut-être à le lancer au premier pas en avant de l’autre. Là aussi, agressivité des deux côtés : on ne se protège plus passivement, on passe à l’attaque s’il le faut.

Méduse
Même dans «Hirsute» où, sur un fond rouge feu, une jeune femme assise frontalement sur un support invisible, les mains sur son giron, nous dévisage énigmatiquement, les yeux et les lèvres souriant avec ambiguïté, apparente bienveillance ou véritable ironie, on ne sait trop, l’ample chevelure déployée en sinueuses mèches folles est rien moins que rassurante : c’est celle, formée de serpents sifflants, de la représentation classique de la terrible gorgone Méduse qui pétrifiait ses victimes par son regard fascinant (médusant) et que Thésée ne put vaincre qu’en lui renvoyant son regard reflété par son bouclier. C’est la femme fatale, la mante ou l’amante dévoreuse. Le feu d’enfer qui brûle derrière elle n’est pas fortuit. La posture sage et modeste, la décente robe vert foncé sont des pièges: ici, l’agresseuse est aux aguets, prête à griller le premier mâle qui s’aventurerait dans sa propre zone d’exclusion.

Double sens
Et même la jeune femme de «Henné et latex jaune», qui se repose après s’être teint les cheveux, semble méditer un mauvais coup, perdue dans ses pensées : son profil est coupant comme un couteau. Dans «Entracte», le quidam sans visage a l’embarras du choix en matière de masques pour abuser son monde. Ce n’est pas un acteur, c’est vous et moi. Et le chien bâtard piégé sur un praticable haut perché, ne sachant comment en descendre, évoque, dans les doubles sens et les jeux de mots de «Dog day afternoon» et de «Dogfather», tout un monde de violences et de brutalités.

L’angoisse du chaos
Sous son aspect immobile, parfois placide, le monde de Flavia Codsi traduit une tension contenue, comprimée, à la limite du supportable, parfois sur le point d’exploser. C’est sans doute cette violence potentielle qu’il faut endiguer, mettre en case ou en cage comme le sont bananes, pommes, poires et grenadines, chacune dans son compartiment privé, son alvéole, sa cellule carcérale ou son écrin. Passons sur les inévitables connotations érotiques.
Ce besoin d’enfermer les êtres et les choses, mais aussi et surtout les sentiments et les émotions perçus comme fauteurs de troubles, dans des limites strictes à ne pas transgresser, de les emprisonner dans des contours et des contenants rigoureusement définis par crainte de leurs débordements anarchiques, cette obsession d’un ordre structurel face au désordre événementiel (vent, bruits, mouches, intrus…), cette angoisse devant un chaos toujours possible , sont probablement la cause du souci de réalisme pictural de Flavia Codsi. L’exactitude du dessin et de l’image est, elle aussi, une manière de s’abriter des obus, des coups, des secousses, des surprises, une manière de chasser les «mouches», de refermer le cercle sur une «No fly zone» où rien de malvenu ne peut se passer, où tout est sous contrôle.

Revendiquer la maîtrise
Aussi bien, Flavia Codsi commence-t-elle par un croquis pour fixer l’attitude de son sujet avant de le photographier pour ensuite, sans user de projection de slides, dessiner l’image en grand en la remaniant à sa guise, selon les nécessités du tableau. Cette lucidité dans la démarche et cette minutie dans l’exécution sont une façon de revendiquer la maîtrise sur son monde et sa vie, zones d’exclusion des aléas, des contingences, des accidents, ces «mouches» du hasard, ne serait-ce que sur le plan métaphorique de la peinture. (Espace SD).

Joseph TARRAB
La carte de visite de Flavia Codsi représente une jeune femme en short et tee-shirt emboîtée dans une niche carrée, cellule cubique trop exiguë pour lui permettre de s’y asseoir sans plier les épaules et baisser la tête aux cheveux acajou coupés courts de manière à escamoter le visage. Elle seule émerge au-dehors de cet étrange écrin creusé dans un mur aux tonalités vertes sur...