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Spécial Le FDigaro L’économie américaine ne peut se passer des réserves pétrolières du royaume, les plus importantes au monde Pourquoi Bush doit ménager l’Arabie saoudite

Par Stéphane Marchand

Depuis la divulgation, jeudi à Washington, d’un rapport du Congrès dont plusieurs dizaines de pages consacrées à l’Arabie saoudite ont été censurées par la Maison-Blanche, le paradoxe de la relation bilatérale est éclatant. D’une part, le peuple américain a décidé qu’il ne pardonnera jamais au pays d’origine de quinze des dix-neuf kamikazes du 11 septembre. D’autre part, le lien entre les États-Unis et l’Arabie saoudite est si vital que l’Administration Bush ne prendra pas le risque de le compromettre, même s’il est avéré que le royaume a trempé plus directement qu’on ne le pensait dans les attentats.
Ce n’est pas la première fois que les autorités américaines, confrontées pourtant à une opinion publique chauffée à blanc, cherchent à atténuer les critiques contre un allié qui a été depuis cinquante ans un pivot de toutes leurs politiques au Moyen-Orient. En août 2002, par exemple, les familles des victimes et les survivants des attentats avaient intenté un procès retentissant contre plusieurs membres de la famille royale, et non des moindres : Tourki al-Fayçal, ambassadeur à Londres après avoir été le chef des services de renseignements, et Sultan ben Abdelaziz, le très puissant ministre de la Défense. Ils étaient accusés de soutenir directement el-Qaëda et il leur était demandé des centaines de milliards de dollars en dommages et intérêts.
Sollicité à l’époque par Ron Motley, l’avocat des parties civiles, le département d’État publiait un communiqué sans équivoque : « Nous sommes très satisfaits du soutien que nous a apporté l’Arabie saoudite dans tous les aspects de la lutte antiterroriste. » Nul n’ignore pourtant que Ryad a pratiqué systématiquement l’obstruction quand il s’est agi de coopérer avec les agents du FBI, avant et même après le 11 septembre, surtout en ce qui concerne l’assèchement promis des flux financiers dont bénéficient certaines ONG douteuses. Pourquoi cette langue de bois américaine ?
Tout se passe comme si la sécurité énergétique valait bien les quelques milliers de morts du 11 septembre. Pour encore longtemps, l’économie américaine ne pourra pas se passer de l’Arabie saoudite dont le sous-sol renferme 260 milliards de barils, les premières réserves du monde. Le royaume était encore au mois de mai le premier fournisseur des États-Unis et il leur vend son brut à prix d’ami – sans faire payer le transport – de manière à conserver cette première place à laquelle il attache une importance capitale.
Pour maintenir ses parts de marché, le pays a opté depuis longtemps pour une politique de prix modéré (entre 20 et 25 dollars) qui arrange tout le monde. Gageons qu’à seize mois d’une élection présidentielle qui s’annonce moins aisée que prévu, George W. Bush aura à cœur de ne pas menacer cet élément essentiel du rêve américain. Quant aux 700 milliards de dollars déposés par des Saoudiens dans des banques américaines, il est crucial qu’ils y restent.
Les Saoud rendent un autre service inestimable aux pays industrialisés, en entretenant à grands frais, sur deniers publics, une capacité inutilisée de production qui leur permet, à chaque fois que le besoin s’en fait sentir, de faire passer leur production quotidienne de sept à dix millions de barils. Ils offrent ainsi une assurance contre les crises énergétiques. Celle-ci avait remarquablement fonctionné en août 1990 quand le monde avait été soudain privé des livraisons de l’Irak et du Koweït. Aucun pays n’est capable de fournir cette prestation, pas même l’ambitieuse Russie dont les compagnies sont privées et ont donc besoin de rentabilité immédiate. Quant à l’Irak, il faudra attendre au moins quinze ans avant qu’il puisse songer à jouer un rôle semblable.
Il a été beaucoup écrit que les États-Unis ont anéanti le régime de Saddam Hussein de manière à mettre la main sur les réserves irakiennes – les deuxièmes du monde – et ceci pour pouvoir se passer un jour du pétrole de l’Arabie saoudite. Cette analyse est développée bruyamment par certains des idéologues de droite qui entourent le président américain – ceux-là mêmes qui soutiennent activement la politique d’Ariel Sharon en Palestine. Dans la variante « superfaucon », on démembre l’Arabie, les Américains prenant le contrôle d’un pays contenant exclusivement les champs de pétrole du Hasa.

Tout se passe comme si la sécurité énergétique valait bien les quelques milliers de morts du 11 septembre
Il ne faut pas confondre les fantasmes de ces coteries d’intellectuels et la politique des États-Unis. Aucun régime irakien ne serait crédible s’il acceptait, sur la principale ressource nationale, ne serait-ce que le soupçon d’une mainmise étrangère. Ensuite, si l’irruption, dans l’avenir, des réserves irakiennes, réduit l’importance relative de l’Arabie saoudite, n’oublions pas que la demande quotidienne mondiale de pétrole doit passer de 77 à 120 millions de barils, en provenance principalement des États-Unis et des pays d’Asie de l’Est et du Sud. Tous les barils seront les bienvenus.
L’autre développement récent qui semble corroborer un délitement du lien américano-saoudien, c’est le départ des troupes américaines stationnées en Arabie saoudite depuis 1990. Le Pentagone a pris acte du changement de discours officiel dans le royaume. Dans les guerres contre l’Afghanistan, à l’automne 2001, puis contre l’Irak au printemps 2003, le régime a publiquement refusé que l’aviation américaine utilise son territoire pour des missions de bombardement. Cela fait indéniablement du pays un allié moins fiable, mais les Américains ont parfaitement compris qu’ils doivent s’éloigner militairement pour mieux protéger leur fournisseur.
Repliés au Qatar, au Koweït et à Oman, les GI et l’US Air Force seront tout aussi bien placés pour intervenir en cas de péril pour la famille Saoud et les puits de pétrole, tout en privant les radicaux islamistes saoudiens et el-Qaëda d’un slogan politique de choix. Depuis la première guerre du Golfe, ils accusent la monarchie de sacrilège pour avoir admis des soldats infidèles sur le sol sacré de la patrie.
Rappelons enfin les relations très étroites entre le royaume et les Administrations républicaines qui se sont succédé au cours des vingt dernières années à Washington. Que le prince Bandar ben Sultan, ambassadeur saoudien dans la capitale fédérale depuis 1983, ait longtemps été un partenaire de squash de Colin Powell, l’actuel secrétaire d’État, n’est que l’une des innombrables anecdotes qui témoignent de cette osmose.
Le fonds d’investissement Carlyle, où se côtoient princes saoudiens, ténors républicains et membres de la famille Bush, en est le cénacle. Depuis des décennies, Carlyle forme la garde nationale soudienne par l’intermédiaire de la société Vinnell, une des cibles des attentats du 17 mai dernier à Ryad. À son conseil d’administration a longtemps figuré le prince Walid ben Talal, représentant la famille royale. Enfin, le 11 septembre 2001, au moment où tombait l’affreuse nouvelle, tous les administrateurs de Carlyle étaient réunis à l’hôtel Ritz Carlton de Washington. On pouvait voir James Baker, l’ancien secrétaire de George Bush père, en grande conversation avec un collègue, un frère d’Oussama Ben Laden.
Par Stéphane Marchand Depuis la divulgation, jeudi à Washington, d’un rapport du Congrès dont plusieurs dizaines de pages consacrées à l’Arabie saoudite ont été censurées par la Maison-Blanche, le paradoxe de la relation bilatérale est éclatant. D’une part, le peuple américain a décidé qu’il ne pardonnera jamais au pays d’origine de quinze des dix-neuf kamikazes du 11 septembre. D’autre part, le lien entre les États-Unis et l’Arabie saoudite est si vital que l’Administration Bush ne prendra pas le risque de le compromettre, même s’il est avéré que le royaume a trempé plus directement qu’on ne le pensait dans les attentats.Ce n’est pas la première fois que les autorités américaines, confrontées pourtant à une opinion publique chauffée à blanc, cherchent à atténuer les critiques contre un...