Rechercher
Rechercher

Actualités

SPECIAL - LE FIGARO Colombie - Près de 70 000 garçons et filles combattent dans les groupes armés illégaux selon l’Unicef La confession des enfants guérilleros des Farc

Bogota, de Pascale MARIANI et Roméo LANGLOIS

«J’ai beau être un homme, il m’est arrivé de pleurer.» Mais toujours en cachette. Car chez les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), « même pour ça on reçoit une sanction. Charger du bois ou creuser une tranchée » par exemple. Petit soldat marxiste repenti, Carlos à 14 ans a une carrure de gamin et parle comme un adulte. Il a déjà dans les bottes un passé de guérillero. Sur les épaules, l’empreinte des lanières acérées d’un sac à dos trop lourd. Et sur la peau, les stigmates de la « leishmaniasis », cette maladie tropicale qui mène la vie dure aux rebelles. Comme Carlos jusqu’à sa désertion, 60 000 à 70 000 mineurs, garçons et filles, colombiens combattent dans les rangs des groupes armés illégaux selon l’Unicef. Essentiellement au sein des Farc, 17 000 combattants, et de l’Armée de libération nationale (ELN), la deuxième guérilla du pays. Mais aussi chez leurs ennemis jurés, les paramilitaires d’extrême droite.
« Je crois bien que je me suis fait avoir », réalise aujourd’hui à Bogota ce gosse bavard, entouré de militaires dans un centre d’affaires où l’armée a installé son bureau d’accueil aux guérilleros déserteurs. À douze ans, quand il a reçu la visite de trois sergents recruteurs des Farc, Carlos était encore écolier. Et déjà chercheur d’or, comme son père, dans les montagnes qui cernent Medellin. Il est entré dans la lutte armée comme on accepte un job d’été. « Ils m’ont promis la belle vie. Que je serais payé tous les mois et que je pourrais visiter ma famille. » Mais « le jour où j’ai fait ce pas, ils m’ont dit que je ne pouvais plus reculer ». Et jamais de solde ni de permissions. Deux fois son père est venu dans le maquis conjurer les rebelles de lui rendre son fils. Toujours la même réponse : « Va-t-en, le vieux, on ne le lâchera pas. » Et quand ce dernier est mort mystérieusement assassiné, les Farc ont défendu à Carlos de se rendre aux funérailles. « Ces gens-là sont comme ça. Quand ils disent non, c’est non. »
« Il y a des aficionados à toute chose. Moi, je me suis passionné pour les armes », poursuit Carlos. On l’a d’abord doté d’un « bâton grand comme un fusil » qu’il a trimbalé partout trois mois durant pour formater son frêle gabarit au poids d’une kalachnikov. Puis d’« un vague entraînement pour pas qu’on me descende au combat » : des cours de tir sur une vieille casserole. « J’ai fini par porter deux grenades, une AK,47 et un gilet bourré de cartouches », raconte Carlos avec une pointe de fierté. Ces derniers temps, ses supérieurs l’initiaient à la confection d’explosifs. « Du pur R1, pour piéger les voitures. » Comme une leçon bien apprise, il en récite les divers composants, mêlés à « des excréments humains pour que les blessures s’infectent ».
Mais en dépit d’un constant lavage de cerveau, Carlos se voyait mal « mourir pour la cause » d’une guérilla qui depuis 39 ans ne désespère pas de renverser l’oligarchie honnie. « Ils disent qu’ils luttent pour le peuple, mais ils sont en train de l’achever. » S’ils sèment de mines un champ entier pour piéger l’ennemi, les civils en sont souvent les victimes. Même chose s’ils attaquent au mortier artisanal un poste de police au cœur d’un village. Et quand il a dû creuser une fosse commune pour y jeter les corps d’une soixantaine de compagnons tombés sous les balles de l’armée et des paramilitaires, Carlos a frémi : une telle sépulture pourrait être la sienne. « La nuit de ma fuite, on n’avait rien mangé depuis deux jours. » Ce fut sa chance. Envoyé en civil sur une route voir si la voie était libre pour monter un barrage et réquisitionner quelques vivres, Carlos a arrêté la première voiture, s’est fait conduire à une caserne militaire et s’est rendu. L’armée s’apprête à le remettre à un foyer d’accueil pour mineurs ex-combattants. Il espère reprendre sa scolarité. Et, plus tard, être garde du corps.
D’ici là, « je vais veiller sur mon collègue. C’est encore un enfant, il ne sait même pas lire », promet-il en désignant son ami Fabio, 12 ans. Tous deux sont du même village et se connaissaient avant de devenir guérilleros. Pris en charge par l’armée après leurs désertions respectives, ils viennent de se retrouver par hasard à Bogota. Fabio est entré dans les Farc à dix ans. Avec l’espoir de manger à sa faim et de rejoindre son frère et sa sœur aînés. Traumatisé, il fixe ses bottes de caoutchouc et crispe nerveusement ses mains. « Le plus dur, c’était de monter la garde et de cuisiner, articule-t-il faiblement. Les chefs me traitaient mal. Si on fait du désordre, on nous engueule. » Fabio a abandonné les armes avec trois guérilleros adultes qui décidèrent un jour de déserter ensemble. Pour l’heure, il broie du noir. « Si j’en ai l’occasion, je me jette sous une voiture », a-t-il récemment confessé à Carlos.
Ces jeunes guérilleros « ne sont ni des enfants, ni des adolescents, ni des adultes, mais les trois à la fois », explique une psychologue du programme de réinsertion du ministère de l’Intérieur. Certains ont déjà tué. Délire de persécution, dépendance ou violence extrême, asociabilité... La liste de leurs névroses est longue. Sans compter la hantise d’être retrouvés par leurs ex-compagnons, la désertion étant passible de mort. Et selon la thérapeute, « chez les filles, parfois utilisées dès leur puberté comme objets sexuels par les commandants, les ravages émotionnels sont dramatiques ».
À l’origine de cet afflux de mineurs vers les groupes armés colombiens, presque toujours la même histoire. Celle de la misère, du travail infantile et de la violence intrafamiliale, dans des campagnes indigentes oubliées de l’État. « Chez nous, il n’y a jamais eu ni police ni armée. Nos modèles, c’étaient les guérilleros », témoigne Pablo, 19 ans, cinq ans dans les Farc et cinq blessures par balles. Dans son village perdu dans les vastes plaines de l’Orient colombien, les guérilleros « circulent dans de belles 4x4, avec de jolies armes et plein d’argent. Les civils, eux, manquent de tout. Tous mes amis sont ainsi entrés dans la guérilla ». Envoyé à Bogota pour récupérer des compagnons blessés soignés par un médecin félon de l’hôpital militaire, Pablo en a profité pour se rendre, las de servir une organisation « qui ne pense qu’à accumuler l’argent des enlèvements et du narcotrafic », et de voir mourir ses camarades, parfois exécutés au terme d’expéditifs « conseils de guerre » aux accents staliniens « pour s’être rebellés, enivrés dans le village ou avoir sans raison tiré sur un civil ».
Engagé dans une guerre totale contre les guérillas, le président Alvaro Uribe a lancé une grande offensive psychologique pour stimuler la désertion. Plus de 800 guérilleros, dont une bonne centaine de mineurs, auraient abandonné les armes depuis janvier contre la promesse d’un casier judiciaire vierge, celle d’un petit pécule pour monter un « projet productif » ou d’avantages éducatifs et sanitaires pour les plus jeunes. L’armée bombarde les ondes des radios locales de messages promettant un avenir radieux aux déserteurs. « On nous martelait que c’était un piège, que l’armée torture ceux qui se rendent puis les tue. » Entrés adolescents dans l’ELN pour «frimer avec une arme», Maria et Giovanni ont préféré croire les bribes de propagande gouvernementale saisies en cachette sur une petite radio. Tendres amoureux de 18 et 19 ans, ils se tiennent à présent par la main dans un parc de Bogota. Évoquent le jour de leur rencontre dans un bivouac clandestin. Puis celui de leur union, autorisée par le commandant. Après le culte du Che Guevara, et même si l’État ne s’acquitte pas toujours de ses engagements, ils disent être revenus à des « idéaux normaux : avoir un toit, des enfants, une télé et peut-être même, un jour, une voiture ».
Bogota, de Pascale MARIANI et Roméo LANGLOIS«J’ai beau être un homme, il m’est arrivé de pleurer.» Mais toujours en cachette. Car chez les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), « même pour ça on reçoit une sanction. Charger du bois ou creuser une tranchée » par exemple. Petit soldat marxiste repenti, Carlos à 14 ans a une carrure de gamin et parle comme un adulte. Il a déjà dans les bottes un passé de guérillero. Sur les épaules, l’empreinte des lanières acérées d’un sac à dos trop lourd. Et sur la peau, les stigmates de la « leishmaniasis », cette maladie tropicale qui mène la vie dure aux rebelles. Comme Carlos jusqu’à sa désertion, 60 000 à 70 000 mineurs, garçons et filles, colombiens combattent dans les rangs des groupes armés illégaux selon l’Unicef....