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CONFÉRENCE - Exposé du directeur de l’Ifapo Jean-Louis Huot au musée de l’AUB Le patrimoine irakien dans la tourmente de l’après-guerre(photos)

«Guerre, archéologie et patrimoine en Iraq», tel est le titre de la conférence organisée par les Amis du musée de l’AUB pour discuter d’un sujet qui a été au centre d’une polémique en rapport avec les derniers développements de l’actualité internationale. Le conférencier, le professeur Jean-Louis Huot, est une référence en la matière, comme le souligne la directrice du musée de l’AUB, Mme Layla Badr. M. Huot, directeur actuel de l’Institut français d’archéologie au Proche-Orient (Ifapo), a dirigé des fouilles françaises au pays de Sumer pendant vingt ans. Son expérience, sa connaissance du terrain et de tous les problèmes rencontrés et vécus en Irak ont rendu la conférence de l’AUB particulièrement vivante et riche en informations. L’Irak est le pays des dix mille sites archéologiques et des grandes civilisations. «Si la révolution néolithique a eu lieu au Levant, c’est dans l’ancienne Mésopotamie que sont apparues les premières villes (Uruk), l’écriture, la civilisation sumérienne, les grands États d’Akkad et de Ur III, le royaume de Babylone de Hammourabi... explique M. Huot. Nous pouvons identifier quatre grands problèmes en Irak durant et après la guerre: les dangers qui menacent les sites, les musées, les pillages et l’inexistence d’un service d’antiquités», souligne-t-il. Les sites, situés en grande majorité au sud et au nord du pays, loin des villes, n’étaient pas menacés par les bombardements. «En raison du matériau de construction, il y a en Irak peu de monuments en pierre, souligne M. Huot. La plupart d’entre eux sont en briques, crues ou cuites. Les grands sites anciens, comme Ur, Uruk, et Ninive, sont enfouis sous le sable et la compréhension de leur urbanisme est quelque peu difficile. Peu de vestiges sont visibles ou bien conservés à la surface et peu d’entre eux sont spectaculaires», note-t-il. Par conséquent, les risques de faire perdre à ces édifices ou sites leur authenticité historique par un quelconque bombardement restent très limités. Le danger vient toutefois du passage des armées. Vols, fouilles clandestines, munitions non explosées: la guerre «stérilise» le sol archéologique et transforme toute tentative de fouilles en une mission dangereuse, surtout dans cette région. «La brique est une matière tendre, rappelle M. Huot. Un obus peut par conséquent s’y enfoncer et la charge explosive peut éclater sous la pioche des archéologues des décennies plus tard. Ces sites sont alors transformés en champs de mines», explique-t-il. L’ignorance de l’ampleur de la perte Le musée de Bagdad a-t-il été entièrement pillé? Quels sont les dégâts réels de ce vandalisme? «Nous ne disposons, en réalité, et malgré ce que disent les médias, d’aucune information précise, affirme M. Huot. Le tout est de savoir quel était l’état de ces lieux juste avant l’entrée des troupes américaines à Bagdad, souligne-t-il. Il est, d’autre part, impossible de savoir si les archéologues irakiens avaient évacué les richesses et autres “ objets de valeur ”». Il est aussi impossible de cerner actuellement l’ampleur des dégâts, car l’inventaire du musée était manuel. Il se limitait à de simples fichiers dont la perte rend impossible toute détermination exacte des pertes. M. Huot rappelle que seulement «dix pour cent des objets exposés au musée sont connus mondialement. Leurs photos sont dans tous les livres d’art, précise-t-il. Leur vente dans des galeries d’antiquités est par conséquent impossible. Mais pour ce qui est des petits objets qui constituent la majorité des œuvres exposées, ils ont tous une valeur historique et artistique inestimable. La perte de leurs photos et de leurs numéros d’inventaire signifie qu’il est impossible de les repérer sur le marché de l’art dans le monde.» Par ailleurs, la menace ne pèse pas uniquement sur les pièces du musée, mais aussi sur celles déterrées clandestinement sur les sites archéologiques. Les pilleurs détruisent des niveaux d’habitation à la recherche d’un objet. Dès que ce dernier est découvert, il est mis hors contexte, exporté illicitement en dehors de l’Irak et mis en vente dans une galerie d’antiquités. L’inexistence de fichiers prouvant son appartenance à son site d’origine rend impossible sa restitution au pays. Les douze années d’embargo ont, en fait, transformé l’Irak en un paradis de fouilles clandestines. Le pillage était si intensif et organisé, que M. Huot se rappelle qu’en 1998, il n’a pas reconnu le site de Larsa. «Les trous creusés par les pilleurs étaient parsemés sur le site, au point que j’étais incapable de me situer, souligne-t-il. Pourtant, ce tell, je le connais comme ma poche, car j’y avais fouillé pendant vingt ans.» Ce qui s’est déroulé à Larsa durant l’embargo risque de se répéter, car «ce pillage rapporte gros, comme le précise M. Huot. L’après-guerre n’a fait que développer ce fléau mondial, et l’inexistence d’un service des antiquités sérieux a facilité les pillages», poursuit-il. En fait, cette situation «stagnante» d’un Irak dépourvu de toute structure administrative ou de tout contrôle sur les sites, sans compter les frontières ouvertes, est une occasion propice aux fouilles clandestines. «Les grandes pièces volées du musée de Bagdad et connues dans le monde entier sont invendables publiquement, mais très négociables sur le marché privé, déclare le directeur de l’Ifapo. Les collectionneurs “ fous ” constituent un problème permanent. Ces personnes achèteront ces objets pour les dissimuler dans leurs coffres-forts, et malheureusement, ils ne seront jamais récupérés», affirme M. Huot. En fait, un patrimoine ne peut être défendu que si des mesures sont prises à l’échelle nationale. «Des inspecteurs, un moyen de contrôle étatique et sérieux, des gardiens et un puissant service des antiquités sont indispensables pour arrêter le pillage, déclare le directeur de l’Ifapo. En effet, des collections privées, si prestigieuses soient-elles et si “publiques ou connues” soient-elles, ne pourront jamais remplacer la maîtrise, par un pays, de ses propres richesses culturelles et de son patrimoine», conclut-il. La science et l’art ne sont pas un luxe que seuls quelques individus peuvent se permettre, mais un droit public auquel tout le monde devrait accéder. Joanne FARCHAKH
«Guerre, archéologie et patrimoine en Iraq», tel est le titre de la conférence organisée par les Amis du musée de l’AUB pour discuter d’un sujet qui a été au centre d’une polémique en rapport avec les derniers développements de l’actualité internationale. Le conférencier, le professeur Jean-Louis Huot, est une référence en la matière, comme le souligne la directrice du...