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Nos lecteurs ont la parole Deux voix, un même constat d’échec

Comme un cancer... Un même sujet vient et revient, fait la une des salons. Ça sera à qui donnera l’information la plus spectaculaire sur les pratiques les plus extrêmes et les plus choquantes pour notre société si prude. Jamais Lucifer n’aura autant eu droit de cité dans nos médias que ces derniers temps, et le sujet est d’autant plus alarmant qu’il a osé s’attaquer à nos jeunes, ces victimes permanentes de leurs irresponsabilités. Et vas-y que je te les arrête, les interroge, les garde à vue, les terrorise et les menace des pires sanctions s’ils s’avèrent impliqués, s’ils s’avèrent «adorateurs», s’ils s’avèrent paumés. Et tout le peuple s’indigne, désigne du doigt le coupable: telle musique, telle autre vidéocassette, telle coupe de cheveux un peu trop voyante, puis soutient la répression, ferme les yeux et cherche à oublier au plus vite. Car c’est là que le bât blesse et que se posent les véritables interrogations. C’est de notre échec qu’il s’agit, nous autres adultes, nous autres parents, nous autres responsables, nous autres éducateurs. La jeunesse lance aujourd’hui un cri d’alarme, un cri de détresse, parle de ses maux les plus profonds et s’exprime avec la maladresse de l’adolescent qui se cherche. Elle montre du doigt son avenir hypothéqué par une société en quête d’elle-même, qui s’est perdue faute de n’avoir jamais réellement existé. Une société où la consommation est le maître mot, l’opulence signe de réussite, et l’arrivisme témoin de mérite. Elle nous rappelle la légèreté de ce qu’on lui propose pour s’épanouir; cette culture qui s’est arrêtée à notre Siècle des lumières, avec nos derniers romantiques, poètes, écrivains rêveurs insatiables, qui se sont éteints il y a bien un demi-siècle, avec cette gloire si lointaine aujourd’hui. D’ailleurs a-t-elle jamais existé? Elle nous rappelle comment à force d’être ballotté entre l’Orient et l’Occident, en refusant d’admettre qu’ils ne sont pas antinomiques et que l’on peut être l’un et l’autre à la fois, on finit par ne plus savoir qui l’on est. Elle nous rappelle que cette guerre intestine qui a rongé des générations entières, nous ne l’avons pas digérée, nous ne l’avons pas intériorisée, nous n’avons pas fait le travail de deuil nécessaire pour nous reconstruire aujourd’hui et ouvrir les yeux sur le monde de demain Elle nous montre, cette jeunesse, que nos croyances viscéralement obsolètes en tel jeteur de sort, tel autre mauvais œil, tel guérisseur miracle, tel cheikh aux pouvoirs surnaturels, telle diseuse de bonne aventure, eh bien, elle les prend en compte, elle y croit elle aussi et elle va plus loin encore et noue des liens avec l’extrême. Elle se déchire et nous dit ce qu’un autre rêveur bien de chez nous disait: «Malédiction à une nation où s’affrontent les différentes confessions mais qui n’a plus de religion», et nous, nous la traitons d’hérétique, de déviante, nous refusons d’entendre sa souffrance, son agonie. Plus encore, nous poussons la seringue de morphine pour traiter le cancéreux, en croyant le soulager, mais nous ne cherchons en fait qu’à ne plus l’entendre gémir, qu’à l’empêcher de nous rappeler que nous sommes désarmés face au mal qui le ronge et qu’on n’a rien à lui proposer. Michel Moutran Complainte d’un jeune de 21 ans Mesdames et messieurs les adultes, les politiques en particulier, qui vous exprimez si bien en notre nom, celui des jeunes, qui prétendez si bien connaître nos angoisses, nos craintes et nos espérances, qui êtes animés de si nobles intentions, laissez-nous, pour une fois, prendre la parole. Je suis un jeune de 21 ans, qui aime son pays, sa famille et respecte sa religion. Je n’ai jamais touché à la drogue ni adoré Satan. Certes, comme tous ceux de ma génération, j’ai mes rêves et mes tourments. Mais j’ai décidé de prendre la parole au nom de tous ceux qui ne s’expriment pas, par dépit ou impuissance. Parce que aujourd’hui, j’en ai marre. Marre de voir des jeunes se faire tabasser, persécuter, harceler, emprisonner pour une opinion ou un engagement politique. Marre des descentes de brigades dans les pubs et les boîtes de nuit, de leurs insultes et leur brutalité. Marre de voir ces mêmes jeunes pourchassés jusque sous leur toit pour une mèche trop longue ou un habit trop noir. Mais surtout, surtout, marre de voir de plus en plus ces hordes d’ados à peine sortis de l’enfance, les yeux hagards et le teint blême, sombrer dans les méandres de la drogue ou se tourner vers des pratiques occultes. Oui, la jeunesse libanaise est en crise et c’est très grave, car c’est une jeunesse frustrée et désenchantée. Politiques, que savez-vous d’un jeune de 20 ans qui porte en lui tous les espoirs et les rêves de sa génération, des rêves qui s’appellent liberté, désir et absolu, et qui ne trouve autour de lui que bêtise, fanatisme, médiocrité, hypocrisie et incompréhension? Que savez-vous d’un jeune qui scrute le ciel en quête d’un Dieu auquel il voudrait croire, mais n’entend que des voix lui parler morale, tabous et interdits? Dans ces conditions, ne vous étonnez plus si une majorité d’entre nous quitte le pays ou si une minorité sombre dans le désespoir. Car, nous traquer comme des criminels que nous ne sommes pas (les vrais criminels sont ailleurs), c’est creuser encore plus le fossé qui nous sépare de vous et contribuer à nous faire haïr encore plus le système. Votre devoir est, avant tout, de créer des emplois, combattre le chômage, le trafic de drogue et la criminalité. De vous attaquer, surtout, au fond du problème, le vrai: la communication. Laissez parler les poètes, les artistes et les intellectuels. Moins de barbus et de moustachus et plus de jeunes à la télé, dans les commissions, les débats et les dialogues politiques et sociaux. Mais surtout, laissez-nous rêver, danser, hurler, faire l’amour en toute conscience. Laissez-nous devenir une force et non un fardeau, et vous verrez à quel point le Liban, ce Liban que nous voulons tant aimer, nous saura gré. Vous, les politiques, vous avez le pouvoir d’agir, avant qu’il ne soit trop tard. S’il vous plaît, je ne veux pas partir. Karim el-Dahdah
Comme un cancer... Un même sujet vient et revient, fait la une des salons. Ça sera à qui donnera l’information la plus spectaculaire sur les pratiques les plus extrêmes et les plus choquantes pour notre société si prude. Jamais Lucifer n’aura autant eu droit de cité dans nos médias que ces derniers temps, et le sujet est d’autant plus alarmant qu’il a osé s’attaquer à nos jeunes, ces victimes permanentes de leurs irresponsabilités. Et vas-y que je te les arrête, les interroge, les garde à vue, les terrorise et les menace des pires sanctions s’ils s’avèrent impliqués, s’ils s’avèrent «adorateurs», s’ils s’avèrent paumés. Et tout le peuple s’indigne, désigne du doigt le coupable: telle musique, telle autre vidéocassette, telle coupe de cheveux un peu trop voyante, puis soutient la répression,...