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SECTES - La lutte contre les «adorateurs de Satan» prend l’allure d’une chasse aux sorcières Des arrestations injustifiées, une jeunesse dégoûtée

Ils ont été arrêtés, humiliés, battus, sous prétexte qu’ils étaient des adorateurs de Satan. Relâchés après 4 jours d’arrestation avec trois de leurs camarades, deux jeunes universitaires acceptent aujourd’hui de témoigner, sous couvert d’anonymat. Ils racontent leur calvaire et celui d’un de leurs amis et expriment leur dégoût à l’égard d’un pays qui pousse ses jeunes à l’émigration. Combien de jeunes seront-ils encore la cible de cette chasse aux sorcières avant que les esprits ne se calment et retrouvent la raison ? Leur seul tort est d’être jeunes, de travailler en groupe tard la nuit à leurs projets universitaires et de se faire tatouer le corps. Leur physique? Il ressemble à celui de la majorité des jeunes de leur âge. L’un, étudiant en seconde année de décoration d’intérieur, a le visage encore juvénile malgré une carrure imposante, la tignasse bouclée et la barbe fournie. L’autre, en seconde année d’études de peinture, un brin romantique, porte le bouc au menton. Ses cheveux courts sont soigneusement rangés, gel capillaire aidant. Leur mode de vie? On ne peut plus banal, partagé entre la famille, les études universitaires et les petits boulots pour se faire un peu d’argent de poche. Quant à leurs sorties, elles sont rares et se limitent à des soirées entre amis, de temps à autre, car ils avouent avoir peu de moyens. Rassurés d’une part, tabassés de l’autre Karim et Marc, c’est ainsi que nous appellerons ces jeunes de 21 ans pour les protéger, sont encore choqués par l’arrestation dont ils ont été victimes avec trois autres de leurs camarades, dont une jeune fille. Ils avouent être désormais incapables de marcher dans la rue sans ressentir cette peur au ventre. Une peur d’être suivis, d’être interpellés, sans raison aucune. «Nous avions l’habitude de nous retrouver dans l’atelier d’un copain qui poursuit des études de décoration d’intérieur. Un atelier qui se situe juste au-dessous de l’appartement des parents de ce dernier, raconte Karim. Cela a dû probablement déranger quelqu’un qui nous a accusés d’appartenir à une secte satanique.» Le copain en question, que nous nommerons Michel, a les cheveux longs. Et dans sa panoplie de CD, quelques titres d’Eminem, de Metallica et de Dire Straights, des groupes décrétés diaboliques par le gouvernement, mais néanmoins disponibles chez les disquaires du pays. «Michel avait, par ailleurs, un petit chat siamois qui est mort après avoir toussé tout une nuit. On nous a soupçonnés de l’avoir tué et d’avoir bu son sang », déplore encore Karim. C’est Michel qui a été convoqué, en premier, à la gendarmerie de Furn el-Chebbak, lundi dernier à 22h30. Dormant au domicile de ses parents cette nuit, il n’a pas entendu les gendarmes frapper à la porte de son atelier de travail et ne s’est rendu au poste de police que le lendemain, dès 9 heures, après un coup de fil des FSI à ses parents. Ce mardi matin, les autres membres du petit groupe ont été, eux aussi, invités par les forces de l’ordre à se présenter au poste. Interrogés à tour de rôle, durant de nombreuses heures, les étudiants ont dû se résigner à passer la journée au poste de police. «L’interrogatoire était dérangeant, se souvient Karim, car le ton employé était menaçant et insultant. Les gendarmes ne rechignaient pas à nous cogner dessus. Ils tenaient à nous faire tomber dans le piège, à nous faire avouer des choses. Mais nous n’avions rien à nous reprocher. Ils insistaient pour connaître la signification de nos tatouages qui n’étaient que des dessins anodins tirés de revues. Ils semblaient savoir beaucoup de choses sur nous. L’un d’eux m’a même demandé pourquoi je ne portais plus mon chapelet au cou.» Et le jeune homme de préciser que son chapelet s’était cassé alors qu’il skiait. À minuit, le petit groupe a été finalement libéré et prié de revenir le lendemain matin pour la poursuite des interrogatoires. «Le jour suivant, poursuit Karim, l’ambiance semblait déjà plus détendue, car après avoir terminé tous les interrogatoires, les FSI nous ont assuré que tout allait bien et que nous serions bientôt libérés.» Ce jour-là, l’interrogatoire de Marc, qui avait lui-même effectué les tatouages de ses amis, a duré trois heures consécutives. «Les agents cherchaient à savoir si j’avais dessiné des tatouages sataniques à quelqu’un. Mais je leur ai simplement dit que j’étais loin de tout ça. Je suis peintre et profondément croyant. D’ailleurs toutes mes peintures représentent des saints», dit-il. «Je ne peux l’expliquer, ajoute-t-il avec un sourire, mais il en est ainsi.» Dissuadés par les FSI de contacter des avocats, car rien n’avait été retenu contre eux, les jeunes gens ont aussitôt téléphoné à leurs parents pour les rassurer. Mais quelle ne fut leur surprise de se voir gardés pour la nuit au poste, sous prétexte qu’ils devaient rencontrer le procureur général. Et du poste de Furn el-Chebbak à celui de Adlyeh où ils passent une nouvelle nuit, isolés les uns des autres, sans pouvoir contacter leurs parents et sans avoir rencontré le procureur général, les jeunes gens sont finalement conduits à la caserne de Baabda, le surlendemain, alors que seulement deux de leurs camarades ont été relâchés. Menottés comme de vulgaires malfaiteurs, battus, humiliés, ballottés dans le fourgon des prisonniers, les étudiants ne comprenaient vraiment pas la raison d’un tel traitement. «Mes menottes étaient serrées et c’était douloureux, avoue Marc. Et parce que j’ai osé faire part de ma douleur au geôlier qui me les mettait, il les a serrées encore plus fort. Mes mains en étaient tétanisées. Mais cela n’a pas suffi au gardien qui s’est acharné sur moi, me cognant la tête contre les barreaux de la cellule en m’insultant et hurlant qu’il savait très bien ce qu’il faisait.» Livrés par leurs geôliers aux prisonniers C’est à la caserne de Baabda que la barbarie a atteint son comble, Karim, Marc et Michel ayant été, là-bas, littéralement livrés aux fauves. «En effet, racontent les jeunes gens, après de nous avoir encore une fois battus, les forces de l’ordre nous ont poussés chacun dans une cellule pleine de prisonniers adultes, leur criant que nous étions des adorateurs de Satan.» «J’ai dû me battre pour repousser les prisonniers qui s’étaient jetés sur moi et qui me menaçaient de me dépecer, renchérit Karim, mais notre camarade Michel a été moins chanceux.» Ensanglanté par les prisonniers qui lui cognaient la tête contre le lavabo, Michel a eu le nez cassé et les yeux pochés. « Il était plein de sang, observe Karim. En le voyant ainsi, j’ai pleuré. Mais il était calme. Les seuls mots qu’il a prononcés évoquaient la souffrance du Christ.» Le soir même, les jeunes gens étaient relâchés, après quatre jours de souffrances. Michel s’est retiré dans un coin de la montagne où il essaie d’oublier son traumatisme après avoir subi une première intervention chirurgicale au nez. Il est encore difficile d’évaluer les dommages qu’il a subis aux yeux, ceux-ci étant encore trop enflés… Quant à Marc, s’il récupère physiquement, il sent l’oppression le gagner. «Plus j’essaie d’oublier, plus je sens que j’étouffe intérieurement. J’ai peur de parler mais je ne peux pas me taire devant de telles pratiques », dit-il doucement, ajoutant que les FSI avaient dit à ses parents qu’elles avaient reçu l’ordre d’exagérer les choses. Depuis son retour, il n’arrive plus à se mettre au travail. «Je suis dégoûté. Je pense quitter le pays. Je n’ai même plus envie de parler ma langue.» Si Karim, de son côté, se déclare solide, il observe que son copain Michel aurait pu décéder des suites des mauvais traitements qu’il a reçus. «En le voyant dans l’état où il était, je suis mort intérieurement», dit-il. D’ailleurs, le jeune homme, à l’instar de son camarade, ne peut plus sortir de chez lui sans quelque appréhension. Le souvenir de cette arrestation est encore trop vivace. Il a constamment l’impression d’être suivi dans la rue. Comme tant d’autres jeunes qui ont été appréhendés sous prétexte d’appartenir à une secte satanique, les deux étudiants ne comprennent toujours pas aujourd’hui la raison de leur arrestation. Déterminés à ne rien changer à leur façon de vivre, d’autant plus qu’ils ne mènent aucune activité militante et déclarent ne pas se droguer, ils n’en finissent toujours pas de se poser des questions. Pourquoi nous? Qu’avons-nous fait? Et si l’envie leur prenait de nous arrêter de nouveau? Encore faudrait-il que ces interrogations ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd, que l’État se décide enfin à traiter sa jeunesse de manière plus décente. Anne-Marie El-HAGE
Ils ont été arrêtés, humiliés, battus, sous prétexte qu’ils étaient des adorateurs de Satan. Relâchés après 4 jours d’arrestation avec trois de leurs camarades, deux jeunes universitaires acceptent aujourd’hui de témoigner, sous couvert d’anonymat. Ils racontent leur calvaire et celui d’un de leurs amis et expriment leur dégoût à l’égard d’un pays qui pousse ses jeunes à l’émigration. Combien de jeunes seront-ils encore la cible de cette chasse aux sorcières avant que les esprits ne se calment et retrouvent la raison ? Leur seul tort est d’être jeunes, de travailler en groupe tard la nuit à leurs projets universitaires et de se faire tatouer le corps. Leur physique? Il ressemble à celui de la majorité des jeunes de leur âge. L’un, étudiant en seconde année de décoration d’intérieur, a le...