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Histoire - Publication d’un ouvrage sur les villages du Nord à l’époque ottomane Issam Khalifé révèle les secrets de la « société d’en bas » dans le Liban du XVIe siècle(photo)
Par EL-HAGE ANNE-MARIE, le 15 mars 2003 à 00h00
Son but initial était de donner une nouvelle jeunesse au livre d’histoire du Liban, par le retour aux sources et l’apport d’informations inédites. Il a réussi à prouver la présence et l’influence ottomane dans la montagne libanaise au XVIe siècle et notamment dans le nord du pays, bouleversant littéralement les théories de l’histoire traditionnelle qui limitaient cette présence à la seule région côtière du pays. Après avoir appris la langue ottomane et puisé dans les archives de l’ancien empire, le docteur Issam Khalifé, professeur d’histoire de l’empire ottoman à l’Université libanaise, vient de publier un ouvrage sur Les paysans de Nahyet Batroun au XVIe siècle. Ouvrage qu’il signera demain dimanche 16 mars, dans le cadre du Festival du livre libanais, dans la grande salle du Mouvement culturel d’Antélias. C’est à partir d’une étude comparative des recensements effectués en 1519 et en 1571, archives consultées à Istanbul, que Issam Khalifé a étudié la démographie historique des habitants des villages et des fermes de Nahyet Batroun au XVIe siècle. « Alors que l’histoire traditionnelle relatait des événements factuels, mon but, précise-t-il, était de sortir de cette histoire événementielle et d’enseigner une nouvelle histoire, basée sur l’étude de la société d’en bas de chaque village, d’en connaître les prénoms, les appartenances religieuses, le nombre de mariés et de célibataires, l’alimentation, les activités, la production et, par le fait même, les impôts prélevés par l’État ottoman. » Le système du « timar », une des forces de l’empire ottoman Si cet ouvrage se veut principalement historique et statistique, le professeur d’histoire réussit par la même occasion à mettre en valeur certaines coutumes libanaises à cette époque, concernant notamment l’âge du mariage, les habitudes alimentaires et vestimentaires, mais aussi tout un mode de vie en autarcie, évoluant autour du moulin, du pressoir, de la culture du ver à soie. Le docteur Khalifé a ainsi répertorié les prénoms des hommes adultes, chrétiens et musulmans, car dans les registres ottomans, seuls les prénoms des hommes étaient inscrits, chacun étant identifié à partir du prénom de son père. Il a ainsi montré que les prénoms de Youhanna et Gergès étaient les plus fréquents chez les chrétiens alors que ceux de Mohammed et Ahmed étaient majoritaires dans la communauté musulmane. Il a noté, par ailleurs, que les prénoms de Youssef et Ibrahim étaient les plus utilisés par les deux communautés. Quant aux statuts civils des villageois, le docteur Khalifé remarque que les hommes chrétiens étaient tous mariés, alors que de nombreux musulmans étaient célibataires. « Par ailleurs, ajoute-t-il, les jeunes se mariaient très tôt, dès l’âge de 12 ou 13 ans, et les mariages mixtes, entre personnes de rites différents, étaient fréquents. Les filles, elles, étaient généralement mariées sans être consultées au préalable. » L’ouvrage Les paysans de Nahyet Batroun au XVIe siècle met aussi en valeur la structure du « timar », qui, par le moyen de la collecte des impôts, était une façon pour l’empire ottoman de mieux contrôler les régions qui étaient sous son pouvoir. Les autorités ottomanes avaient ainsi instauré un système économique, administratif, politique et militaire qui consistait, selon le chercheur, en la mise en place d’un collecteur d’impôts dans chaque village. Ce représentant, qui prélevait son salaire des taxes qu’il ramassait, était, par la même occasion, chargé du maintien de la sécurité et pouvait porter les armes en cas de nécessité, formant ses compatriotes à l’exercice des mêmes fonctions qu’il assumait. « C’est dans la mise en place de ce système que résidait alors la force de l’empire ottoman », observe Issam Khalifé, ajoutant que l’État avait ainsi à son service une armada d’hommes et de combattants qui ne lui coûtaient rien, mais qui lui généraient des revenus. Le chercheur évoque à ce titre la taxe appelée « jezieh », une capitation dont devaient s’acquitter les villageois chrétiens pour obtenir la protection de l’empire ottoman. Une vie paysanne en autarcie Quant à la démographie de la région, elle variait en fonction de divers facteurs. En effet, le docteur Issam Khalifé remarque que les exodes de populations étaient fréquents au XVIe siècle, provoquant d’importants changements démographiques et bouleversant ainsi, à maintes reprises, la composante confessionnelle des villages. Si ces mouvements de populations résultaient principalement du facteur des « calories », autrement dit de la capacité des villageois à assurer leur nourriture, ils pouvaient, tout aussi bien, être la conséquence des épidémies, des problèmes politiques ou sécuritaires, des conditions climatiques ou de l’invasion de sauterelles et autres insectes ravageant les cultures. Et le Dr Khalifé de raconter la vie en autarcie des villageois de la région de Nahyet Batroun qui devaient nécessairement se suffire à eux-mêmes. Ils cultivaient ainsi leurs fruits et leurs légumes, élevaient leurs troupeaux de chèvres, fabriquaient leur pain et leur fromage, se livraient à la culture du ver à soie pour tisser leurs propres tissus et fabriquer leurs habits. « La vie de ces paysans tournait autour de la source d’eau, de la culture, de la cueillette, du moulin et du pressoir », explique ainsi Issam Khalifé. La maison du paysan avait, par ailleurs, une importante fonction économique et servait à la culture du ver à soie. Les paysans de Nahyet Batroun au XVIe siècle est le 7e ouvrage publié par le docteur Issam Khalifé. Cette initiative individuelle vise à exploiter les informations et à moderniser l’enseignement de l’histoire du Liban. Encore faudrait-il que l’État accorde un tant soit peu d’attention à l’importance de données nouvelles qui n’ont jusque-là jamais été exploitées. Anne-Marie EL-HAGE
Son but initial était de donner une nouvelle jeunesse au livre d’histoire du Liban, par le retour aux sources et l’apport d’informations inédites. Il a réussi à prouver la présence et l’influence ottomane dans la montagne libanaise au XVIe siècle et notamment dans le nord du pays, bouleversant littéralement les théories de l’histoire traditionnelle qui limitaient cette présence à la seule région côtière du pays. Après avoir appris la langue ottomane et puisé dans les archives de l’ancien empire, le docteur Issam Khalifé, professeur d’histoire de l’empire ottoman à l’Université libanaise, vient de publier un ouvrage sur Les paysans de Nahyet Batroun au XVIe siècle. Ouvrage qu’il signera demain dimanche 16 mars, dans le cadre du Festival du livre libanais, dans la grande salle du Mouvement culturel...