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SOCIÉTÉ - Sorties, habillement, comportement, fréquentations... Les sujets de litige ne manquent pas Parents et ados, des relations en dents de scie (photo)
Par EL-HAGE ANNE-MARIE, le 07 février 2003 à 00h00
Leurs relations ne sont pas toujours au beau fixe. Et pourtant, de l’affection, de l’amour et de la bonne volonté, ils en ont souvent à en revendre, les uns comme les autres. Entre parents et adolescents, les sujets à conflits ne manquent pas. Qu’il s’agisse de sorties, d’habillement, de comportement, de fréquentations ou tout simplement de résultats scolaires, les uns et les autres sont rarement d’accord sur tous les points. On explique, on discute, on essaie de convaincre, dans le souci d’instaurer un climat de dialogue. On y arrive parfois. Mais souvent, pour une petite broutille, pour un mot mal choisi, la susceptibilité l’emporte et les discussions orageuses, bouderies et frustrations s’installent au détriment de la communication. D’un côté, des parents « normaux », soucieux de comprendre leur enfant et de privilégier le dialogue avec lui, au sein de règles de vie préétablies, même si pour cela ils n’hésitent pas à s’immiscer dans son intimité. De l’autre, des adolescents en quête d’indépendance, qui expriment leur frustration, dans l’attente d’encore plus de compréhension et de souplesse de la part de leurs parents. C’est à la fois le comportement et les fréquentations de son fils qui ont donné du fil à retordre à Salwa. Alors qu’il était, quelques mois plus tôt, doux et obéissant, il est subitement devenu réfractaire à son entourage familial et scolaire, dès l’âge de douze ans, en même temps que s’opéraient en lui d’importants changements physiologiques. « Il a très vite eu l’allure d’un jeune homme, et s’est mis à fréquenter des camarades plus âgés qui, à mes yeux, ne lui convenaient pas », se rappelle sa mère. « De plus, il était tellement négatif qu’il en devenait violent. Parallèlement, ses résultats scolaires ont accusé une baisse soudaine alors que son attitude en classe laissait à désirer. Nous avons pensé qu’il pouvait avoir des troubles du comportement. » En fait, il n’en était rien. Cet enfant vivait simplement une adolescence d’autant plus précoce qu’elle était accompagnée de premiers émois amoureux. « Mais c’était trop tôt, remarque sa mère, je ne pouvais accepter le fait de voir mon fils de treize ans marcher main dans la main avec une fille ou l’embrasser en public. Il n’avait pas la maturité nécessaire pour cela. » C’est en détournant l’attention de l’adolescent vers des activités sportives, en imposant la notion d’interdit et une discipline ferme, mais surtout en dialoguant avec lui que Salwa déclare avoir réussi à raisonner son enfant, avec l’aide de son époux, de conseils de psychologues et de lectures personnelles. « Nous étions constamment disponibles pour l’écouter et l’aider », dit-elle, ajoutant avoir sciemment laissé passer les frasques vestimentaires de l’adolescent, pour donner la priorité au problème principal. Elle avoue même avoir joué, par moments, le jeu de son fils, s’immiscant dans la relation amoureuse de ce dernier, lui dictant certains de ses actes afin de l’aider à s’en sortir. « D’ailleurs, précise-t-elle, à 14 ans passés, il a aujourd’hui dépassé cette phase. » Autorité et limites, un garde-fou Tendre et conflictuelle, c’est ainsi que Raymond qualifie sa relation avec sa fille de 15 ans et demi. Ce qu’il lui reproche principalement est sa perméabilité à la mode qu’elle suit avec ferveur, mais aussi la désorganisation de sa vie quotidienne, tant au niveau du travail scolaire que des sorties. « Elle se lance à corps perdu dans la mode, à travers les magazines et semble prête à tout pour l’esthétique, quitte à en oublier ses études », déplore-t-il. Raymond parle alors des longs moments que sa fille consacre au shopping, mais aussi du conflit que son désir de piercing a créé entre eux. « Il m’a fallu des heures pour la convaincre qu’il était dangereux de se faire charcuter de la sorte », se souvient-il, ajoutant que de toute façon, il n’était pas prêt à faire le moindre sacrifice financier pour une chose si futile. Quant aux sorties de la jeune fille, elles sont désormais réglées selon une limite établie par le couple parental. « Une fois par semaine, en week-end, c’est amplement suffisant », observe Raymond. Mais, si les résultats scolaires sont mauvais, il la sanctionne en lui interdisant de sortir, de se connecter sur Internet, de regarder la télévision et la prive même provisoirement de son téléphone portable. « Je deviens alors intransigeant », remarque-t-il. « D’un côté, elle est pourrie et ne manque de rien, d’un autre elle a besoin d’autorité, d’un garde-fou. Et puis l’autorité n’a jamais traumatisé personne. » Et de conclure en disant que même dans les moments les plus conflictuels de sa relation avec sa fille, lui ou son épouse gardent une porte ouverte au dialogue, afin de permettre à l’adolescente de s’exprimer. Sortir trop souvent la nuit, veiller aussi tard que possible, rentrer parfois au petit matin est le souci de bon nombre d’adolescents, dont le fils de Mona. Longtemps, ce sujet a été source de conflits entre le garçon et ses parents, sa mère plus précisément. « Un conflit qui prenait des proportions telles, que le ton ne pouvait que monter, de part et d’autres, sans résultat », se souvient-elle. « On tentait bien de discuter calmement, de ne pas s’énerver, mais c’était peine perdue. Mon fils était si cassant, si convaincu de ses arguments qu’on ne parvenait pas à le ramener à la raison et puis il refusait de s’asseoir pour discuter avec nous, nous parlait toujours entre deux sorties. » À cela s’ajoutaient des résultats scolaires en baisse, mais aussi une hygiène de vie qui ne correspondait pas aux normes familiales : « Il ne prenait pas soin de lui, dormait peu, se nourrissait et s’habillait mal. J’avais peur qu’il ne flanche, même si je savais pertinemment bien qu’il n’était nullement attiré par l’alcool », remarque Mona. Leur fils avait alors 17 ans. Deux ans plus tard, si ses sorties nocturnes figurent toujours parmi ses priorités, l’adolescent en discute plus ouvertement avec ses parents. « C’est peut-être le début de la maturité », constate sa mère avec espoir. Une frustration inévitable Il arrive aussi aux parents de se sentir dépassés par les idées de leurs enfants. On entend çà et là : « Ils nous trouvent trop ringards, trop vieux, ils disent que nous avons des idées bien arrêtées. » C’est aussi le cas de Mona dont la fille de 16 ans refuse sa conception des différences communautaires. « Dans sa soif de mieux connaître ses camarades appartenant à d’autres communautés, elle me reproche d’être fanatique », déplore-t-elle, ajoutant que l’une et l’autre campent sur leurs positions lors des interminables et épuisantes discussions. Séparée de son mari, Sabine trouve de nombreuses difficultés à élever seule ses deux adolescents de 17 et 13 ans. « D’un côté, ils montrent leur agressivité et leur refus de cette situation, de l’autre, ils veulent s’affirmer et avoir plus d’indépendance. » Soucieuse de fixer des limites modérées tout en privilégiant l’amour et la communication, Sabine n’en exprime pas moins son anxiété. Une anxiété de voir ses enfants dépasser les limites fixées ou d’avoir de mauvaises fréquentations. Une anxiété d’envahir leur intimité en dépit de ses résolutions. « Nos discussions sont souvent orageuses, raconte-t-elle, on boude, on finit par se réconcilier même si la frustration est inévitable. Et pourtant, il y a des jours où la relation entre nous est excellente, où je n’ai même pas à leur poser de questions, où ils viennent d’eux-mêmes me parler. » Conscients de ces limites que leurs parents veulent leur imposer, les adolescents n’en demandent pas moins plus d’indépendance, de confiance et surtout d’intimité. Ce qui les dérange par-dessus tout, ce n’est pas seulement les nombreux interdits fixés par leurs parents, mais le manque de savoir-faire. Résultat, les frustrations sont là, bien évidentes. Parfois franchement clamées, sans détour, ni ambages, elles sont le plus souvent dites d’une petite voix, à peine audible, comme pour s’excuser. « Mes parents me pouponnent trop, se plaint Chloé tout haut. Ils cherchent la petite bête et veulent tout savoir, alors qu’ils se disent ouverts. » Et l’adolescente de 15 ans de raconter les interminables discussions dans lesquelles se lancent ses parents, discussions qu’elle qualifie d’artificielles, notamment lorsqu’il s’agit de ses relations avec les garçons. « Je sens leur malaise et cela me dérange, poursuit-elle, surtout quand ils en font des blagues bêtes. » Il en est de même pour Karim qui ne comprend pas toujours l’autorité de ses parents. « C’est souvent par principe que mes parents refusent telle ou telle demande. Je n’ai pas le droit de vouloir faire une chose, je peux juste demander la permission de la faire, regrette-t-il. Certes, à force de discussions et de dialogue, ils finissent par me convaincre et je baisse les bras. Mais souvent, je trouve que leur raisonnement n’est pas logique. J’ai alors envie d’exploser, mais je me retiens. » En fait, à 14 ans, Karim a compris que la politesse avec ses parents est le meilleur moyen pour lui de négocier. Incapable d’arriver à ses fins par la force, c’est par la diplomatie qu’il s’y emploie désormais. La sexualité, sujet tabou Plus solitaire, Gisèle est souvent dans sa chambre. À 17 ans, elle aime lire et écrire, mais déplore que ses parents ne respectent pas son intimité. « Ils rentrent systématiquement dans ma chambre et ne comprennent pas mon besoin de solitude », constate-t-elle. Il en est de même pour Lamia qui n’en peut plus de devoir systématiquement suivre ses parents lors de leurs déplacements à la montagne. « Pourquoi ne puis-je rester toute seule à la maison ? Je ne suis plus une enfant. Je peux très bien me débrouiller toute seule et m’estime digne de confiance. » Les interdits, il y en a tellement, au gré de ces adolescents. Interdit d’avoir de mauvaises fréquentations, de sortir sans permission, d’aller veiller dans certains endroits, de fumer, de boire de l’alcool avant l’âge de 18 ans, et bien d’autres. Les suivent-ils vraiment, systématiquement, sans discuter ? « Certainement pas », répondent-ils souvent. Car le mensonge est monnaie courante. « Il m’arrive de prétendre que je suis chez des amis alors qu’en réalité on traîne en groupe dans la rue ou dans un pub », remarque Samir. « Mon frère pique la voiture de mon père le soir », raconte à son tour Henri. Quant à leurs amis, ils déclarent les choisir en fonction de leurs affinités, même si leurs parents ne sont pas toujours d’accord avec ces fréquentations. Dialoguer avec leurs parents ? Certes, ils n’ont souvent aucun problème à le faire, mais peuvent-ils aborder tous les sujets avec eux sans retenue ? C’est souvent là que le bât blesse. On parle de sorties, de problèmes scolaires, d’habillement, on discute de tout et de rien, on négocie les permissions et les limites, mais on aborde rarement ou du moins avec des gants, certains problèmes personnels, liés notamment à sa propre sexualité. « Il m’est très difficile de parler de ma sexualité ou de mes histoires amoureuses avec mes parents, dit Raja, 17 ans. On en parle de manière générale, mais je ne sais pas comment ils prendraient la chose si je venais à leur exposer mes problèmes personnels. Cependant, il arrive à ma mère de venir dans ma chambre et de me pousser à en parler, ajoute-t-il, embarrassé. Cela me dérange. Mais une fois que le pas est franchi et qu’elle aborde le sujet, je dis tout ce que j’ai dans le cœur et cela me fait beaucoup de bien. » Il n’en est pas de même pour Rana, qui a tenté en vain d’aborder le sujet avec sa mère. « Je lui ai dit en blaguant que j’étais enceinte mais elle n’a pas réagi. Pour elle, c’était juste une bonne blague et elle a changé de sujet », regrette l’adolescente de 17 ans. « Elle n’a pas réalisé que j’avais besoin de poser des questions me concernant personnellement. Depuis, je me contente de parler de généralités, de raconter les histoires de mes amis, pour voir jusqu’où je peux aller », dit-elle, d’une voix à peine audible. À l’instar de Rana, nombreux sont les adolescents qui n’envisagent même pas d’évoquer le sujet de la sexualité avec leurs parents. « Ça ne regarde que moi », « c’est trop personnel », « parler de la sexualité avec mes parents ? Vous n’y pensez pas ! ». Autant de témoignages qui prouvent que ces jeunes ne sont pas encore prêts à briser le tabou, face à des parents qui en sont toujours prisonniers. Anne-Marie EL-HAGE
Leurs relations ne sont pas toujours au beau fixe. Et pourtant, de l’affection, de l’amour et de la bonne volonté, ils en ont souvent à en revendre, les uns comme les autres. Entre parents et adolescents, les sujets à conflits ne manquent pas. Qu’il s’agisse de sorties, d’habillement, de comportement, de fréquentations ou tout simplement de résultats scolaires, les uns et les autres sont rarement d’accord sur tous les points. On explique, on discute, on essaie de convaincre, dans le souci d’instaurer un climat de dialogue. On y arrive parfois. Mais souvent, pour une petite broutille, pour un mot mal choisi, la susceptibilité l’emporte et les discussions orageuses, bouderies et frustrations s’installent au détriment de la communication. D’un côté, des parents « normaux », soucieux de comprendre leur enfant...