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Actualités - CHRONOLOGIE

Homère et les Phéniciens (photos)

Poèmes odysséens et navigations phéniciennes semblent unis par des liens étroits. La topologie et la toponymie de l’Odysseia ou de la Télémakheia mènent à l’hypothèse qu’une thalassocratie phénicienne a précédé les marines homériques. Les noms de lieux, les sites et les légendes de la Grèce primitive nous conduisent à la même hypothèse. Pour expliquer la tradition de Pylos et de Mégare, comme pour expliquer la légende de Kirké et de Kalypso, il faut qu’avant l’époque odysséenne les marines de Tyr ou de Sidon aient fréquenté, dans le golfe Saronique, l’Île de la Paix, Salamis, le Mouillage de la halte, Minoa, la Ville de la Caverne, Karia Mégara, les sources de l’Amitié, de la Dispute et de Melkart, Ino-Mélikertou, Alopé, Sithnides ; il faut que les Phéniciens aient remonté le fleuve des Bœufs, Alphéios, et la rivière de la Purification, Néda, débarqué sur les sables de la Haute-Ville, Samos, et achalandé les bazars d’Aliphéra et de Phigalie. Et de même il faut qu’à l’extrémité du monde, ils aient connu le Pilier du ciel, Atlas et la Cachette, Kalypso, sa fille. Il y a vingt ou trente ans, avant le déchaînement de l’histoire archéologique, ces conséquences eussent été acceptées sans peine : elles sont conformes à ce que nous enseignent Hérodote, Thucydide et Strabon. Mais aujourd’hui, la mode est aux historiens d’une autre sorte. Aux auteurs les plus critiques, aux textes les plus formels de l’antiquité, on préfère le témoignage et les documents douteux de l’archéologie et, l’archéologie n’ayant pas encore fourni ou reconnu les traces de l’occupation phénicienne en Grèce, on nie résolument cette occupation : «Thucydide et Hérodote, dit M. J. Beloch, ne méritent aucune créance en ce qui concerne les origines de la civilisation grecque. L’influence primordiale et décisive qu’ils attribuent au commerce phénicien n’a jamais existé. La fréquentation de l’Archipel primitif par les Phéniciens est une légende : on en chercherait vainement une preuve palpable et authentique». M. J. Beloch a résumé cette opinion dans les premiers chapitres de son Histoire grecque. Il l’a imposée à une grande partie du public par la légitime popularité de cette histoire. Mais il l’a défendue plus vivement encore dans un article du Rheinisches Museum : Die Phoeniker am Aegaeischen Meer. «Hérodote, dit-il, se trompe, au début de ses histoires, quand il recule jusqu’aux siècles lointains de la légende argienne la description d’un marché phénicien sur les plages de l’Argolide. La présence des Phéniciens dans l’Égée primitive ne nous est prouvée par rien, ni par les poèmes homériques, ni par l’histoire du commerce, ni même par celle de l’alphabet, pas davantage par l’archéologie, la toponymie, la linguistique ou la philologie». Nous n’avons à retenir ici que la première de ces assertions. Pour la contrôler, prenons les passages des poèmes homériques où apparaît le nom des Phéniciens. Si l’on dresse le tableau de ces passages, on a : au total dix-sept citations, dont quatre dans l’Iliade et treize dans l’Odyssée. En réalité, ces dix-sept citation se réduisent à deux passages de l’Iliade et à quatre passages de l’Odyssée. Les voici au chant VI de l’Iliade (v. 290-292), Hécube descend vers la chambre où, dans les aromates, sont conservés les péplums brodés, œuvres de femmes sidoniennes qu’Alexandros lui-même, le héros divin, avait ramenées de Sidonie à travers la vaste mer. – Au chant XXIII de l’Iliade (v. 740-745), lors des funérailles de Patrocle Achille, comme prix de la course, offre un cratère d’argent bien travaillé, contenant six mesures et dépassant tout en beauté, puisque c’étaient d’habiles Sidoniens qui l’avaient soigneusement façonné ; des hommes phéniciens l’avaient apporté sur la mer nébuleuse ; ils l’avaient exposé dans les ports, puis donné en cadeau au roi Thoas. Voici pour l’Iliade. – Au chant IV de l’Odyssée (v. 83-84, v. 618), Ménélas parle de ses voyages à Chypre, en Phénicie, chez les Égyptiens, les Éthiopiens, les Sidoniens et les Érembes, et il donne à Télémaque un cratère travaillé, tout d’argent fondu, aux lèvres cloisonnées d’or : ce cratère lui vient du roi des Sidoniens, Phaidimos, son hôte. – Au chant XIII de l’Odyssée (v. 272-285), Ulysse invente le mensonge d’une navigation, qu’il aurait faite en compagnie des Phéniciens illustres. De Crète, ils devaient le passer à Pylos ou en Élide ; mais la tempête les jeta sur la côte d’Ithaque où ils le débarquèrent ; puis ils retournèrent vers leur Sidonie aux belles maisons. – Au chant XIV de l’Odyssée (v. 288-510), Ulysse invente une autre histoire de naufrage en compagnie des mêmes Phéniciens. D’Égypte, ils l’avaient emmené chez eux puis le ramenaient à travers la mer de Crète ; mais Zeus leur envoya une terrible tempête qui les jeta à la côte des Thesprotes. – Enfin, au chant XV de l’Odyssée (v. 405 et suiv.), Eumée raconte son enfance dans l’île Syria, son éducation par une nurse phénicienne et son enlèvement par des Phéniciens, qui ont séduit sa bonne et sont venus le vendre à la côté d’Ithaque. Ce dernier passage est de beaucoup le plus long, le plus circonstancié et, je crois, le plus important. Tous les autres d’ailleurs s’y rattachent facilement. Nous le prendrons pour centre de notre étude. Les philologues ont cru y remarquer un certain air de modernité. Kirchhoff le rapporterait volontiers au travail de recension et de réfection du VIIIe ou même du VIIe siècle. Kirchhoff ne donne aucun bon argument à l’appui de cette opinion. Je crois qu’à l’étude, ce passage nous apparaîtra, ou du moins les faits qu’il relate nous apparaîtront comme exactement contemporains de la civilisation, de la vie sociale, des habitudes nautiques et commerciales, bref de toutes les mœurs décrites par les chants de l’Ulysséide proprement dite. Mais il faut étudier ce passage à la façon des plus homériques, vers par vers, mot par mot.
Poèmes odysséens et navigations phéniciennes semblent unis par des liens étroits. La topologie et la toponymie de l’Odysseia ou de la Télémakheia mènent à l’hypothèse qu’une thalassocratie phénicienne a précédé les marines homériques. Les noms de lieux, les sites et les légendes de la Grèce primitive nous conduisent à la même hypothèse. Pour expliquer la tradition de Pylos et de Mégare, comme pour expliquer la légende de Kirké et de Kalypso, il faut qu’avant l’époque odysséenne les marines de Tyr ou de Sidon aient fréquenté, dans le golfe Saronique, l’Île de la Paix, Salamis, le Mouillage de la halte, Minoa, la Ville de la Caverne, Karia Mégara, les sources de l’Amitié, de la Dispute et de Melkart, Ino-Mélikertou, Alopé, Sithnides ; il faut que les Phéniciens aient remonté le fleuve des...