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Actualités - CHRONOLOGIE

Histoire - Les Phéniciens et les autres A voiles déployées dans les mensonges d'Ulysse (photos)

Peuple riche, ingénieux, audacieux et félon. Grecs et Romains virent ainsi les Phéniciens : un peu comme les Portugais d’antan, navigateurs forcenés et téméraires, marchands levantins, avec les clichés de toute l’histoire postérieure. Les anciens de l’Occident regardent les Phéniciens d’un œil taché de méfiance plutôt que d’admiration inconditionnelle. Laissons donc les doutes et les répugnances pour les divinités étrangères et cruelles. Regardons le peuple : riche, ingénieux, audacieux et félon, tel est, plus ou moins, le profil avec une gamme peu variée d’expressions et d’images, de ces sémites qui sont un peu les Portugais d’antan, navigateurs forcenés et téméraires avec un zeste de marchands levantins sur lesquels sont plaqués les marques et les clichés de toute l’histoire postérieure. Pour parler de leurs voyages, avant tout, il y a naturellement les historiens et les géographes. Mais la renommée des Phéniciens fourmille dans toute la littérature, devenant souvent un rappel familier, un qualificatif standardisé, un goût artistique. Voici donc Strabon, le grand géographe grec du Ie siècle avant le Christ, qui nous raconte que ce sont les Phéniciens qui s’adonnèrent, les premiers, à l’astronomie et qui identifièrent les constellations célestes, utiles à la navigation nocturne. Seulement de la sorte, pouvaient-ils pousser, à une époque très ancienne, vers l’Ouest, dépasser le Detroit de Gibraltar avant même la guerre de Troie, et être les seuls à faire le commerce, à partir de Cadix, avec les habitants des îles Scilly, à l’entrée de la Manche. Les habitants des Scilly, rudes et sombrement vêtus de la tête aux pieds, avec de longs bâtons en main, «au point de ressembler aux déesses de la Vengeance qu’on voit dans les tragédies», possédaient d’importantes mines d’étain et de plomb, où les Phéniciens puisaient largement exportant vers ces îles, à leur tour, cuivre, sel et céramique. C’est à Hérodote, par contre, de conter l’expédition des marins phéniciens qui, sur l’ordre du pharaon Néchao, entreprirent de faire le périple autour de l’Afrique, partant de la mer Rouge et retournant par l’Ouest. Ce voyage dura trois ans, avec le soleil d’abord «étrangement à droite», ce qui semble assez mystérieux pour Hérodote lui-même, et absolument fantaisiste pour les autres auteurs. Mais la légende prouve au moins la réputation de ces anciens marins qui avaient doublé le cap de Bonne-Espérance, deux mille ans avant Vasco de Gama. Une connaissance exceptionnelle Leur connaissance de la Méditerranée et des côtes européennes de l’Atlantique était de toute façon si exceptionnelle que toujours Strabon nous dit que «les Phéniciens furent les informateurs d’Homère pour les voyages d’Ulysse» : il ouvre avec cela un débat auquel notre siècle a redonné du souffle. Le grand spécialiste français d’Homère, Victor Bérard, a écrit successivement au cours du premier tiers du vingtième siècle une série d’ouvrages de valeur, soutenant la théorie de l’origine phénicienne de l’Odyssée. Les Phéniciens auraient établi sur la base de leurs expériences directes un guide à l’usage des voyageurs de l’obscur Occident ; en terre ionique, par l’ingéniosité des poètes, le guide devient poésie. Les pérégrinations d’Ulysse seraient des voyages phéniciens, vrais et authentiques, et Bérard recherche et établit, là où survivent les restes de la colonisation phénicienne le long des bords de la Méditerranée, les escales fabuleuses de héros grec, les agréables terres de Circé, de Calypso et de Nausicaa, comme les domaines terrifiants des Lestrigons et de Polyphème. Mais, mieux que la fantaisie de Bérard, cette même fantaisie d’Homère nous vient en aide, quand nous le voulons : savoir que, si même il n’a pas écrit, dans l’Odyssée, un manuel en vers pour le Yachtman an éprouvé, il introduit, au juste moment, le nom et l’idée de la Phénicie ; et nous sommes saisis par la fantaisie également fertile de son protagoniste – sinon phénicien, certainement un grec parfait – par un jeu subtil de miroirs, les Phéniciens entrent à voiles déployées dans les propos les plus mensongers de cet homme au génie multiforme. Quand Ulysse touche enfin la terre de la patrie, dans le treizième cantique du poème, et se réveille, inconscient, sur ses rivages, voici que la déesse Athéna lui apparaît sous les traits d’un jeune pâtre. Le héros s’informe auprès de lui de l’endroit, apprend que c’est Ithaque et cache sa propre joie, feignant d’être à son tour un Crétois débarqué là d’un navire phénicien, habilement manœuvré durant une tempête et reparti en cachette avec son chargement pour Sidon. Peu après, c’est à Eumée, le berger fidèle, d’écouter encore une autre histoire pas beaucoup différente, mais aussi extravagante, des lèvres de l’ancien patron méfiant, arrivé incognito à sa cabane. Devant Eumée, Ulysse se fait passer encore pour un Crétois qui a fait fortune, cette fois, en Égypte, et qui rencontre un beau jour «un de ces Phéniciens grands charlatans, avides, qui avaient déjà fait beaucoup de mal parmi les hommes» ; il était passé avec lui en Phénicie, puis il s’était laissé persuader de l’accompagner pour ses trafics en Libye, où le louche marchand était en réalité résolu à le vendre comme esclave : seulement, une autre tempête en mer, plus forte cette fois que la bravoure humaine le sauve, grâce à un naufrage, de son sort malheureux. Également peu après, dans l’autobiographie racontée par Eumée, reparaît dans une île de l’Occident : «Un peuple de Phénicie, de ces fameux marins, qui portent sur leurs noirs navires d’innombrables colifichets : et tandis qu’ils feignent de marchander avec les indigènes des colliers d’ambres sertis d’or, ils complotent derrière leur dos». Un art particulier La littérature s’empare ainsi du Phénicien parjure. Les «pactes phéniciens» passent dans les proverbes des Grecs pour exprimer un accord astucieux et non tenu : art où les Phéniciens rivalisent avec les peuples de tout l’Orient. Un échange de précédés d’une malice très fine était défini «un concours entre Syriens et Phéniciens». Le lexique Suda raconte que, lorsque les Phéniciens fondateurs de Carthage abordèrent en Libye, ils demandèrent aux indigènes l’hospitalité pour la nuit et le jour, ils l’obtinrent, mais ils ne s’en allèrent plus, disant qu’ils avaient fait l’accord de rester «de nuit et de jour» : histoire analogue à celle de Virgile, ou la peau réduite à des lanières très fines, avec lesquelles ils se rendirent maîtres du vaste périmètre de la future Carthage. Les pirates phéniciens sont les personnages immanquables et nécessaires du roman hellénistique, en tant que ravisseurs de jeunes filles et terreurs des mers. On disait d’une mer périlleuse «mer phénicienne», non moins pour leurs incursions que pour leur adresse à la navigation. D’aucuns font dériver le nom «phénicien» de phònos = homicide, plutôt que de phoinos = rouge.
Peuple riche, ingénieux, audacieux et félon. Grecs et Romains virent ainsi les Phéniciens : un peu comme les Portugais d’antan, navigateurs forcenés et téméraires, marchands levantins, avec les clichés de toute l’histoire postérieure. Les anciens de l’Occident regardent les Phéniciens d’un œil taché de méfiance plutôt que d’admiration inconditionnelle. Laissons donc les doutes et les répugnances pour les divinités étrangères et cruelles. Regardons le peuple : riche, ingénieux, audacieux et félon, tel est, plus ou moins, le profil avec une gamme peu variée d’expressions et d’images, de ces sémites qui sont un peu les Portugais d’antan, navigateurs forcenés et téméraires avec un zeste de marchands levantins sur lesquels sont plaqués les marques et les clichés de toute l’histoire postérieure....