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Civilisations - De quelle musique jouaient donc les phéniciens ? A la recherche de la harpe perdue ... (photos)
Par BOUSTANY Harès, le 07 septembre 2000 à 00h00
De Canaan vint en Palestine «toutes sortes d’instruments en bois de cyprès. Des psaltérions, des tympanons, des sistres». Les harpes égyptiennes se détachent dans les peintures funéraires. Mais quelle musique auraient-elles jouée ? Qui sait ce qu’auraient joué les musiciens de cour, à la fête des noces que l’indigne Achab, fils d’Omri, roi d’Israël, voulait célébrer avec la belle Jézabel, fille d’Eth-Baal, roi de Sidon, «faisant ce qui est mal aux yeux de l’Éternel, plus que tous ceux qui avaient été avant lui (I Rois 16:31)». Nous ne le saurons jamais avec exactitude : mais nous pouvons raisonnablement déduire qu’à la cérémonie «blasphématoire» (du point de vue des Hébreux), dans laquelle la semence pure d’Israël allait se mélanger à celle «impure» des Cannanéens, «adorateurs d’Astarté et de Baal», les somptueux salons du palais royal ont vibré aux notes douces – et graves – tirées des grandes harpes d’origine égyptienne importées par le «peuple de la pourpre» si habile dans les échanges et les transactions, conservant leur nom phénicien de «kinnor» (kinnarat en arabe). Comme le met en évidence le musicologue Enrico Magni Dufflocq dans son étude magistrale, nous connaissons bien une musique hébraïque, mais elle appartient à la tradition médiévale et moderne ; même si, par exemple, la synagogue de Damas soutient qu’elle possède une tradition ininterrompue de musique liturgique qui se perdrait dans la proverbiale «nuit des temps». Il n’est pas exclut, certes, que les indications qui nous sont parvenues pour être finalement fixées sur papier, ne soient «qu’une ombre de ce passé qu’en vain on tente d’arracher aux ténèbres» : c’est le but que visent les recherches sur les notations musicales syllabiques retracées sur des fragments de papyrus, recherches conduites avec un scrupule génial par Denise Jourdan-Hemmerdinger, qui en rendait compte il y a plus d’une vingtaine d’années au Congrès annuel du European Cultural Center de Delphes. Et du moment que les costumes, la liturgie et une partie de la langue passèrent indubitablement de Canaan à Israël, nous pouvons mettre au compte des Phéniciens «toutes sortes d’instruments de bois de cyprès. Des cithares, des psaltérions, des tympanons, des sistres et des cymbales», avec lesquels «David et toute la maison Israël jouaient devant l’Éternel (2 Samuel 6:5)». Cela s’étend assurément à la lutherie, même si un courant non négligeable de chercheurs a nié aux peuples de la pourpre un art original, les dotant plutôt d’un artisanat puissant et adroit. La lutherie leur était indispensable pour leurs nombreuses célébrations liturgiques, dont nous avons désormais, en plus des renseignements de la Bible, de nombreux témoignages archéologiques, comme la découverte des divers «tofet» ou sanctuaires. Ainsi donc, si nous n’avons pas – et peut-être nous n’aurons jamais : ou qui sait ? – une documentation concrète sur les noces d’Achab et de Jézabel, nous pouvons cependant admirer les files de pleureuses danseuses qui décorent le sarcophage phénicien d’Ahiram, provenant de Byblos et remontant aux XIVe – XIIIe siècles avant J-C : une tradition qui dure et se perpétue jusqu’à l’âge hellénistique, avec le sarcophage du IIIe siècle trouvé à Sidon, appelé justement «des pleureuses», aujourd’hui au Musée d’Istanbul. Et si, au début du troisième millénaire, la fameuse cité de Byblos nouait de solides relations avec l’Égypte, nous pouvons bien penser que les harpes et les luths y résonnèrent, tels figurés avec insistance dans les peintures funéraires : en particulier ces grandes harpes – de hauteur supérieure à la moitié de la stature humaine – précisément appelées «kinnor» par les Phéniciens ; elles étaient réservées aux prêtres, et on en jouait debout ou à genoux. De même, c’est probablement de l’Asie que provenaient par contre, par l’intermédiaire des échanges phéniciens, ces flûtes recourbées qui dans les peintures égyptiennes plus récentes, voisinent avec les deux types traditionnels de flûte – à bec et à traverse – munies de cinq trous seulement : ce qui fait penser à une échelle de cinq ou de sept tons que les Égyptiens (et les Phéniciens avec eux) auraient utilisée comme fondement de leur pratique musicale. Continuant de la sorte, on pourrait attribuer aux Phéniciens la gamme entière des Altaegyptischen Musikinstrumente décrit en son temps par Curt Sachs ; mais il vaut mieux s’arrêter là par prudence et imaginer par contre quelque chose encore qui ne put manquer même aux «peuples de la pourpre» : la musique vocale, c’est-à-dire le chant, plus ou moins rituel, éternellement différent et éternellement égal, (avec quoi, sinon avec une berceuse, «ninna-nanna», les mères phéniciennes auraient endormi leurs bambins ?). Mais, justement, il s’agit d’en imaginer les tonalités : comme Leopardi imaginait celles du chant solitaire d’un berger errant en Asie, ébloui par Astarté, c’est-à-dire la lune phénicienne.
De Canaan vint en Palestine «toutes sortes d’instruments en bois de cyprès. Des psaltérions, des tympanons, des sistres». Les harpes égyptiennes se détachent dans les peintures funéraires. Mais quelle musique auraient-elles jouée ? Qui sait ce qu’auraient joué les musiciens de cour, à la fête des noces que l’indigne Achab, fils d’Omri, roi d’Israël, voulait célébrer avec la belle Jézabel, fille d’Eth-Baal, roi de Sidon, «faisant ce qui est mal aux yeux de l’Éternel, plus que tous ceux qui avaient été avant lui (I Rois 16:31)». Nous ne le saurons jamais avec exactitude : mais nous pouvons raisonnablement déduire qu’à la cérémonie «blasphématoire» (du point de vue des Hébreux), dans laquelle la semence pure d’Israël allait se mélanger à celle «impure» des Cannanéens, «adorateurs...