Actualités - OPINION
Opinion Au four et au moulin : réflexions sur la politique de l'audiovisuel
Par BOULOS Jean Claude, le 01 septembre 2000 à 00h00
«Dieu qu’il est joli garçon, l’assassin de papa!» faisait dire à Chimène le poète Georges Fourest dans une parodie du Cid, résumant en un seul vers toute la tragédie de Corneille. L’écrivain français classique a laissé son nom à des situations où l’homme est pris entre deux décisions contradictoires qui le font justement vivre un drame cornélien. Tout le monde vit un drame cornélien dans ces moments d’élection, ou plus justement exprimé, dans ces moments de dépôt d’un papier dans des urnes, qui pour peu, deviendraient des urnes funéraires pour ceux qui en espèrent un changement efficace dans l’avenir de notre pays. Mais c’est surtout dans l’audiovisuel que les plus grandes tragédies cornéliennes se jouent et que les entorses à l’équivalence des chances sont le plus commises, bafouant ainsi l’idée de l’information équilibrée. Il ne fait aucun doute que tout cela découle de la loi de l’audiovisuel de 1994 réglementant, comme Taëf l’exigeait, le panorama audiovisuel qui avait effectivement pris des proportions démesurées pour atteindre 50 télés et 160 radios. Mais cette réglementation fut conçue de telle manière qu’elle a créé des incongruités dont nous sommes en train de souffrir aujourd’hui. Malgré un cahier des charges très minutieux et établi par des professionnels chevronnés réunis pendant plus de trois mois pour en discuter les moindres détails, force est de reconnaître que pas une fois depuis 1995 ce cahier des charges n’a été appliqué. Malgré la formation d’un Conseil national de l’audiovisuel, que nous voulions être le véritable gendarme des contraventions auxquelles se seraient laissé aller les télévisions, aucune sanction n’a jamais été prise contre le dévouement politique, vulgaire et violent de toutes les télés. La consécration du drame eut lieu lorsque en octobre 1996 le gouvernement Hariri prit la décision d’octroyer les licences d’exploitation à la LBC, la Future, la MTV et Manar (pour politique prorésistance) et... à la NBN qui n’existait encore que dans les dossiers et qui n’allait commencer à émettre que 6 mois plus tard. Étaient exclues la NTV (qui pourtant répondait au cahier des charges), la ICN, la CVN et Al-Mashrek (qui avait interrompu ses émissions un peu plus tôt). Télé-Liban rachetée par l’État en avril 95, faisait bien sûr, partie du lot, avec son qualificatif de télé d’État. Quelques semaines auparavant, un des patrons d’une des télés non «rescapées» me confiait : «Je suis sûr que ma télé va continuer, je suis la seule télé d’opposition !». Et voilà le malentendu. On ne peut pas, on ne doit pas être une télé d’opposition. À partir de l’instant où une télé émet, elle devient un service public même si elle est gérée par des capitaux privés. La télé, l’électricité ou le téléphone sont un service public même s’ils sont privatisés. Quand une image entre dans mon salon sans y être invitée, je m’attends à ce qu’elle respecte mon hospitalité et mes convictions ainsi que celles des amis que j’ai invités chez moi. Je répondis à mon ami : «Et si demain tu réussis aux élections, et tu deviens ministre, ta télé sera-t-elle toujours une télé d’opposition ?». C’est le problème qui se pose aujourd’hui non seulement aux télévisions privées, mais aussi, mais surtout à la télé publique dite télévision d’État et devenue pratiquement télévision de gouvernement. Je dois préciser que lors de ma désignation à la tête de Télé-Liban, tout aussi bien le président Hraoui, le président Berry et le président Hariri m’avaient demandé de prôner une information équilibrée (50/50 était leur slogan) en couvrant les nouvelles de l’opposition tout comme celles de l’État. Dans toutes mes déclarations, j’ai toujours appelé Télé-Liban la télévision publique. La définition que nous en avions donnée est que Télé-Liban, tout en étant la propriété de l’État, claironnant les réalisations de l’État, devait en même temps permettre à l’opposition de s’exprimer librement. L’émission satirique Tok Rire est une preuve éclatante de la liberté d’informer. Au nom de la liberté d’information justement, le gouvernement de M. Sélim Hoss eut tôt fait d’octroyer des licences d’exploitation aux trois télés qui n’avaient pas reçu l’aval du Cabinet Hariri. Sans aucune considération d’ordre financier, sans se soucier de savoir si les budgets publicitaires dépensés au Liban étaient suffisants pour alimenter 9 télés commerciales. Liberté d’informer que de crimes on commet en ton nom ! La liberté d’informer est-elle la liberté d’injurier par exemple ? Est-elle la liberté de laisser exprimer sa rancœur pour parler pis que pendre d’un autre politicien ? Au nom de la liberté d’informer, la ICN avait insulté le président Hariri, et Michel Samaha avait fait fermer la station manu militari. Au nom de la liberté d’informer, on assiste aujourd’hui à une écœurante empoignade entre les politiciens. Même la station la plus respectueuse de l’équidistance entre l’État et l’opposition, la MTV, a vu en direct et impuissante, le discours insultant d’un député parvenir aux oreilles des téléspectateurs, La NBN sereine, au service d’un super-gagnant, a gardé le ton impartial. La LBC s’accroche autant qu’elle peut à rester très neutre mais sombre souvent dans une partialité apparente (actionnaires obligent...). La Future est le porte-parole d’un opposant de poids (même s’il a maigri en changeant de... régime). On attendait de la télé publique qu’elle restât au-dessus de la bataille, mais elle s’est transformée en véritable télé du gouvernement. Et c’est là encore une des facettes du drame cornélien qui se pose tous les quatre ans au moment des élections : les membres du gouvernement sont candidats aux élections. Quelle que soit leur intégrité morale, quelque impartiaux qu’ils puissent être, il n’est pas humainement possible de ne pas faire l’amalgame entre l’homme-ministre et l’homme-candidat. Et quand le ministre inaugure un pont, le candidat passe son message électoral, et quand le candidat est reçu à un dîner, ses services sollicitent tous les médias pour couvrir les activités du ministre. Et dès lors, le ton monte, l’escalade verbale devient monnaie courante, l’opposition, même positive, n’a plus droit d’antenne sur la télé publique devenue télé des membres du gouvernement candidats aux élections. Cela s’est passé il y a quatre ans. Cela se passe aujourd’hui. Le ministre de l’Information, le CNA (dont le président est également candidat sur la liste de l’opposition, autre drame cornélien !) tentent aujourd’hui de trouver une solution à tous ces dérapages. C’est trop tard. La solution ne peut passer que par la formation d’un gouvernement d’élection où aucun des membres n’est candidat. Car en politique on ne peut pas être en même temps au four et au moulin. Il y a des gens dont la fonction est de moudre le blé et d’autres qui doivent le pétrir et le mettre au four. Vendre le pain dès lors devient chose aisée que l’on confiera aux professionnels du marketing.
«Dieu qu’il est joli garçon, l’assassin de papa!» faisait dire à Chimène le poète Georges Fourest dans une parodie du Cid, résumant en un seul vers toute la tragédie de Corneille. L’écrivain français classique a laissé son nom à des situations où l’homme est pris entre deux décisions contradictoires qui le font justement vivre un drame cornélien. Tout le monde vit un drame cornélien dans ces moments d’élection, ou plus justement exprimé, dans ces moments de dépôt d’un papier dans des urnes, qui pour peu, deviendraient des urnes funéraires pour ceux qui en espèrent un changement efficace dans l’avenir de notre pays. Mais c’est surtout dans l’audiovisuel que les plus grandes tragédies cornéliennes se jouent et que les entorses à l’équivalence des chances sont le plus commises, bafouant ainsi...
Les plus commentés
Entre pouvoir et agir : oser
Corruption : au Liban-Nord, « jusqu'à 500 dollars » pour un vote
Pourquoi Joseph Aoun ne participera pas au sommet arabe de Bagdad