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Actualités - REPORTAGES

Processus régional - Le bassin du Jourdain, une des clés de la paix Le plan Johnston de répartition des eaux : 50 ans après, une actualité toujours brûlante

Depuis 1948, les États-Unis ont pris de nombreuses initiatives pour régler le conflit israélo-arabe, comme le plan Rogers, avancé au lendemain de la guerre de 1967, celui de Henry Kissinger au lendemain de la guerre de 1973, qui a abouti à un désengagement sur le Golan et dans la péninsule du Sinaï, et plus tard, avec Jimmy Carter, aux accords de Camp David et enfin l’initiative initiée par George Shultz au lendemain de l’invasion israélienne du Liban en 1982. Mais il reste un plan moins connu, et même oublié, élaboré par l’administration du président Dwight Eisenhower en 1952 et 1953. Cette initiative a visé essentiellement à amener Libanais, Syriens et Jordaniens d’un côté et Israéliens de l’autre, à conclure un accord sur la répartition des eaux du Jourdain. Même les Égyptiens ont été consultés sur la question, non seulement à cause du poids de leur pays dans la définition de la politique régionale, mais parce qu’il a été aussi question, à un moment, du Nil, que certains avaient pensé mettre à contribution. Actuellement, malgré un processus de paix en panne sur les volets syrien et libanais, des diplomates rappellent ces fameux pourparlers menés par l’émissaire américain Eric Johnston dont la mission a failli réussir, au point même qu’Einsenhower en a fait un rapport très optimiste au Congrès en 1956. Les négociations menées par l’ambassadeur Johnston ont porté non pas sur le fleuve du Jourdain proprement dit, mais sur l’ensemble du bassin, qui comprend les sources du Hasbani et du Wazzani au Liban-Sud, le Banias, qui prend sa source en territoire syrien avant de passer en territoire israélien, et le Dan, entièrement en territoire israélien. Le lac de Tibériade, long de 20 km et large de 10, appelé du côté israélien «mer de Galilée», qui occupe la partie la plus profonde du fossé du Ghor, à plus de 200 mètres au-dessous du niveau de la mer, traversé par le Jourdain et alimenté en partie par des sources salines, constitue la dernière partie de ce puzzle communément appelé «le bassin du Jourdain». À cet ensemble de sources, il faut ajouter le Yarmouk, un fleuve qui prend sa source en Syrie et qui coule ensuite tout au long de la frontière jordano-syrienne jusqu’à sa rencontre avec le Jourdain. Plans unilatéraux À partir de 1951, Arabes et Israéliens ont, chacun de leur côté, entamé de vastes études pour mettre au point des plans unilatéraux fixant le partage des eaux du Jourdain. Les États arabes ont opté pour une exploitation organisée des sources du Hasbani et du Banias. Israël a, pour sa part, rendu public son plan qu’il a baptisé «Tout Israël», avec comme référence une étude de James Hays de la Tennessee Valley Authority (TVA). Ce plan prévoyait le drainage du lac et des marais de Houlé, le détournement de la partie nord du Jourdain, ainsi que le creusement d’un canal qui amènerait l’eau jusqu’au littoral israélien et au désert du Neguev, dans le sud. Les Jordaniens ont, de leur côté, prévu un plan visant à irriguer le Ghor oriental à partir du Yarmouk. En réaction à un tel projet, les Israéliens ont commencé par bloquer une digue qui existait au sud du lac de Tibériade et ont entamé le drainage des marais de Houlé dans la partie démilitarisée avec la Syrie. Cela a donné lieu immédiatement à une série d’escarmouches entre la Syrie et Israël qui ont duré tout l’été de 1951. Cette situation a amené le ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque, Moshé Sharett, à déclarer que les soldats de l’État hébreu au nord «sont en train de défendre les ressources hydrauliques de la Jordanie pour que l’eau puisse arriver aux fermiers du Néguev». En mars 1953, la Jordanie et l’Unrwa (office de secours aux réfugiés palestiniens) ont signé un accord prévoyant la construction d’un barrage sur le Yarmouk permettant l’irrigation de nouvelles terres et fournissant l’électricité à la Syrie et à la Jordanie ainsi que l’installation de 100 000 réfugiés palestiniens. Un projet jordano-syrien conçu en juin de cette même année pour le partage des eaux du Yarmouk a basculé à cause du veto d’Israël qui considérait que sa part en eau, en tant que pays limitrophe, n’avait pas été garantie. En juillet 1953, Israël entreprend la construction d’une centrale électrique au nord du lac de Tibériade et dans la zone démilitarisée. L’artillerie syrienne ne tarde pas à entrer en action, bombardant l’ensemble du site en construction. La Syrie porte plainte devant le Conseil de sécurité. La démarche tourne court car se heurtant aux vetos, une pratique à laquelle recouraient souvent les grandes puissances durant la guerre froide. Propositions et contre-propositions C’est sur ce fond de tensions multiples qu’Eisenhower mandate son émissaire Eric Johnston dans la région avec pour mission de «trouver une solution globale à la question de la répartition des eaux du Jourdain». Les propositions initiales de l’émissaire américain ont retenu comme point de départ une étude faite par Charles Maine et la TVA, à la demande de l’Unrwa, pour «développer les ressources hydrauliques de la région et aider à la réinstallation des réfugiés». Gordon Clapp, président de la TVA, a présenté ce travail comme devant asseoir «les éléments d’un arrangement efficace pour faire coordonner l’approvisionnement en eau avec la ligne de partage du Jourdain». Selon lui, «ce plan ne prend pas en considération les facteurs politiques et ne tente pas de créer un système qui serait confiné dans les limites nationales des différents pays». Cette approche apolitique qui a concerné le bassin dans son ensemble n’a pas seulement donné lieu à un rapport technique qui a servi de matière première à deux ans de négociations, mais il a permis d’établir de grandes cartes géographiques qui tracent une seule frontière, celle de la ligne de partage du Jourdain. Américains et autres parties espéraient voir ce plan aboutir, non pas seulement pour ses avantages techniques, mais aussi, et surtout peut-être, pour essayer d’établir un début de dialogue entre Israël et les Arabes. Le projet initial prévoyait l’établissement de petites digues sur le Hasbani, le Dan et le Banias, une digue de taille moyenne à Maqarin, un emmagasinage supplémentaire dans le lac de Tibériade et le creusement de canaux en aval des deux côtés de la vallée du Jourdain pouvant conduire l’eau par gravité. Le plan initial excluait le Litani, ne parlait que de l’usage de l’eau dans le bassin du Jourdain et «reconnaissait le droit de chacun des pays concernés à avoir ses idées à propos des régions dans les limites desquelles ses eaux pouvaient être dirigées». Cette approche préliminaire a donné les quotes-parts suivantes : Israël pouvait disposer de 394 millions de mètres cubes par an (MCM/an), la Jordanie de 774 MCM/an et la Syrie de 45 MCM/an. En réponse à cette première esquisse, Israël a avancé le «Cotton Plan», qui a introduit plusieurs nouveaux éléments. L’État hébreu a demandé que soit inclus le Litani dans ce vaste programme de répartition des eaux du Jourdain. Il a demandé aussi à être autorisé à drainer l’eau en dehors du bassin pour les besoins de sa région côtière et du Néguev. Il a enfin proposé que le lac de Tibériade soit considéré comme principal réservoir d’emmagasinage, ce qui devait réduire sa salinité. Avec la nouvelle proposition israélienne, la répartition en eau devait devenir comme suit : Israël : 1 290 MCM/an (incluant 400 MCM/an devant être obtenus du Litani), la Jordanie : 575 MCM/an, la Syrie 30 MCM/an et le Liban 450 MCM/an. En 1954, des représentants du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de l’Égypte ont élaboré un plan arabe, sous la présidence du délégué égyptien. Le comité technique mis en place par la Ligue arabe a rejeté l’idée d’un transfert de l’eau en dehors du bassin du Jourdain, ainsi que la proposition de faire du lac de Tibériade le seul réservoir d’emmagasinage de l’eau, et a exigé l’exclusion du Litani de tout plan de partage des eaux. Mis à part l’aspect très technique du problème, les Arabes ont refusé de voir ce plan servir de moyen pour la réinstallation des réfugiés palestiniens. La plan arabe a inversé aussi le quota de répartition présenté par l’État hébreu : Israël obtenait ainsi 182 MCM/an, la Jordanie 698, la Syrie 132 et le Liban 35, étant entendu qu’il gardait l’ensemble du Litani. Des résultats tangibles Johnston a œuvré jusqu’à la fin de 1955 pour faire admettre par les différents protagonistes les propositions qu’il considérait comme pouvant répondre aux exigences des uns et des autres. Le plan Johnston a été accompagné d’une offre américaine qui consistait à financer le projet à hauteur des deux tiers. Il a aussi été question, concernant la finalisation de ce projet, de revoir le quota alloué à la Jordanie, soupçonnée d’avoir obtenu une quantité d’eau disproportionnée par rapport à ses besoins futurs. Johnston a retenu les principales objections et est arrivé à dégager un compromis qui, s’il n’a pas été finalisé de façon officielle, a servi, depuis, de ligne de conduite acceptée et suivie par les deux parties. Une seule omission : l’eau souterraine. Cet aspect du problème n’a pas été retenu alors, et cela a été reproché plus tard au plan Johnston. Quoi qu’il en soit, l’émissaire américain a réussi à faire admettre aux deux camps, qui ne se sont d’ailleurs jamais rencontrés, un certain nombre de principes dont notamment «le besoin d’une approche globale du problème de la répartition des eaux du Jourdain». Israël a accepté le principe d’exclure le Litani de tout accord et les Arabes ont, pour leur part, accepté le principe de la possibilité de transférer l’eau en dehors du bassin du Jourdain (On constate ainsi que dans son livre Le temps de la paix – éditions Odile Jacob, novembre 1993 – dans lequel il a consigné sa vision d’un développement global économique et social de la région grâce à la paix, l’ancien Premier ministre israélien Shimon Peres n’a pas, dans son chapitre 9 consacré au problème de l’eau, fait mention du Litani). Pour l’eau supplémentaire, il a été décidé qu’elle sera emmagasinée sur les deux rives du Dan et du lac de Tibériade, aucune des deux parties ne pouvant avoir le moindre contrôle sur les réserves de l’autre. Israël a commencé par refuser le principe d’un contrôle international, mais a fini par l’accepter, ce qui a permis de finaliser cet accord connu depuis sous le nom de Plan Johnston. Ce plan accordait 400 MCM/an à Israël, 720 à la Jordanie, 132 à la Syrie et 35 au Liban. Les comités techniques des deux parties ont accepté le plan unifié et le Cabinet israélien l’a avalisé sans vote en juillet 1955. Bien que l’accord n’ait jamais été officiellement approuvé, les deux parties ont généralement suivi les détails techniques préconisés et respecté les quotes-parts proposées, au moment même où elles procédaient au développement unilatéral de leurs ressources respectives. L’accord a été encouragé par les États-Unis qui avaient promis d’aider à réaliser les différents projets hydrauliques qui devaient être envisagés dans la cadre de ce plan.
Depuis 1948, les États-Unis ont pris de nombreuses initiatives pour régler le conflit israélo-arabe, comme le plan Rogers, avancé au lendemain de la guerre de 1967, celui de Henry Kissinger au lendemain de la guerre de 1973, qui a abouti à un désengagement sur le Golan et dans la péninsule du Sinaï, et plus tard, avec Jimmy Carter, aux accords de Camp David et enfin l’initiative...