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Actualités - INTERVIEWS

Hyperview - Une semaine, un ambassadeur, portrait et mots d'auteur II - Boris Bolotine, la pureté de l'âme slave, la Russie dans la peau (photos)

Charnelle. La relation du nouvel ambassadeur de Russie à Beyrouth, avec son pays, sa terre, les hommes qui l’ont peuplée, qui l’ont faite, est presque charnelle. Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire ont inventé «négritude», avec toute sa noblesse, Boris Bolotine, lui, aurait pu rêver «russitude», atemporelle, apolitique, comme Catherine II, Eisenstein, Sakharov, Dostoïevski ou les autres, dans tous les cas, il l’incarne. Une appartenance, une fierté, aucune ostentation ni militantisme, rien qui puisse ressembler, de près ou de loin, à un quelconque prosélytisme, non, juste des évidences, énoncées, simplement, affirmées, quelque chose qui vient de l’intérieur, des tripes, quelque chose de fondamental, l’amour de la patrie, la xénophilie en prime. Une cinéphilie on ne peut plus éclectique, une définition toute lucide du métier, de la douce amertume, parfois, devant les vicissitudes de l’histoire, c’est, entre autres, tout ça, Boris Bolotine, avec, aussi, surtout, ce mythe, cette légende qu’on aimerait bien qu’il nous fasse toucher du doigt. L’âme slave*. «L’âme slave ? Oh, ce qu’on en imagine, c’est parfois un peu exagéré…» Soit. Mais c’est quoi cette fameuse âme slave, celle qui a, depuis toujours, traversé les siècles, donné des hommes, des femmes, d’exception, humains et monstrueux à la fois, cette âme que l’on rapproche, à tort ou à raison, de la méditerranéenne ? «Une âme slave, ça donne un rêveur, un passionné, un homme souvent porté à des extrémités, un sentimental…» Mais oui… Il suffit juste de relire Les Possédés, Dostoïevski, son Stavroguine, malgré ses débauches, ses tourments, ses rêveries, ce personnage-là aime la Russie, sa Russie. Follement. «C’est vrai que chez nous, les Russes, ce sentiment, ce patriotisme, est beaucoup plus développé, moi je suis moscovite, j’aime la nature à Moscou, ses forêts, ses environs». Rien de surprenant alors, lorsque vous demandez à Boris Bolotine de vous raconter les événements de ce XXe siècle déjà révolu qui l’ont marqué, d’apprendre, après mûre réflexion de sa part, que c’est la Révolution russe, celle de 1917, «et je n’émets là aucune appréciation», la Seconde Guerre mondiale, et puis la disparition de l’URSS. Qu’est-ce que l’homme, il ne s’agit nullement ici de politique, a ressenti, il y a bientôt dix ans ? «Je ne m’attendais pas à un effondrement aussi rapide, je comprenais qu’il fallait créer quelque chose de nouveau, adapter l’URSS à une réalité plus décentralisée, j’espérais que Gorbatchev sauvegarderait l’Union, j’espérais que les efforts aboutissent…» Boris Bolotine allume une nouvelle cigarette, «c’est un de mes vices…», avoue-t-il avec un petit sourire taquin, puis vous répond, ex abrupto, à la prochaine question, «mes modèles ? Des hommes courageux, indépendants, l’académicien Sakharov». Vous connaissez Sakharov, évidemment, vous vous souvenez de ce physicien soviétique mort à Moscou en 1989, de cet homme au regard si bon, qui a joué un rôle prépondérant dans la mise au point de la bombe H pour son pays, ce prix Nobel de la paix qui a été, dans les années 70, un ardent défenseur des droits de l’homme en URSS, et vous souriez, en même temps que l’ambassadeur de Russie à Beyrouth, parce que vous l’aimiez beaucoup Andreï Sakharov, n’est-ce pas ? Et les hommes de l’histoire, l’universelle, celle de l’humanité ? «Alexandre Le Grand me fascine, mais ce que je trouve passionnant dans l’histoire de l’humanité, c’est l’apparition des trois grandes religions, ici dans cette région, en plein Moyen-Orient…» Gabin, Mastroianni, et… Andreï Tarkovski Boris Bolotine, c’est un fait indéniable, aime le cinéma, tous les cinémas, l’européen en tout cas, celui qui a, presque, tout inventé, les classiques français, le cinéma anglais, «quoi qu’ils fassent, les cinéastes anglais ont un style qui leur est propre, définitivement inimitable», le cinéma italien, «Fellini, oui, mais surtout De Sica et Pier Paolo Pasolini». Boris Bolotine aime les acteurs aussi, et de préférence les monstres sacrés, «Marcello Mastroianni, Jean Gabin et puis Jean-Louis Barrault, que j’adore, et puis des acteurs russes, pas vraiment connus, si, il y en a un, en ce moment, il est très bien, Oleg Menchikov…» Voilà encore un autre parfait exemple d’âme slave, sur grand écran du moins, chaque rôle qu’il investit, c’est avec ses tripes, ses artères, qu’il le fait, que ce soit dans les films de son compatriote Mikhalkov, Le Barbier de Sibérie ou Soleil Trompeur, ou dans l’Est-Ouest de Régis Wargnier, actuellement dans les salles beyrouthines, il y est saisissant face à Sandrine Bonnaire, et la Deneuve… Et puis Boris Bolotine aime aussi le cinéma russe, «le sérieux», les films d’Eisenstein, Ivan Le Terrible ou Le Cuirassé Potemkine, Pardjanov, ses Chariots De Feu, Dovjenko, et l’inoubliable La Terre, mais il aime aussi, et surtout, les films de l’un des plus grands maestros du cinéma, Andreï Tarkovski. «Mon film préféré de Tarkovski ? Oh, Andreï Roublev, certainement». Andreï Roublev est sans aucun doute l’un des films-phares du cinéma mondial, et le choix de Boris Bolotine, tout judicieux et indiscutable qu’il soit, n’est pas gratuit, il s’inscrit parfaitement dans l’image que vous vous faites, au fil des minutes, de l’ambassadeur de Russie au Liban. Lyrique, sublime et épique, cette fresque d’une poésie pure, et dont le dernier plan montre des chevaux galopant en liberté sous la pluie, porte en elle une dualité trouble, presque nécessairement russe, elle est laïque, aussi bien que religieuse, laissant la part belle autant au génie créateur de l’homme qu’à l’inspiration divine. En dépeignant plus que brutalement la réalité du XVe siècle, Tarkovski a eu de longs démêlés avec les responsables du cinéma soviétique qui l’ont accusé d’une vision erronée de l’histoire, exigeant la coupure de nombreuses scènes, et le message de Tarkovski peut être considéré comme humaniste, tout autant que mystique : même si l’artiste, a-t-il dit, est doué d’une «étincelle divine», il est «le porte-parole du peuple». Il n’empêche, avis aux cinéphiles, le conseil de l’ambassadeur de Russie au Liban est à saisir au vol, la cassette d’Andreï Roublev à voir d’urgence. Et à revoir. La famille, encore et toujours Lire et relire, «on lit des classiques énormes pour la première fois lorsqu’on est jeune, et on n’y comprend rien, il y a des œuvres qui ont besoin d’être lues et relues, découvrir, à chaque (re)lecture, quelque chose de nouveau», c’est ce que fait aussi Boris Bolotine. Ses lectures de chevet ? «La littérature humoristique, notamment l’anglaise du XIXe siècle, les œuvres des grands auteurs russes, Gogol, Dostoïevski bien sûr, j’adore Les Frères Karamazov, Tolstoï aussi, en ce moment je relis Guerre et Paix, et puis, la littérature universelle, Shakespeare, bien évidemment, ses tragédies historiques». Vous avez fini votre café noir, éteint votre troisième cigarette, et puis elle finit par sortir, cette question qui vous brûle les lèvres depuis un bon nombre de minutes. «Mon soutien ? Ce sur quoi je m’appuie quand tout va mal ? Ma famille, mes fils, ma femme, qui est mon camarade, des amis…» Ah… Parce qu’il est possible de garder des amitiés lorsque l’on est diplomate ? «La diplomatie est un métier extrêmement intéressant mais, effectivement, l’un de ses inconvénients majeurs, c’est qu’une fois qu’on se fait des amis dans un pays donné, on les quitte, muté ailleurs, et ainsi de suite…» Et le bonheur ? Boris Bolotine allume une autre cigarette, «le bonheur ? Ce n’est pas si compliqué que ça, le bonheur… le bonheur, c’est polyvalent, c’est l’harmonie dans la famille, les enfants, et la réussite professionnelle, elle aussi, et pas nécessairement en termes de carrière, doit apporter son lot de satisfaction». Qu’est-ce qu’il aurait fait, Boris Bolotine, s’il n’avait pas été diplomate ? «Moi j’ai grandi à l’époque des Spoutniks, de l’espace, la littérature de science-fiction me plaisait beaucoup, j’aurais voulu travailler dans le domaine du nucléaire, de l’astronomie…» Est-ce que vous pleurez, M. Bolotine ? Qu’est-ce qui vous fait pleurer ? La réponse ne se fait pas attendre, vous la pensiez plutôt consensuelle, normale, elle arrive, calmement, posément, déjouant tous vos pronostics, accompagnée d’un petit sourire en coin, «non, je ne pleure jamais, mais dans la vie de chaque homme, il y a des moments où il n’est pas loin de pleurer». C’est ça aussi, et comment, l’âme slave, celle, en l’occurrence, de Boris Bolotine. * Dans L’Orient-Le Jour du mercredi 3 mai, l’hyperview de l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier.
Charnelle. La relation du nouvel ambassadeur de Russie à Beyrouth, avec son pays, sa terre, les hommes qui l’ont peuplée, qui l’ont faite, est presque charnelle. Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire ont inventé «négritude», avec toute sa noblesse, Boris Bolotine, lui, aurait pu rêver «russitude», atemporelle, apolitique, comme Catherine II, Eisenstein, Sakharov, Dostoïevski ou les...