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Actualités - INTERVIEWS

Questions et réponses Bolotine : non aux monopoles, oui aux diversités culturelles (photo)

À l’instar de l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier, son prédécesseur dans cette même page, et de tous ses collègues qui suivront, l’ambassadeur de Russie a bien voulu se prêter à notre (gentil, très gentil) interrogatoire, répondant longuement à des questions, «elles sont assez difficiles, vos questions, et compliquées, sourit-il, mais allons-y», allant du concept de l’État-nation, à la globalisation économique, aux rapports Nord-Sud, jusqu’à, entre autres, les possibilités de l’édification d’un Moyen-Orient pacifié, basé sur l’acceptation de l’autre ou le droit à la différence. Mots d’auteur en perspective... Dans quelle mesure peut-on concilier les différents retours aux spécificités nationales, culturelles, religieuses, etc., avec la tendance actuelle aux grands rassemblements? Permettez-moi juste une petite «préface», un préambule à mes réponses. Nous sommes à la veille du troisième millénaire, beaucoup de nouveaux défis se posent à l’humanité, il n’y a plus de guerre froide, de menaces directes, de conflit nucléaire. Aujourd’hui, nous sommes face à la menace de la prolifération des armes de destruction massive, le décalage entre les pays riches et les pays pauvres est de plus en plus grand, nous en parlerons tout à l’heure, il y a les séparatismes agressifs également, les crimes organisés, le problème de l’écologie. Et pour être au niveau de ces défis, c’est de concert que la communauté internationale doit chercher les réponses pour régler des problèmes aigus et qui vont se poser avec de plus en plus d’acuité. Pour éviter le chaos, la monopolisation des décisions, il faut une démocratisation et une humanisation des relations internationales. Par quoi passe cette démocratisation, à votre avis ? Il faut tenir compte des intérêts de tous les membres de la communauté internationale dans la recherche de ces réponses, des petits comme des grands, et le cadre idéal pour cette recherche, ce sont les Nations unies, même si elles ont leurs défauts : il faut qu’elles s’adaptent aux nouvelles réalités, que tout soit concerté, dans le but de réunir les intérêts, parfois divergents, au sein de l’Onu. Le sommet du millénium, cette année, à l’Onu, nous paraît primordial. Abordons maintenant, si vous le voulez bien, notre première question... Deux tendances dans la communauté internationale prévalent actuellement. La tendance à l’intégration, à la création de grands ensembles, politiques, économiques, et avec la mondialisation, cette tendance va aller en se renforçant. D’autre part, il y a la recherche de l’identité nationale, le retour aux valeurs culturelles ou religieuses, cette orientation est aussi très forte. Il vaut mieux, pour la communauté internationale, s’attendre à une sorte d’harmonie entre ces deux tendances : la création des grands ensembles doit sauvegarder la diversité. Il y a des exemples classiques d’union dialectique de valeurs universelles et nationales, le Japon notamment est un cas frappant. Tout cela à une condition : que ce «retour aux sources» ne tombe pas dans les extrêmes, il faut éviter les pièges de l’intolérance, de la haine de l’autre. Et le concept d’État-nation dans tout ça ? Ce concept, dans son sens classique, devient un peu périmé, avec la mondialisation, l’interdépendance, mais je ne pense pas qu’il disparaîtra, les États perdureront, mais ça dépend bien sûr des régions du monde, même si le concept de la souveraineté nationale sera encore en vigueur pendant longtemps. Quid des rapports Nord-Sud ? Comment continuer à gérer le décalage énorme entre une explosion démographique, le plus souvent liée au sous-développement, et un boom économique et technologique ? C’est un des défis majeurs qu’affrontera l’humanité pendant ce nouveau siècle, cette explosion démographique pourrait créer une menace globale. Personne n’a de recettes, mais je reviens à mon leitmotiv de départ : la communauté internationale doit chercher des réponses concertées à ce problème. Et pour trouver des réponses démocratiques et concertées à ce défi, il est nécessaire qu’il y ait une coordination plus grande entre l’Onu, le FMI, l’OMC, il faut libéraliser les échanges commerciaux, technologiques et scientifiques. Le processus de mondialisation apparaît là très contradictoire, porte beaucoup de promesses de développement, mais il ne concerne pas tous les pays. Il faut associer le maximum de pays du tiers-monde à ce processus. Que pensez-vous de l’émergence, à l’aube du troisième millénaire, de ces nouveaux pôles démographiques, politiques ou économiques ? Après la Guerre froide, ce qu’il faut c’est un monde multipolaire, afin d’éviter la monopolisation par un seul centre de l’ensemble des décisions. Il y a des pôles traditionnels, les États-Unis, l’Europe, la Chine, la Russie, et des pôles émergents. Ce monopole était flagrant pendant la guerre du Kosovo, non ? C’est un problème majeur en ce qui concerne le nouvel ordre international et nous étions très préoccupés par cette tendance à s’arroger le droit d’utiliser la force d’une façon unilatérale. On est souvent confronté à la question de la souveraineté des États, on parle beaucoup d’ingérence humanitaire, de réactions indispensables de la part de la communauté internationale, mais il faut trouver les réponses adéquates à ce genre de situations pour sauvegarder les principes de base des statuts de l’Onu, sinon c’est l’anarchie totale. Quid de l’hégémonie culturelle des pays occidentaux ? Avec la mondialisation, personne n’a intérêt à s’isoler de la culture occidentale, universelle, mais il ne faut pas qu’une seule culture, qu’une seule source d’information soit dominante. Il faut sauvegarder le patrimoine culturel de chaque civilisation, l’Unesco doit jouer un rôle de plus en plus actif. D’autre part, le quatrième pouvoir, les mass-media, l’information, est de plus en plus prégnant, avec tous les nouveaux modes de communication, mais cela deviendrait dangereux si l’information était monopolisée par seulement quelques centres. On pourrait ainsi manipuler l’opinion publique mondiale, et la Russie a beaucoup souffert de cela récemment, à cause de l’information unilatérale, défigurée et partielle répandue sur le conflit tchétchène par de grands centres d’information. Quelques mots sur le conflit en Tchétchénie ? La Russie ne combat pas le peuple tchétchène qui a beaucoup souffert du chaos de ces dernières années, la Russie combat les mercenaires, trafiquants de drogue, faux-monnayeurs et kidnappeurs, plus de 50 % des Tchétchènes ont quitté la Tchétchénie avant le début des opérations militaires. Pensez-vous que l’on puisse bâtir un Proche-Orient pacifié grâce à l’acceptation de l’autre et le droit à la différence ? Je voudrais parler de l’avenir, même si je vais commencer par quelque chose de banal. Pour en finir avec 50 ans de crise dans la région, il faut que le processus de paix, qui a commencé à Madrid, aboutisse sur la base des principes qui y ont été convenus, ainsi que sur les résolutions du Conseil de sécurité, la paix contre la terre, et sans l’instauration d’une paix juste et globale, il n’y a pas de solution. Si jamais on y arrive, ce sera un événement majeur de l’histoire moderne. Mais je comprends qu’il y ait des obstacles psychologiques, il faut du temps pour se débarrasser de la méfiance mutuelle. Et cette acceptation de l’autre ? Accepter l’autre ? C’est difficile d’oublier, mais d’autre part, si l’on se rappelle l’histoire, même à l’époque médiévale, des communautés différentes, notamment juives, dans le monde arabe, coexistaient d’une façon toute positive. Et même pendant l’Inquisition, les juifs d’Espagne ont trouvé refuge au Maroc, et les communautés ont coexisté très harmonieusement. La condition sine qua non reste l’instauration d’une paix juste et globale, mais pour les formes concrètes de cette paix, on verra après, ça demandera du temps, c’est une étape secondaire, il y a beaucoup de barrières psychologiques... Comment s’en débarrasser ? Est-ce uniquement une question de temps ? Pas seulement le temps, mais il y a les circonstances, et la communauté internationale est appelée à soutenir les efforts visant à instaurer cette paix juste et globale au P-O, et si ce processus réussissait, elle serait amenée à aider les peuples de la région à surmonter les séquelles du passé, elle ne leur apprendra pas seulement à vivre ensemble, mais elle fera en sorte d’assurer le développement économique de cette région qui a tellement souffert de toutes les guerres. Et la place du Liban dans un P-O en paix ? Le Liban a souvent été au centre, nous espérons qu’avec la paix il puisse redevenir cette Suisse du P-O et qu’il continue à être cette place où coexistent en paix les différentes communautés.
À l’instar de l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier, son prédécesseur dans cette même page, et de tous ses collègues qui suivront, l’ambassadeur de Russie a bien voulu se prêter à notre (gentil, très gentil) interrogatoire, répondant longuement à des questions, «elles sont assez difficiles, vos questions, et compliquées, sourit-il, mais allons-y», allant du concept de...