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Actualités - REPORTAGES

Francophonie - Encourager la création d'un espace sans visa Pour Boutros-Ghali, Beyrouth représente, sur le plan symbolique, son espoir le plus grand (photo)

Christian Poncelet, président du Sénat, y a insisté : c’est de façon tout à fait exceptionnelle que des personnalités étrangères sont solennellement accueillies par la Haute Assemblée. Après Vaclav Havel, président de la République tchèque, et Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix, ce fut, ces jours-ci, au tour de Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, d’avoir les honneurs de pareille réception dans l’hémicycle. Cela en présence de représentants personnels de chefs d’État de pays francophones, d’ambassadeurs, mais aussi d’écrivains et de chanteurs – tunisiens, algériens, grecs, kurdes et chinois – qui ont choisi de s’exprimer en français. Il s’agissait pour Christian Poncelet de rappeler que si l’Europe semble être la grande affaire du moment, la France garde à l’esprit les liens historiques et affectifs tissés avec plus de 50 pays auxquels l’unit, par-delà l’usage d’une même langue, un projet commun, géopolitique autant que culturel. Il s’agissait également de marteler que «la France ne se dérobe pas aux devoirs que lui crée l’attachement des francophones de partout» et d’assurer Boutros-Ghali qu’il peut trouver au Sénat un soutien de tous les instants. La Haute Assemblée se veut en effet un bastion de la francophonie, cause défendue avec ardeur par plus d’un de ses élus, naguère encore par un Maurice Schumann qui, parfois, cachait mal son amertume de ne pas voir tous ses vœux exaucés. C’est aujourd’hui grâce à Jacques Legendre, secrétaire international de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, qui le Conseil de l’Europe va se pencher sur une résolution visant à diversifier l’apprentissage des langues dans tous les pays de la Communauté, cela afin de contrer un anglais en position dominante. Non-alignement Boutros Boutros-Ghali a-t-il vraiment servi de modèle pour le prince Nessim; l’un des personnages de Durrell dans la trilogie d’Alexandrie ? Christian Poncelet ne put s’empêcher d’évoquer cette hypothèse tandis qu’il égrenait les principaux repères biographiques de cet Égyptien issu d’une grande famille copte, et riche du triple héritage de la civilisation pharaonique, du monde arabo-musulman et d’une Alexandrie cosmopolite qui, plusieurs décennies durant, passa pour le parangon d’un art de vivre suprêmement raffiné. Furent ensuite énumérés les points forts de la carrière de ce juriste de renom, éditorialiste et patron de presse, son rôle central dans les négociations de Camp David et l’impulsion qu’il donna au multilatéralisme tout le temps qu’il occupa le poste de secrétaire général des Nations unies, avant de prendre les commandes du mouvement francophone. Lui assignant pour objectif de parachever l’œuvre des «pères fondateurs», Léopold Sédar Senghor, Norodom Sihanouk et Habib Bourguiba, Christian Poncelet se plaît à le voir en orchestrateur d’«une grande aventure géopolitique qui peut amener une cinquantaine de pays à faire bloc pour défendre une certaine idée de la diversité» et construire un monde multipolaire reposant sur des entités politiques suffisamment déterminées pour faire pièce à la volonté de domination des plus puissants. Et il cita, à ce propos, la réflexion dont Boutros-Ghali a fait son credo : «La francophonie est la forme moderne du non-alignement». Avant de paraphraser Du Bellay en formulant le souhait qu’une France généreuse, «Mère des arts, des lettres et des lois», se montre innovante dans le domaine des industries culturelles et, surtout, qu’elle sache faire preuve d’audace en instituant la libre circulation de tous les créateurs de l’aire francophone. Une langue universelle Des propos aussi louangeurs eurent pour effet d’encourager Boutros-Ghali à se faire exigeant. Christian Poncelet avait signalé la présence au Sénat des couleurs de la francophonie aux côtés de celles de l’Union européenne et du drapeau national. «Le jour où nous verrons flotter ces couleurs au fronton de toutes les mairies de France, ce jour-là, dit-il, nous saurons que la bataille de la francophonie est gagnée». Pour lui, celle-ci reste en fait aujourd’hui une notion mal perçue, une idée qui ne va pas de soi, et cela en France plus qu’ailleurs sans doute, alors que, forte de 55 États et gouvernements et présente sur les 5 continents, la communauté francophone constitue aujourd’hui «un immense champ de possibilités» avec 11 % de la population de la planète, mais aussi 10,7 % du PNB et 15,8 % du commerce mondial. Se désolant que les Français ne mesurent pas leur chance de «posséder comme langue maternelle une langue universelle qui porte en elle des valeurs dans lesquelles peuvent se reconnaître tous les peuples du monde», il a également déploré cette sorte de pessimisme de bon ton qu’ils pratiquent si volontiers en parlant avec ce qui ressemble presque à un dolorisme complaisant du recul du français dans le monde alors qu’entre 1990 et 1998, le nombre des francophones réels a augmenté de 7,7 % et celui des francophones occasionnels de 11,8 %. Après avoir fustigé cette solution de facilité consistant à privilégier le tout-anglais, il a réclamé un projet politique fort, qui s’inscrive dans la durée. «Incantations et déclarations d’intention» ne sont en effet plus de mise ! Un conseil exécutif Certes, Boutros-Ghali n’en est pas encore à dresser un bilan de son action mais, depuis le mandat reçu à Hanoi en 1997, il a pris quelques initiatives majeures qu’il a jugé utile de rappeler. À commencer par la création de l’Organisation internationale de la francophonie, consacrée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies, le 18 décembre 1998, et regroupant l’Agence intergouvernementale de la francophonie, l’Agence universitaire de la francophonie ainsi que l’Université Senghor d’Alexandrie, l’Association internationale des maires francophones, TV5 et l’Assemblée parlementaire de la francophonie. C’est un véritable conseil exécutif réunissant ces différents acteurs qu’il préside donc tous les mois. Dans ce contexte nouveau et en tant que garant du fonds multilatéral unique, il lui a fallu faire une «chasse impitoyable» à la dispersion des crédits, au saupoudrage des subventions et à leur corollaire, le chevauchement des projets. Car il va de soi que l’argent de la francophonie doit servir à financer les programmes de coopération et non pas le seul fonctionnement de l’institution. Mais il est pour lui un autre impératif, qu’il situe un cran au-dessus de ces questions d’ordre matériel : instaurer une francophonie véritablement moderne en tenant un langage de vérité. Pour lui, «l’opinion en a assez de la langue de bois, assez des conférences lénifiantes !». Il s’agit de prendre à bras-le-corps le problème de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés. Et il existe aujourd’hui une diplomatie de la francophonie, reconnue et respectée par la communauté internationale, à en juger par les demandes de médiation et de conciliation qui se font sans cesse plus nombreuses et plus pressantes. Le sommet de Moncton a d’ailleurs décrété que l’an 2000 serait une année de mobilisation générale pour la démocratie et, à l’automne prochain, Bamako accueillera une conférence sur ce thème. Beyrouth comme symbole Mais on le vit tout d’un coup se poser en censeur sans aménité : «Il ne suffit pas d’avoir à tout instant le mot démocratie à la bouche. Il faut aussi donner l’exemple !». Et cela en faisant de l’espace francophone un espace de libre circulation pour les créateurs, les scientifiques, les universitaires, les chercheurs. «Oui, insista-t-il. Nous devons militer pour une francophonie sans visa !». Évoquant la mobilité des jeunes du Sud, il affirma qu’un bon calcul stratégique consisterait à les gagner par tout un arsenal de bourses et de stages pour soutenir la concurrence des universités américaines qui, elles, se donnent les moyens de les attirer, les contraignant insidieusement à l’expatriation linguistique et culturelle. La diffusion et la promotion du français restant sa mission première, Boutros-Ghali se devait d’évoquer le plan d’urgence qu’il a mis en place pour la relance de cette langue dans les organisations internationales et d’égratigner au passage les diplomates francophones, parfois même français, qui se croient tenus de s’exprimer en anglais quand rien ni personne ne les y oblige. «Voilà, dit-il, provoquant un tonnerre d’applaudissements, un problème qui requiert de la part des élites une nouvelle forme de civisme : le civisme francophone». Au terme de ce discours vibrant et pugnace, entre plaidoyer et profession de foi, Boutros Boutros-Ghali s’est dit, malgré tout, rempli d’optimisme et d’espoir : la Lituanie, la Pologne, la Slovénie et la République tchèque ne viennent-elles pas de rejoindre le mouvement francophone, parce qu’elles y voyaient sans doute un réseau de solidarités, synonyme pour elles d’ouverture sur le monde ? Mais son espoir le plus grand, sur le plan symbolique, il avoua le mettre dans la décision prise par les chefs d’État et de gouvernement de tenir leur prochain sommet à Beyrouth, au cœur du monde arabe. «C’est pour moi, précisa-t-il, le résumé de tout ce que la francophonie incarne : la réconciliation, la paix, la dignité, la diversité culturelle et la tolérance».
Christian Poncelet, président du Sénat, y a insisté : c’est de façon tout à fait exceptionnelle que des personnalités étrangères sont solennellement accueillies par la Haute Assemblée. Après Vaclav Havel, président de la République tchèque, et Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix, ce fut, ces jours-ci, au tour de Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’Organisation...