Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Commémoration - Pour que la guerre de 1975-1990 soit bien la dernière Le 13 avril, ou la contrition nationale (photos)

Il y a 25 ans, le 13 avril 1975, éclatait la guerre libanaise dévastatrice, guerre qui n’a pris fin qu’en 1990, laissant derrière elle destructions et traumatismes. Professeur à l’UL, coordinateur des recherches de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, Antoine Messarra, dans l’article qui suit, pose une question fondamentale : «Qu’avons-nous fait depuis 1990 pour notre psychologie historique et pour passer de la mémoire de guerre à une culture de paix civile permanente ?». Comment protéger et prémunir nos enfants, petits-enfants et toutes les générations futures de Libanais contre la reproduction d’une guerre civile ou interne, ou exploitée et manipulée en tant que civile dans des enjeux régionaux et internationaux ? Il n’y a pas de problème plus important pour les Libanais que celui-là pour les années 2000-2020. Problème fondamental en effet pour les jeunes nés vers la fin de la guerre (ou des guerres) 1975-1990 ou après la pacification et les enfants qui viennent à la vie au Liban, donc toute cette population d’enfants et de jeunes qui n’ont pas connu les atrocités de la guerre civile et qui risquent de la connaître à travers une histoire qui se concentre sur les données, causes et acteurs en oubliant les gens et toute la souffrance humaine. Allons-nous continuer à apprendre «dans» l’histoire, c’est-à-dire en reproduisant des idéologies, des comportements et des politiques conflictuelles ou allons-nous, enfin, après plus de cinq siècles de conflit et de consensus, apprendre «de» l’histoire, c’est-à-dire profiter des leçons du passé, développer une mémoire de contribution nationale et propager une sagesse politique renouvelée, une culture de pacte national et de prudence ? Depuis des siècles, les guerres au Liban commencent fratricides. Qu’elles aient ou non leur causalité interne ou régionale, qu’elles se justifient ou non par des considérations de patriotisme ou d’autodéfense, là n’est pas le problème. Des historiens vont continuer à s’empêtrer, se noyer et nous noyer dans ces considérations. Nos guerres «commencent» fratricides et échappent ensuite aux protagonistes internes, c’est-à-dire même aux personnes qui jouent le rôle principal ou l’un des rôles principaux. Les politiciens qui mènent la guerre idéologique ou celle des armes, et ceux qui s’y engouffrent ou s’y impliquent, sont pour la plupart enlevés, assassinés ou victimes d’attentats dont on ignore l’origine interne ou externe. Tout le Liban, même pour les nationalistes les plus radicaux, n’est plus alors une patrie dans une guerre civile, mais «al-saha al-lubnâniyya», la scène libanaise, terrain vague, et même «trottoir», au sens français du terme. Sortir amnésique ? On ne peut sortir de la guerre de 1975-1990 amnésique, sans contribution nationale à transmettre à toutes les générations futures afin que la guerre de 1975-1990 soit la dernière dans l’histoire passée et à venir du Liban. Sinon, cela signifie que nous sommes un peuple inapte à fonder une patrie. L’histoire en effet ne se répète que chez les peuples sous-développés, ceux-là qui n’apprennent que «dans» l’histoire et non «de» l’histoire. Malheureusement, la guerre civile ou interne a duré plus de quinze ans. Mais «heureusement» aussi, car au cours d’une guerre aussi longue les idéologues et tous les protagonistes ont tout essayé, pratiquant un jeu solde, comme dans un poker, pour réaliser leur «tatallu’ât» (visées). Qu’est-ce qui n’a pas encore été essayé dans l’histoire du Liban ? En cinq cent ans, aucune histoire n’est plus riche en conflit et consensus, avec une inflation d’essais et de rêves fracassés d’homogénéité, de supériorité, ou de victoire impossible ou piégée. Force donc, après une si douloureuse et riche expérience, d’acquérir la sagesse fondatrice de la cité (“Sapientia constituendae civitas”), avec une perception plus clairvoyante et moins conflictuelle, des «limites» du changement au Liban et, aussi, de l’«éventail» du changement. Ceux qui contestent l’Accord sur l’entente nationale dit de Taëf du 22 octobre 1989 savent-ils qu’ils ouvrent un problème qui les dépasse ? Tous les pactes au Liban commencent par une revendication interne et finissent par justifier l’ingérence des ennemis, des frères, voisins, cousins et autre parenté réelle ou équivoque. En pleine tourmente en 1976, le président Rachid Karamé formule cette sagesse qui n’a pas été suivie, mais qui finit par s’imposer dans la réalité constitutionnelle : «Œuvrons à enrichir le Pacte et non à l’annuler (“na’mal limâ yughnîhî wala yulghîhî”)». Edmond Rabbath appelle les pactes «engagements nationaux» (“ta’ahudât wataniyya”) et considère, suivant des informations fournies par le président Hussein Husseini et portant sur la période d’élaboration du Document de Taef, que «l’essentiel est de parvenir à un consensus, la codification constitutionnelle (“dastara”) intervenant ultérieurement en tant que procédure formelle». Le contexte international aujourd’hui doit inciter un petit pays multicommunautaire, dans une géopolitique des plus défavorables dans le monde, à renforcer son immunité contre le «virus de la violence» d’une guerre fratricide ou interne. En effet, les guerres conventionnelles entre États sont révolues, pour de multiples raisons, laissant place à un nouveau type de guerres, civiles ou internes, où les civils, et non plus les militaires, représentent la masse des victimes. Qu’avons-nous fait depuis 1990 ? Qu’avons-nous fait au Liban depuis 1990 pour notre psychologie historique et pour passer de la mémoire de guerre à une culture de paix civile permanente ? Le premier devoir des survivants est de témoigner, car ce sont eux les vrais historiens de la souffrance humaine. Au niveau du «pouvoir», tout semble se faire pour favoriser l’amnésie nationale, afin de ne pas «remuer les cicatrices de la guerre». Au niveau des «partis» et du débat public, aucune autocritique ou remise en question. Au niveau de «l’urbanisme», on efface tout pour la reconstruction des bâtiments et non des esprits. Au niveau de la «politique régionale», des contraintes et pressions subsistent faisant obstacle au plein épanouissement des acquis positifs de la guerre : soif de souveraineté, d’indépendance, d’État de droit, de rencontre et de convivialité, surtout que la population est déjà fatiguée et que les espoirs éveillés par les nouveaux régimes sont déçus. Les commémorations annuelles par des forces politiques de leurs martyrs montrent que le germe fratricide est toujours là, avec la reproduction du discours accusateur de l’autre, fier et triomphaliste. Or ces commémorations devraient être des moments privilégiés de contrition et de mémoire solidaire, surtout que presque tous ces leaders politiques martyrs ont été victimes d’attentats. Ils sont des symboles pour la défense des droits de l’homme. Commémorer Kamal Joumblat, Béchir Gemayel, Rachid Karamé…, c’est d’abord récuser l’attentat pour l’élimination d’un adversaire. Défendre la liberté d’expression et d’action même pour l’adversaire, c’est défendre en somme les droits fondamentaux de l’homme. Pour la promotion d’une culture de paix civile parmi la nouvelle génération, le chantier le plus efficace a été mené entre 1996-1998 au Centre de recherche et de développement pédagogique pour la conception et la mise en application des programmes d’éducation civique et d’histoire. Il s’agit de la plus importante révolution culturelle et éducative au Liban depuis les années vingt, révolution qui a besoin de leadership et de continuité, et non de sabotage et rupture dans son esprit, son élan et sa trajectoire. Mémoire de contrition nationale N’y a-t-il pas une éthique historique qui dépasse la scientificité réductrice de l’histoire ? Pour passer de la mémoire de guerre à une culture de paix, il faut une contrition nationale, grâce à des «historiens comptables» qui fouillent et lisent l’histoire en termes de «coût et profit», sous l’angle du peuple qui subit, souffre, réagit et lutte. L’histoire est-elle une science «humaine» en tant que catégorie scientifique, ou est-elle humaine par l’éthique scientifique de l’historien et de l’éducateur, soucieux de ne rien occulter, mais soucieux aussi de ne pas continuer les guerres après l’arrêt des guerres et de ne pas être un semeur de rancune, de haine, d’autojustification et de diabolisation fataliste de l’autre ? Le Liban a besoin «d’historiens comptables» qui rapportent les faits, non seulement dans leur causalité et leur contexte, mais aussi en terme de «coût et profit», comme dans un bilan comptable. Oublier, pardonner, se réconcilier constituent des exigences spirituelles, morales et culturelles, avec nécessairement un impact dans la vie publique, mais ces exigences ne peuvent, «politiquement», garantir la stabilité interne, la politique étant conflit, compétition et mobilisation souvent conflictuelle. Pour répondre à la douleur et au ressentiment humains, qu’ils proviennent d’un passé lointain ou d’une expérience récente, il s’agit de «se souvenir», «se repentir» et «changer». Il n’y a pas de solution aux guerres civiles dans une société multicommunautaire que grâce à une solide culture consensuelle. Mais pour passer de l’intellect au comportement, il faut surtout un «traumatisme», au sens freudien, un traumatisme cette fois salutaire. C’est le choc, au plus profond du conscient et de l’inconscient, des guerres de 1975-1990 qui sont loin d’être «les événements». Je me rappelle cette phrase que m’a dite Khatchig Babikian, ce grand sage, pour répondre à des détracteurs de la communauté arménienne qui ne s’engagent pas, d’après eux, dans la lutte milicienne pour le Liban : «Nous ne voulons pas un nouvel exode». Outre l’écriture et l’enseignement d’une histoire «humaine» du Liban et la production littéraire et artistique sur les dimensions «humaines» de la guerre, les Libanais ont besoin de nouveaux lieux de mémoire. Il faudra des monuments pour les personnes disparues, pour ce père de famille atteint par la balle d’un franc-tireur alors qu’il portait un paquet de pain pour sa famille ; pour les élèves traversant la démarcation du musée en autocar qui a été atteint par un obus, pour les deux petites Maya et Rouba noyées à Jounieh alors qu’elles tentaient avec leurs parents de contourner le blocus… L’Observatoire de la paix civile permanente, créé par la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, se propose, chaque année, l’organisation d’une conférence sur l’état de la paix civile à la lumière de plus de cent indicateurs, la publication d’un rapport et l’octroi d’un prix à la recherche appliquée ou l’action qui consolide la paix civile.
Il y a 25 ans, le 13 avril 1975, éclatait la guerre libanaise dévastatrice, guerre qui n’a pris fin qu’en 1990, laissant derrière elle destructions et traumatismes. Professeur à l’UL, coordinateur des recherches de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, Antoine Messarra, dans l’article qui suit, pose une question fondamentale : «Qu’avons-nous fait depuis 1990 pour...