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Actualités - REPORTAGES

Enquête - Instabilité politique, cherté de vie, environnement saccagé… Le tourisme libanais toujours en crise

L’été est terminé et le temps de dresser un bilan de la saison touristique au Liban est venu. Politiquement, les derniers mois ont été marqués par le retrait israélien, les incidents dans les territoires palestiniens et les élections législatives. Mais le climat qui a prévalu à l’occasion de ces événements et les suites qu’ils ont eues ne semblent pas avoir amélioré l’image du pays à l’étranger au niveau touristique. Il y a quelques semaines, le Département d’État américain mettait en garde ses ressortissants contre les risques que pourraient encourir les touristes américains souhaitant se rendre au Liban. Mauvaise publicité pour un pays qui cherche à redorer son image. Alors même qu’il est bien connu que le tourisme devrait être l’une de nos principales ressources, l’amélioration dans ce domaine n’est pas encore au rendez-vous. Mais le climat politique en est-il l’unique responsable ? Qu’en est-il des prix pratiqués chez nous ? De la gestion ? De la promotion touristique à l’étranger ? Des réponses apportées à ces questions par des professionnels du tourisme et des responsables du ministère, il ressort que l’instabilité politique, la cherté de vie et le désastre écologique sont les principaux facteurs empêchant le décollage de ce secteur au Liban. Lorsqu’on parle du Liban à des Occidentaux, c’est celui de la guerre qu’ils se remémorent. Dix ans après la fin des combats, le pays a gardé cette image néfaste puisque, depuis, il ne fait la une de la presse internationale que lorsqu’il est question de bombardements israéliens, de terrorisme, d’élections contestées et autres manipulations. Pour l’été qui vient de s’achever, le bilan semble médiocre. Les chiffres ne sont pas encore disponibles, mais on ne s’attend pas à une hausse par rapport au résultat de l’année dernière. Les bombardements de la station électrique de Bsalim au printemps et les commentaires négatifs des médias occidentaux à la suite du décès du président syrien Hafez el-Assad n’ont pas contribué à améliorer la situation. Heureusement, certains touristes ont tenté leur chance et rencontré un Liban quelque peu différent de son image noircie à l’étranger. Les chiffres de 1999 et début 2000 ne sont pas catastrophiques : 673 261 entrées, dont 100 823 pour le mois de juillet 1999. Mais ces entrées, qui prennent en compte les nationalités, englobent les Libanais à double nationalité. Or, beaucoup de Libanais voyagent avec leur second passeport et certains d’entre eux, qui ont émigré il y a une cinquantaine d’années, ne sont libanais que d’origine. Vie nocturne, sites historiques, festivals, mode, les activités ne manquent pas, et de nombreux articles et reportages éloquents ont été consacrés au Liban de l’après-guerre. Mais il reste encore un tas de problèmes difficiles à résoudre dans un pays qui n’a pas encore cherché sérieusement à gérer cette ressource essentielle qu’est le tourisme. Qui ne se souvient du Liban d’avant-guerre ? De ces clichés aujourd’hui surréalistes de «Suisse du Moyen-Orient», ou même de «Petit Paris» pour ce qui est de Beyrouth. Des qualificatifs certes pompeux et exagérés, mais pas totalement injustifiés pour un petit pays ouvert sur l’Occident, incontournable escale des tournées de stars, accueillant entre autres Herbert Von Karajan, Ella Fitzgerald et Louis Aragon, ou encore Brigitte Bardot, Josephine Baker’Dalida et autres. Qui a oublié sa Miss Univers, Georgina Rizk, son casino aux soirées fastueuses, sa Dolce Vita qui attirait la jet-set européenne? 1974 fut l’année touristique la plus prospère avec 1 423 950 visiteurs (ministère du Tourisme) étrangers mais aussi libanais vivant à l’extérieur. On venait voir les plus grands au Festival de Baalbeck, on se promenait à Raouché et on se trémoussait sur les tables des Caves du Roy. La vie nocturne est revenue, le Festival de Baalbeck aussi, le casino est sorti de sa torpeur, mais la jet-set a abandonné Beyrouth au profit d’une Ibiza déjantée, d’une Saint-Tropez incandescente et autres îles tendances comme la Corse ou la Sardaigne. On a pourtant eu l’occasion de redorer l’image du Liban. En France, grâce à l’implantation d’une myriade de restaurants libanais, les Français ont pu découvrir nos mezzés et notre arak, témoins d’un bien-être et d’un certain raffinement. Les Libanais qui avaient fui le pays pendant les années de guerre avaient contribué à laisser dans la mémoire de ceux qui les avaient accueillis une image de joie de vivre, en contradiction avec celle d’un Liban détruit diffusée par les télévisions. Cet été, après le départ des troupes israéliennes, on a pu un moment penser à une reprise. Mais cela n’a pas été le cas. Selon des voyagistes, aucun changement n’a été perçu durant les derniers mois par rapport aux années précédentes. C’est tellement cher ! Beaucoup trop cher! La réaction est unanime. Qu’elle provienne des étrangers ou des Libanais eux-mêmes, mais aussi des agents de voyage. «Le Liban est très cher», se plaint une touriste française venue passer deux semaines au Liban. «Le prix du billet d’avion n’est pas normal, et en plus, j’ai eu cinq heures d’attente à Roissy à cause d’un “surbooking”. Les restaurants sont beaucoup trop chers pour ce qu’on nous offre et les plages ne sont même pas des plages, ce sont des “piscines Beach”. Je ne serais jamais venue si je ne logeais pas chez une amie, les hôtels sont à des prix exorbitants !». Cette touriste a malheureusement raison. Beaucoup de Français, d’Européens ou d’Américains ne viennent au Liban que parce qu’ils ont des amis ici et qu’ils ont été invités à passer quelque temps chez eux. La cherté de vie est un grand handicap que ne pourra jamais vaincre le côté attachant du pays. Le Liban est surtout trop cher pour ce qu’il offre. Lorsque les offres touristiques sont exceptionnelles dans la région, il est normal que les touristes n’optent plus pour le Liban . Ce dernier est alors une étape secondaire dans un grand nombre de tours organisés en Syrie ou en Jordanie. À cause d’un environnement saccagé, il ne reste plus pour le Liban que le tourisme historique et culturel. Baalbeck, Tyr, Byblos, Anjar, Saïda, Faqra, Beiteddine, une série de sites qui recèlent un patrimoine magnifique, une histoire plusieurs fois millénaire. Rénovations et travaux d’entretien ont été entrepris, mais les incessants pillages ont diminué de beaucoup la richesse de notre héritage. Ce n’est, par exemple, que très récemment que Baalbeck, qui contient les vestiges romains les plus importants hors de Rome, a été classé patrimoine mondial par l’Unesco. Pour ce qui est des catégories de visiteurs, viennent en tête les touristes internes. Ce sont les Libanais vivant au Liban qui partent à la découverte de leur pays. Ensuite, ce sont les touristes arabes, qui connaissent le Liban depuis longtemps. Ces touristes-là qu’on appelle «de luxe» se font moins fréquents qu’auparavant et sont de plus en plus nombreux à trouver le pays trop cher. Dubaï a pris le relais. Ils restent cependant la catégorie la plus importante des visiteurs étrangers (265 581 en 1999) devant les Européens (228 853). «Le Liban est un pays incroyable», raconte un couple d’Allemands venus passer un mois durant l’été. «À part quelques décombres, on ne réalise pas qu’il y a eu vingt ans de guerre. En plus, le peuple est adorable et tellement chaleureux. Quelle joie de vivre malgré la crise que connaît le pays. C’est la rencontre de l’Orient et de l’Occident, c’est un mélange si beau. La culture, le patrimoine, les monuments, le peuple, la façon de vivre...». C’est ce type de commentaire, alors que le Liban est encore à la traîne au plan touristique, qui fait que le constat est d’autant plus amer. Qu’en est-il du ministère du Tourisme ? Pourquoi ne fait-il rien ? La réponse est toujours la même : manque de fonds. Le tourisme n’a en effet représenté que 0,37 % du budget 2000. «Notre présence dans certaines foires est sponsorisée par le ministère du Tourisme», explique Nadine Boutros, directrice de Kurban Tours. «Malheureusement, il n’existe pas de budget pour les grandes campagnes publicitaires à l’étranger, comme celles de certains pays», déplore-t-elle. Pour ce qui est du bilan de l’été 2000, elle indique ne pas avoir constaté de grands changements. «Il n’y a pas eu plus de touristes que d’habitude. La plupart des réservations ont été faites par la diaspora libanaise, de France, du Canada et des États-Unis. On a constaté une sensible augmentation de visiteurs prévus pour les mois de septembre, d’octobre et de novembre. Il y a une légère recrudescence due aux tours organisés. Mais rien de vraiment immense», explique-t-elle. «Nous avons beaucoup d’espoirs que les effets des changements intervenus, notamment le retrait israélien, se feront sentir à partir de 2001. Il faut tout de même restructurer l’image de marque du pays», ajoute-t-elle. C’est également l’avis de Charbel Ghosn, directeur de Liban Loisirs. «La situation politique générale du pays ne permet pas encore une vision lointaine d’un point de vue touristique. Les gens réservent encore timidement. Nous n’aurons pas de relance avant une paix définitive», dit-il. «Il faut que les Libanais aient confiance pour que cela déteigne sur les étrangers. Nous n’avons pas de politique touristique au Liban. Les Européens organisent leurs vacances six mois à l’avance. La Grèce savait depuis mars qu’elle allait accueillir quelque sept millions d’Allemands. Alors que nous, nous sommes dans une situation d’observation», remarque-t-il. La saison d’été a donc été grillée à l’avance par une situation politique encore fragile. Il faudra donc se concentrer sur l’été 2001. «Nous sommes présents dans les salons pour la promotion à l’étranger, mais nous sommes généralement mal placés», poursuit M. Ghosn. «Nos trois grands facteurs pour attirer les touristes sont l’histoire, la culture et le climat. Pas plus. Quant aux prix, ils ne sont pas aussi chers qu’on le dit. Il y a des accords entre les agences de voyage, les hôtels et les stations balnéaires. C’est lorsque l’on vient seul que ça peut sembler onéreux. Les tours sont très rentables», selon lui. «Maintenant, ajoute-t-il, ce que l’on propose aux visiteurs n’est pas très riche. Histoire, culture parfois mais aussi, depuis peu, religion. Des tours religieux ont été établis pour le jubilé de l’an 2000. Mais l’environnement a été saccagé au profit de certains hommes politiques. Personne ne pense à l’avenir du Liban, chacun n’agit qu’en fonction de son intérêt». Finalement, on se demande, même si le ministère du Tourisme n’a pas de budget, pourquoi ne prend-il pas des mesures ne nécessitant aucune dépense ? Comme par exemple demander aux comités organisateurs des festivals de donner leur programme bien plus tôt qu’à l’accoutumée. Les agences pourraient ainsi promouvoir les spectacles dans le cadre de leurs tours organisés. Cela ferait une excellente publicité pour le pays. Ce serait aussi l’occasion d’empêcher que les deux principaux festivals de l’année (Baalbeck et Beiteddine) ne s’entrecroisent. Malheureusement, les initiatives se font rares, et quand elles existent, elles sont le résultat d’initiatives personnelles. Médéa AZOURI
L’été est terminé et le temps de dresser un bilan de la saison touristique au Liban est venu. Politiquement, les derniers mois ont été marqués par le retrait israélien, les incidents dans les territoires palestiniens et les élections législatives. Mais le climat qui a prévalu à l’occasion de ces événements et les suites qu’ils ont eues ne semblent pas avoir amélioré l’image...