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Actualités - BIOGRAPHIE

REGARD - Jean-Claude Voisin : « Le Temps des Forteresses en Syrie du Nord, VIe – XVe siècle » Les Forteresses du Temps (II)

«La Vallée de l’Oronte» offre une panoplie architecturale étonnamment riche avec Harim, bâtie sur un tell au débouché de l’Oronte sur la plaine d’Antioche ; Qastoun ; Qalaat Moudiq ; acropole d’Apamée dès l’Antiquité, prise et reprise, son enceinte fortifiée visible aujourd’hui est arabe (XIIe – XIIIe siècle) ; Sheizar, «éperon barré» en avant de Hama, au débouché des gorges de l’Oronte sur le Ghâb ; les châteaux jumeaux de Bakas et Soghr, autre exemple d’éperon barré, avec un relief vertigineux ; Sermaniyé, encore un éperon barré (site sur falaise abrupte de trois côtés, séparé sur le quatrième du reste du plateau par un fossé qui en «barre» l’accès) ; Bourzey, spectaculaire citadelle assise sur un piton des contreforts du Djebel Ansarieh au contact du Ghâb ; Abou Qobeis, dominant la plaine de l’Oronte à 950 mètres d’altitude sur le flanc est du Djebel Ansarieh avec sa double enceinte, schéma typique des forteresses ismaéliennes du Djebel Bahra tout proche ; le château de Maysaf, avec ses deux enceintes concentriques sur deux niveaux qui fut également, après maintes vicissitudes, le siège des Ismaéliens au XIIe siècle. Un océan de pierres «La Trouée de Homs» met en scène le Crac, château arabe au XIe siècle qui passe aux mains des Francs au XIIIe, probablement la plus connue des forteresses syriennes avec celle d’Alep, bien que de nombreuses autres soient aussi spectaculaires, comme le démontrent les images toujours impressionnantes de Voisin – qui ne prétend pas faire œuvre de photographe professionnel mais de chasseur de documents, en quoi il excelle puisqu’il sait exactement quoi et comment photographier. Sauf que les conditions des prises de vue sont souvent aléatoires (l’heure, la hauteur du soleil, les nuages, etc.), ce qui donne des clichés flous aux yeux des puristes mais tout à fait valables pour les profanes. La mise en page exploite au maximum les photos, jouant sur la beauté naturelle des pierres : c’est un océan de pierres qui s’offre au regard, chaque site étant une déferlante. On ne peut qu’être stupéfait par la monstrueuse quantité de blocs mis en œuvre par les constructeurs de l’époque, certaines forteresses faisant jusqu’à 740 mètres de long sur 100 à 150 de large, avec des courtines et des tours d’une hauteur conçue pour décourager l’assaut. Safita, avec un donjon quadrangulaire massif (type templier) qui trône à 320 mètres d’altitude, est aujourd’hui presque caché par les constructions modernes. Chastelrouge (Qalaat Yahmur), «rare donjon quadrangulaire au sein d’une enceinte carrée», fut pris par le sultan mamelouk Qalaoun en 1289, la même année que Tripoli. «Le Littoral et le Djebel Ansarieh» donne à voir Tartous avec son enceinte urbaine fortifiée d’origine byzantine et sa forteresse ; Arwad, son Borj protégeant le port et sa Qalaat sur la côte opposée, avec ses nombreuses ouvertures de tir : occupée jusqu’à l’époque ottomane, elle mériterait une étude spéciale ; Margat, érigée à 510 mètres d’altitude : apparentée aux énormes forteresses byzantines, elle se compose de deux ensembles eux-mêmes séparés par un fossé : le château, avec le plus important donjon circulaire de Syrie, et le bourg castral, le tout enserré dans une double enceinte en pierres noires basaltiques ; Bikisraïl, avec son enceinte castrale qui dessine un véritable mur-bouclier ; Balatanos, construite au début du XIe siècle par les Banou Ahmar, montagnards du Djebel Ansarieh, sur un site byzantin ; Baghras, occupée et réoccupée à maintes reprises, depuis les Romains jusqu’aux Mamelouks, par tous les acteurs de l’histoire régionale, est d’une lecture difficile ; Saône ou Qalaat Salah ad-Dine est l’un des sites les plus spectaculaires de Syrie, avec un fossé très profond, creusé et recreusé par les occupants successifs : il offre un échantillonnage de l’évolution de la fortification en Syrie du Ve au XVe siècle. La multiplicité des interventions sur cet éperon barré, de 740 mètres de long sur 50 à 150 de large, rend son déchiffrement malaisé : encore un sujet de thèse idéal. Le dernier cahier, «Les Forteresses des Ismaéliens», fait défiler al-Kahf : cette forteresse d’interfluve d’origine arabe, véritable nid d’aigle accessible par un seul côté, devint le centre du pouvoir du «Vieux de la Montagne» au milieu du XIIe siècle ; Qadmous ; Ollaïqa, al-Khawabi, parmi les plus spectaculaires des forteresses ismaéliennes avec Maniqa, la plus méridionale, à une vingtaine de kilomètres au nord de Safita. L’avance et le retard Les fréquents remaniements, au gré des conquêtes et des occupations, génèrent des développements techniques inédits, faisant la synthèse des différentes cultures architecturales. Voisin, très opportunément, insiste sur la nécessité d’étudier le phénomène fortifié en fonction non seulement de considérations purement militaires (progrès de l’armement, des techniques de siège et de guerre), mais également de la nature du sol d’implantation et surtout de la structure des sociétés (motivations, organisation sociale et spatiale, etc.) : grandes forteresses-refuges collectifs des Byzantins, fortifications urbaines et forteresses-garnisons arabes, sièges de gouvernorats locaux, avec préférence pour les formes arrondies, vestiges des usages mésopotamiens, réduits francs dans un système bipolaire donjon/ basse-cour. Chaque société a sa propre version des porteries, des herses, des assommoirs, des enceintes, des tours, des donjons, des parements, des glacis introduits pour compenser des bases peu stables ou friables ou pour parer aux tremblements de terre : chaque élément a une raison spécifique qu’il faut déterminer en fonction d’un faisceau de facteurs. Pour Voisin, cette partie du Proche-Orient fut incontestablement «le creuset d’une part importante de l’évolution de l’architecture militaire universelle», avec une «avance» considérable sur l’Europe. Avance convertie en retard à partir de l’époque ottomane, le fossé technologique ne cessant de s’élargir dans tous les domaines. S’il y a aujourd’hui une forteresse imprenable, c’est celle de notre incapacité, par fossilisation sociale et sclérose politique, à marcher du même pas que le reste du monde, doublés que nous sommes tant par l’Occident que par l’Orient asiatique. Nous étions les forts en thème de la civilisation, les majors de promotion, nous n’en sommes plus que les cancres à bonnet d’âne. Les individus qui réussissent avec éclat à l’étranger ne font que confirmer la faillite de leur société d’origine : c’est elle qui doit être réaménagée, rebâtie à nouveaux frais, repensée de fond en comble. Personne, autant que l’on sache, n’est aujourd’hui à même de mettre en œuvre et encore moins de mener à bien une telle entreprise. Il suffit de songer à l’impossibilité, jusqu’à nouvel ordre ou nouveau miracle, de toute réforme administrative, qui ne représente qu’une infime partie de ce qu’il faut changer, pour mesurer l’ampleur de notre impuissance. Sommes-nous donc condamnés à n’être plus que des ruines, vestiges du passé sans perspectives d’avenir, prisonniers des rétrogrades forteresses du temps? Qui peut répondre? (Disponible en Librairie) Joseph TARRAB N.B. - Le lecteur aura corrigé de lui-même la coquille dans l’article précédent : «Voisin a pu parcourir, bien entendu, 800 km en une journée et non 8 000».
«La Vallée de l’Oronte» offre une panoplie architecturale étonnamment riche avec Harim, bâtie sur un tell au débouché de l’Oronte sur la plaine d’Antioche ; Qastoun ; Qalaat Moudiq ; acropole d’Apamée dès l’Antiquité, prise et reprise, son enceinte fortifiée visible aujourd’hui est arabe (XIIe – XIIIe siècle) ; Sheizar, «éperon barré» en avant de Hama, au débouché des gorges de l’Oronte sur le Ghâb ; les châteaux jumeaux de Bakas et Soghr, autre exemple d’éperon barré, avec un relief vertigineux ; Sermaniyé, encore un éperon barré (site sur falaise abrupte de trois côtés, séparé sur le quatrième du reste du plateau par un fossé qui en «barre» l’accès) ; Bourzey, spectaculaire citadelle assise sur un piton des contreforts du Djebel Ansarieh au contact du Ghâb ; Abou Qobeis, dominant...