Rechercher
Rechercher

Actualités - BIOGRAPHIE

REGARD - Jean-Claude Voisin : « Le Temps des forteresses en Syrie du Nord, VIe – XVe siècle » Les forteresses du temps (I)

Châteaux et églises du Moyen-Âge au Liban de Levon Nordikian et Jean-Claude Voisin, publié en 1999 par les éditions Terre du Liban, vient de remporter le prix Phénix. Castellologue émérite et d’une énergie apparemment inépuisable, Jean-Claude Voisin récidive aujourd’hui avec un volumineux opus de 476 pages : Le Temps des forteresses en Syrie du Nord, VIe – XVe siècle chez le même éditeur (conception et mise en page de Fayza el-Khazen), entraînant le lecteur dans une étonnante randonnée géographique, historique, militaire et architecturale à travers la partie de la Syrie septentrionale délimitée en bas de la carte par une ligne Tartous-Homs-Doura Europos, ou, en termes de forteresses, par Qalaat Yahmur à l’Ouest, Palmyre dans le désert et Rahba sur l’Euphrate, et, en haut, par la frontière syro-turque. Le «phénomène fortifié» médiéval ne tient pas compte, évidemment, des frontières actuelles : il se prolonge fort avant en Cilicie avec de nombreuses forteresses byzantino-arméno-franco-arabes bien conservées. Ce sera le prochain terrain d’exploration de Voisin. L’intérêt de cette vue d’ensemble des qalaat, kasr et hosn depuis le Liban jusqu’à la Turquie dans la période préottomane est qu’elle est d’abord, à toutes fin utiles, la première en son genre. – Par son ampleur et son caractère inclusif : généralement, les spécialistes occidentaux se concentrent sur les vestiges croisés ou sur des sites particuliers, alors que les chercheurs orientaux ne semblent guère attirés par la castellologie, malgré l’extraordinaire abondance de la matière sur place. – Par sa documentation photographique très copieuse (86 sites étudiés dont 64 illustrés par 281 photos couleurs légendées) qui en fait un guide pointu aussi bien pour le chercheur que pour l’amateur de châteaux-forts ou le simple touriste, avec 9 cartes spécialement dessinées et 43 plans et vues aériennes saisissantes datant des années trente et publiées ici pour la première fois. Ce reportage photographique informé et intelligent met en valeur les dispositifs militaires (porteries à coude simple ou double, fossés, ponts dormants, ponts-levis, mâchicoulis, bretèches, herses, assommoirs, barbacanes, chambres de tirs à meurtrières multiples, archères isolées, etc.), l’articulation des espaces et éléments castraux (donjons, tours de flanquement, basses-cours, réduits, doubles enceintes, etc.), les techniques de construction et d’appareillage des murs, des courtines, des tours et remparts (glacis, «fruit», colonnes de récupération en boutisse dans le corps des murailles pour en renforcer la résistance dans la période fortement sisimique du VIIIe au XIIIe siècle, bossage des parements, etc.). Remise en question Il sert également à étayer une remise en question des thèses habituelles, avec en quelque sorte la réhabilitation de l’apport des architectes militaires orientaux qui ont inventé les fortifications en pierre depuis la plus haute antiquité mésopotamienne et n’ont cessé de les améliorer jusqu’à la fin de la période considérée : la «révolution de la pierre» attendra le XIIIe siècle pour se généraliser en Europe qui construisait jusqu’alors ses forteresses en bois : souverains, tels Richard Cœur de Lion et saint Louis, ordres militaires, tels les Hospitaliers et les Templiers, princes, petits seigneurs, reproduisent avec plus ou moins de bonheur les modèles moyen-orientaux et suivent l’exemple libano-syrien dans les techniques de construction de leurs châteaux. Voisin souligne que cette apporche comparative, esquissée dans les travaux déjà anciens de T.E. Lawrence et K.A.C. Kreswell, mérite d’être approfondie, et d’abord par une réorientation du regard que lui-même pratique fort bien. Bien qu’il effleure la question, vu le caractère global de son approche, il pose néanmoins très fermement le problème, soulignant combien de thèses restent encore à écrire sur cet aspect et sur beaucoup d’autres : à certains égards, on a encore affaire à un terrain relativement vierge. – Par la détermination du contexte géographique et historique qui met en scène tous les acteurs militaires et politiques de ces neufs siècles extrêmement agités et des siècles précédents : Séleucides, Romains, Byzantins, Omeyyades, Hamdanides, Ayyoubides, Seljoukides, Abbassides, Fatimides, Ismaéliens, Mamelouks, Francs... Ce qui permet de situer et de relier les péripéties relatives aux divers sites présentés dans les cahiers photographiques, double approche par le texte et l’image qui autorise soit une lecture suivie, soit un picorage des données à travers les légendes explicatives, soit les deux en alternance. Les cahiers photographiques Le cahier L’Héritage antique aborde des citadelles comme Cyrrhus, la plus septentrionale : séleucide, byzantine, arabe, franque avant d’être prise par les Mamelouks, elle illustre bien le sort de la plupart des forteresses étudiées ; Qasr Ibn Wardan (byzantine, VIe s.) aux marges du désert ; Resafa (Sergiopolis), cité romaine, byzantine puis arabe, résidence du calife omeyyade Hisham, grand bâtisseur ; Halabiya, sur l’Euphrate ; Qasr el-Heir el-Gharbi, palais omeyyade de Hisham à l’emplacement d’un monastère justinien fortifié ; Qasr el-Heir el-Charki, également construit par Hisham, pour contrôler un point d’eau sur la route caravanière de Palmyre à l’Euphrate. Le cahier Les Monastères fortifiés évoque des sites fort connus comme Qalaat Semaan et d’autres moins fréquentés tels Sarmada, Cheikh Barakat, Qalaat Kalota, Tell Aadé, Kherbet Allaruz. Les Forteresses de l’Éuphrate campent en photos impressionnantes les sites de Rahba, Halabiya, Qalaat Jaber, Qalaat Najim. Les Forteresses de désert et du massif calcaire, à l’est de la vallée de l’Oronte, montrent Palmyre avec son imposante citadelle ayyoubide, Qalaat Ibn Maan, érigée sur un piton dominant la cité antique ; Salamiyé ; Shmemis, surréaliste forteresse basaltique circulaire installée dans le cratère d’un volcan dont les flancs d’un blanc éclatant se détachent sur l’ocre du désert : il est arrivé à Voisin de parcourir 8 000 kilomètres en une journée pour refaire une photo de cette singulière fortification : au lieu du désert (première de couverture), il est tombé sur un éphémère tapis de végétation (dernière de converture) ; Alep, avec sa fameuse citadelle qui illustre «l’admirable maîtrise de l’architecture fortifiée arabe des XIIe et XIIIe siècles en Syrie du Nord» ; el Bara, Maarat el Nooman (XIe – XIIe siècles). – À suivre – Joseph TARRAB
Châteaux et églises du Moyen-Âge au Liban de Levon Nordikian et Jean-Claude Voisin, publié en 1999 par les éditions Terre du Liban, vient de remporter le prix Phénix. Castellologue émérite et d’une énergie apparemment inépuisable, Jean-Claude Voisin récidive aujourd’hui avec un volumineux opus de 476 pages : Le Temps des forteresses en Syrie du Nord, VIe – XVe siècle chez le même éditeur (conception et mise en page de Fayza el-Khazen), entraînant le lecteur dans une étonnante randonnée géographique, historique, militaire et architecturale à travers la partie de la Syrie septentrionale délimitée en bas de la carte par une ligne Tartous-Homs-Doura Europos, ou, en termes de forteresses, par Qalaat Yahmur à l’Ouest, Palmyre dans le désert et Rahba sur l’Euphrate, et, en haut, par la frontière syro-turque. Le...