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Actualités - BIOGRAPHIE

PORTRAIT D’ARTISTE - Nada Sehnaoui présente : Peindre « L’Orient-Le Jour » année 1999 Couleurs du quotidien

Nada Sehnaoui est une artiste de son temps : des horizons ouverts et qui se rencontrent, tous domaines confondus. «Lorsque la guerre a commencé, raconte-t-elle, j’avais 17 ans. Le seul moyen pour moi de ne pas sombrer dans la folie a été d’apprendre l’histoire et la sociologie. Pour essayer de comprendre ce qui arrivait». Le cinéma l’intéresse, elle l’apprend à Boston et à Paris : «Mais la production demande de la patience et ne tient pas qu’à soi : j’avais besoin de m’exprimer rapidement et seule». En 1995, elle choisit sa voie définitive et suit le cursus artistique de l’université de Boston. Peindre ce qu’on peut Artiste de son temps, Nada Sehnaoui l’est, au sens propre du terme. Le temps de l’histoire, celle d’un jour ou de plusieurs années, celle qu’elle suit assidûment depuis son adolescence par la lecture du journal. Non pas une histoire lointaine, mais tout simplement la sienne : celle d’une Libanaise qui a vu la guerre s’allumer un certain jour d’avril 1975 : «On peint ce qu’on peut», affirme-t-elle. «Je n’ai pas choisi de naître dans ce pays ni d’être témoin de son histoire : les choses les plus importantes d’une vie ne se décident pas». Entre ce destin et la lecture, le chemin est, du moins jusqu’à présent, tout tracé, le journal s’incorpore naturellement dans l’œuvre : «Le texte est capital», poursuit-elle. «Mais j’aime aussi la texture du journal qui, quand il est traité ou protégé d’une quelconque manière, s’insère dans mon travail». Une suite à la lecture. Depuis 10 ans, Nada Sehnaoui donne sa propre vision du temps, de l’histoire et de la guerre. Des guerres même, puisqu’elle a réalisé des œuvres à partir du dernier journal paru à Sarajevo avant que la Serbie ne s’embourbe. De petites boîtes à cigares traitées sur le fond desquelles ont été fixées avec de la cire des bribes d’informations. Statistiques de guerre L’artiste accumule les coupures de journaux, qui trouvent leur place dans une œuvre au moment favorable : «J’ai longtemps gardé un bilan d’après-guerre d’une sécheresse épouvantable et paru en 1991», confie-t-elle. «Des chiffres et des statistiques sur le conflit libanais qui m’a hantée pendant des années. Puis, je l’ai travaillé et inséré dans plusieurs travaux et de manières différentes». Plusieurs tableaux s’intitulent «Statistics», et sont réalisés à partir de ces coupures, fondues dans la couleur et les lignes. De manière générale, le travail de l’artiste est reconnu comme conceptuel et minimal, exception faite d’une série de petites toiles carrées exposées à Boston en 1997, où les objets, les fruits ou les hommes trouvaient leur place. Puis, plus récemment, en 1999, elle a réalisé une dizaine de toiles que lui ont inspiré les poèmes de T.S. Eliott. Un coup de foudre de lectrice qui ne lit pas que la presse, loin s’en faut. Texture du texte C’est en décembre 1998 que Nada Sehnaoui décide de relever un défi : «Je voulais travailler la texture et le texte du journal que je lisais chaque jour», explique-t-elle. «J’ai illustré les “une” de L’Orient-Le Jour du mois de janvier de l’année suivante, et l’idée m’a plu». Ces premières pages ne sont pas restées dans leur constitution originale : l’artiste a glané dans les feuillets intérieurs des images ou des textes qu’elle a voulus mettre en valeur. Une réécriture de l’histoire ? «Bien sûr, l’objectivité n’existe pas. C’est un journal éphémère, celui que l’on jette après 24 heures, qui est devenu un journal intime permanent». Un travail quotidien, très astreignant, qui ne tarde pas à s’arrêter net au 4e mois de l’année. Le mois du début de la guerre. Comprenant le blocage, Nada Sehnaoui se débarrasse d’un souvenir de guerre en remplaçant les 26 parutions d’avril 1999 par l’illustration, sur une reproduction de 117x152 cms, du 14 avril 1975. «Parfois le texte disparaît sous la couleur, parfois il est effacé, mais c’est ma version de l’événement quotidien». Combats Pendant près de 300 jours, Nada Sehnaoui a tenu bon. Jusqu’aux mois de novembre (intitulé Ras-le-bol) et de décembre, où les colonnes de caractères sont remplacées par un blanc vierge et silencieux. «Cet exercice m’a permis de prendre en charge mon destin, d’être moins manipulée», explique-t-elle. «C’est un travail qu’on ne peut sans doute faire qu’une fois dans sa vie». La leçon d’un tel exercice quotidien ? «J’ai découvert à quel point la répétition des événements, des comportements, de la corruption était exaspérante», répond-elle. «Si bien que je ne voulais montrer cette exposition que dans plusieurs dizaines d’années, juste pour voir si l’histoire reste la même». L’accrochage aura cependant lieu cette année, du 21 novembre au 9 décembre à la galerie Épreuve d’artiste, et celui qui les regardera verra peut-être, comme Nada Sehnaoui, la répétition monotone d’une histoire triste, celle du Liban, mais en même temps la preuve revigorante d’un «formidable combat contre la mort». Au quotidien. Diala GEMAYEL
Nada Sehnaoui est une artiste de son temps : des horizons ouverts et qui se rencontrent, tous domaines confondus. «Lorsque la guerre a commencé, raconte-t-elle, j’avais 17 ans. Le seul moyen pour moi de ne pas sombrer dans la folie a été d’apprendre l’histoire et la sociologie. Pour essayer de comprendre ce qui arrivait». Le cinéma l’intéresse, elle l’apprend à Boston et à...