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Actualités - ANALYSE

Universités - Des considérations clientélistes plutôt que des impératifs académiques L’UL dans l’attente d’un recteur et des doyens

Le comité exécutif des professeurs à plein temps de l’Université libanaise a observé mercredi dernier une grève symbolique d’avertissement pour attirer l’attention des responsables officiels, et plus particulièrement du Conseil des ministres, sur le fait que l’État doit désigner dans les délais les plus brefs un recteur et de nouveaux doyens. L’université nationale fait face depuis près de cinq mois à une vacance au niveau de certains postes de responsabilité, ce qui se répercute négativement sur non moins de 70 000 étudiants et 3 000 professeurs. Sans compter les ingérences politiciennes et le clientélisme de certaines parties qui rendent la situation encore plus complexe et dramatique. Le poste de recteur à l’UL est vacant depuis la formation du nouveau gouvernement, le titulaire sortant Assaad Diab ayant été nommé ministre des Affaires sociales. Déjà depuis juillet dernier, le conseil de l’université, composé du recteur, des doyens, des représentants des professeurs et des étudiants et de deux personnalités bénéficiant d’une notoriété académique bien établie, était légalement bloqué. C’est que depuis cette date en effet, les mandats des 13 doyens ont expiré. Entre-temps, aucun doyen n’a été désigné, tout le monde étant alors convaincu que les nouvelles nominations n’auraient pas lieu avant la formation d’un nouveau gouvernement issu des élections législatives de l’été dernier. Aujourd’hui, la situation continue d’être bloquée à l’université. C’est pour protester contre le retard mis par les responsables à trancher le problème que les professeurs ont observé la grève d’avertissement du 6 décembre. Ce retard est dû manifestement au fait que les trois pôles du pouvoir ne se sont pas encore mis d’accord sur le nom du nouveau recteur. Contrairement aux traditions universitaires, la nomination d’un recteur de l’UL est devenue tributaire de calculs politiciens et de considérations clientélistes qui sont sans rapport avec les impératifs à caractère académique. Selon diverses sources concordantes, le désaccord apparu à ce propos ne porte pas uniquement sur le nom, mais aussi sur la confession du nouveau recteur. Jusqu’au début des années 90, le poste de recteur de l’UL faisait partie du quota de la communauté maronite. Après la conclusion de l’accord de Taëf, qui a instauré le principe de la rotation des postes de première catégorie entre les principales communautés du pays, un chiite a été désigné recteur de l’UL. M. Diab a ainsi occupé ce poste pendant près de sept ans. Plusieurs milieux politiques et universitaires soulignent au stade actuel que, conformément au principe de la rotation des postes de première catégorie, rien ne justifie que le nouveau recteur soit, une nouvelle fois, de la communauté chiite. Pas de couverture légale Déjà du temps du dernier gouvernement Hariri, sous le mandat du président Élias Hraoui, un «coup de force» avait été tenté par le président du Conseil pour contrer un renouvellement du mandat de M. Diab. L’ancien Premier ministre Sélim Hoss s’était engagé sur la même voie et avait refusé de renouveler le mandat de M. Diab qui est resté toutefois plusieurs mois en place, «sans aucune couverture légale», admettent les juristes. Cette situation en tout point anormale est due, affirment diverses sources qui suivent ce dossier de près, à des «interventions occultes». La nomination de M. Diab à un poste ministériel a permis de reprendre le dossier à zéro. De là à prétendre que cette nomination a été voulue par certains comme lot de consolation à M. Diab afin de l’écarter du rectorat de l’UL, il n’y a qu’un pas que de nombreux observateurs n’ont pas manqué de franchir. Impuissants face à ces considérations politiciennes et clientélistes, les professeurs de l’UL réalisent de plus en plus que l’Université, en tant qu’entité morale, est profondément lésée par ces manœuvres. De plus, ils ont le sentiment que leur dignité, en tant qu’universitaires et académiciens, est largement bafouée. Ils déplorent le fait que l’université nationale a perdu toute son autonomie et son particularisme qui faisaient d’elle une administration «différente des autres», puisqu’elle avait la charge d’une fraction non négligeable de la jeunesse libanaise. Aujourd’hui plus que jamais, les postes de recteur et de doyen risquent ainsi de perdre toute valeur académique et morale si leur pourvoi continue d’être tributaire de considérations qui n’ont rien à voir avec l’université proprement dite. Enjeux et intérêts À la lumière de l’ensemble de ces données, un haut responsable du ministre de l’Enseignement supérieur (ministère de tutelle de l’UL) a admis, dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, que le poste de recteur est devenu effectivement «un véritable enjeu politique pour les principaux pôles du pouvoir». À en croire des sources bien informées, le président Émile Lahoud se serait saisi de ce dossier, sous l’impulsion de certains de ses proches conseillers. Il s’agirait là, le cas échéant, d’une donne non négligeable dont il convient de tenir compte en vue d’une solution. Divers milieux universitaires et politiques avaient d’ailleurs déploré le fait que l’ancien président Élias Hraoui ne paraissait pas particulièrement concerné par la situation de l’UL, considérant sans doute que l’enjeu ne justifiait pas une bataille politique. Pour sa part, le Premier ministre Rafic Hariri chercherait à obtenir la désignation d’un recteur qui «mettrait un peu d’ordre dans la maison» car il ne verrait pas d’un bon œil, dit-on, «l’excès de liberté» dont jouissait jadis l’UL. M. Hariri serait en outre favorable à une réduction du budget de l’université. Il s’était d’ailleurs déjà engagé sur cette voie sous le mandat Hraoui. S’il tente au stade actuel de pousser davantage dans le sens d’une telle politique d’austérité, il risquerait d’être confronté au sein de l’UL à une forte opposition. Un recteur favorable à ses thèses serait donc bienvenu. Quant à M. Nabih Berry, ses calculs se situent à un tout autre niveau. De l’aveu de la plupart des milieux universitaires, le chef du Législatif est le principal intéressé dans l’affaire. Et pour cause : aux yeux du leader d’Amal, l’université nationale constitue, de toutes les institutions étatiques, la cible privilégiée au sein de laquelle il tente d’étendre son influence. Compte tenu de ces manœuvres à multiples facettes, la question actuellement est de savoir si les nominations feront l’objet d’un arrangement particulier ou si, au contraire, elles s’inscriront dans la cadre d’un package deal plus global, portant sur un ensemble de postes vacants dans d’autres administrations publiques. Dans le premier cas, la nomination d’un recteur et de nouveaux doyens ne saurait tarder, ce qui aura pour avantage de freiner la dégradation au sein de l’université. Dans le second cas, ces désignations risqueraient de se faire attendre, et c’est l’UL qui sera, alors, incontestablement, le grand perdant. Louis HONEÏNÉ
Le comité exécutif des professeurs à plein temps de l’Université libanaise a observé mercredi dernier une grève symbolique d’avertissement pour attirer l’attention des responsables officiels, et plus particulièrement du Conseil des ministres, sur le fait que l’État doit désigner dans les délais les plus brefs un recteur et de nouveaux doyens. L’université nationale fait face...