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Actualités - CHRONOLOGIE

CONFÉRENCE - Une autorité mise à l’épreuve, des enfants livrés à eux-mêmes, un monde régi par la satisfaction du désir Le nouveau défi de Philippe Meirieu : éduquer dans un monde en mutation(photos)

C’est devant une salle comble que Philippe Meirieu, présenté par le doyen de la faculté des sciences de l’éducation de l’USJ, Henri Awit, comme étant l’une des figures les plus marquantes de la pédagogie moderne, a prononcé une conférence sur la crise de l’éducation, au Salon du livre, au Biel. Une conférence au cours de laquelle il a exposé les valeurs, les perspectives et les repères que l’éducation pourrait imaginer dans un monde en mutation, où les adultes ne savent plus utiliser leur autorité, où les enfants sont de plus en plus livrés à eux-mêmes et aux influences de la modernité.La crise de l’éducation découle aujourd’hui de différents facteurs inhérents à notre société, dont notamment la disparition d’une référence morale unique. «Dans toutes les sociétés qui s’efforcent au pluralisme et à la démocratie, à l’exception des sociétés totalitaires, explique Philippe Meirieu, nous vivons la montée du pluralisme moral. À côté de la référence familiale, la télévision, le cinéma, mais aussi d’autres peuples et d’autres cultures que la nôtre apportent leurs références. Il n’y a plus de chemin unique et c’est cela que nous désignons sous le titre de crise de l’éducation, car ces références diverses sont sources de difficultés éducatives.» Un second facteur, remarque-t-il, est cette fabuleuse accélération de l’histoire et ce manque de liaison entre les générations qui font que, d’une génération à l’autre, la transmission ne s’opère plus de la même manière. En outre, la crise de l’éducation tire ses sources dans l’univers social et publicitaire, qui pénètre jusqu’aux confins des contrées les plus éloignées et place l’enfant entre la position de bébé tyrannique exigeant qu’on lui passe tous ses caprices et d’adulte prématuré à qui on demande de porter trop tôt des responsabilités. «Nous vivons en France des situations extrêmement étranges, observe le professeur Meirieu. À l’instant où nous infantilisons complètement les enfants, pour en faire des consommateurs dociles le plus longtemps possible, nous leur demandons parallèlement de supporter leurs parents et leurs problèmes.» De plus, non seulement l’ensemble des éducateurs, mais la société entière est prise dans une sorte d’oscillation infernale entre les crispations d’un autoritarisme et le laxisme démagogique. Les caractéristiques de la modernité sont que beaucoup d’enfants sont confrontés à des adultes qui, alternativement, se posent comme tout-puissants puis comme impuissants. Ils tentent de guider les enfants, d’être leurs chefs, mais ils n’y arrivent pas. Quant à l’enfant, il sait très bien que ces adultes vont finir par le laisser se débrouiller tout seul et qu’il devra se prendre lui-même en main. Si le désir n’est pas interdit, le passage à l’acte l’est Pour faire face à cette crise de l’éducation, Philippe Meirieu propose cinq éléments qu’il appelle les fondamentaux éducatifs dans un monde sans repères. «La naissance fondatrice est un processus continu qui nous accompagne jusque notre mort et sans doute même au-delà, remarque-t-il. C’est l’émergence tout au long de la vie d’une personne dotée de conscience et qui se donne des projets.» Mais pour naître, il faut sortir de cet égocentrisme initial qui consiste à tout ramener à soi et à vivre dans un monde où rien n’existe en dehors de soi. «Là est la vraie difficulté, note le pédagogue. Car l’enfant qui vient est toujours un enfant roi, le plus beau du monde, le centre du monde, parce qu’il donne un extraordinaire bonheur à ses parents. C’est ainsi qu’il pense que tout ce qui arrive autour de lui advient à cause de lui.» L’enfant doit donc progressivement découvrir que le monde existe en dehors de lui, qu’il lui résiste et qu’il n’est pas totalement assujetti à son bon vouloir. Il doit apprendre à découvrir une résistance des choses à ses caprices, à sa volonté. «Cela nous mène au difficile apprentissage de l’altérité», poursuit Philippe Meirieu, ajoutant que l’enfant ne découvre pas spontanément l’existence de l’autre. Dans un premier temps, l’autre n’existe que pour satisfaire son propre désir de se nourrir, d’être protégé. Ce n’est que progressivement que l’enfant découvre le visage de l’autre, interpellation à la fois impérative et mystérieuse. Aussi, doit-il apprendre à entrer en relation avec l’autre, à collaborer avec lui, à le reconnaître comme semblable et différent. Finalement, observe le pédagogue, il doit apprendre la renonciation à la toute-puissance. Toujours tenté par le passage à l’acte immédiat, sans réfléchir, il exige tout et tout de suite. Éduquer l’enfant, c’est lui enseigner la renonciation à la violence, la fondation d’un ordre où le désir ne fait pas nécessairement loi, car en se constituant comme sujet exclusivement désirant, il fait l’impasse sur la construction véritable de sa personne. «Mais si le désir n’autorise rien, il n’est pas pour autant interdit», souligne M. Meirieu, précisant que c’est le passage à l’acte qui est interdit car il représente un danger. À partir de ces éléments fondamentaux, Philippe Meirieu met en place les repères, les perspectives de l’exigence éducative. Le monde n’existe pas pour l’enfant car, pour lui, réalité et fiction s’entremêlent en permanence. Ainsi, s’il est normal pour l’enfant de jouer à tuer, en regardant la télévision, en manipulant les jeux électroniques ou en martyrisant une poupée, le pédagogue déplore que le monde entier soit devenu aujourd’hui un jouet avec lequel l’enfant peut jouer et qu’il se permet de persécuter, comme il persécute ses jouets. «Ce qui est grave, observe le professeur, c’est qu’au moment où il y a une telle superposition entre le jeu et la réalité, la frontière disparaît entre la fiction et la réalité.» L’ensemble du monde et en particulier les autres deviennent alors un jouet pour l’enfant qui vit dans la toute-puissance du désir et du passage à l’acte permanent. D’où la difficulté pour cet enfant d’avoir des rapports adultes avec les autres. « Le faire ensemble », des projets communs entre parents et enfants «Éduquer dans une situation difficile comme la nôtre, dit-il, c’est aider l’enfant à naître. Naître d’abord au monde, l’aider à sortir de la relation duelle d’affrontement entre lui et l’adulte.» En effet, l’éducation doit introduire des tiers médiateurs, qui viennent arbitrer et réguler les relations entre l’enfant et l’autre. Le «faire ensemble» doit être rendu possible par les parents qui, à travers des projets communs avec leurs enfants et adolescents, leur apprennent à être à l’écoute d’une autorité qui incarne le monde du «vivre et du créer ensemble» et ne relève plus du caprice des hommes. L’enfant devra ensuite naître à la loi, découvrir que les règles ne tombent pas du ciel, mais qu’elles sont requises par le projet poursuivi en commun. Il apprendra aussi que l’adulte n’est pas la règle, mais qu’il y amène. Que cet adulte doit renoncer à sa toute-puissance aveugle et que l’interdit est posé pour autoriser et rendre possible quelque chose. Aider le jeune à naître au futur implique à ce stade pour l’éducateur de faire alliance avec l’enfant et l’adolescent contre toutes les formes de fatalité sociale, culturelle et groupale, à faire émerger en lui des possibilités qui n’existent pas forcément déjà et à lui apprendre à mieux lutter contre la difficulté, l’échec, l’exclusion. «Naître à la volonté suppose pour l’enfant de former sa volonté et de faire le rapport entre son désir et la loi. L’adulte devra ainsi mettre en place des situations qui permettent à l’enfant d’apprivoiser et de symboliser ses propres désirs et de ne pas en être l’esclave», remarque Philippe Meirieu. Ce travail sur le désir et la loi ne peut s’effectuer que si l’enfant apprend, par la construction de rituels, la retenue et la maîtrise de soi, qui lui permettent d’être présent à soi-même, précise-t-il. Finalement, pour assumer ses responsabilités à l’égard de l’avenir, l’adulte doit travailler avec les enfants à instituer la sphère publique, à rétablir la frontière entre ce qui relève des choix privés et ce qui relève de la décision collective, au service du bien commun. «Ce n’est qu’ainsi que l’enfant naîtra au politique», constate le professeur. Et d’ajouter que l’éducation en politique relève de la reconnaissance d’autrui et passe par les formes ritualisées du salut et de la politesse, manière de reconnaître que l’autre existe, qu’on le respecte, qu’on ne le vit pas comme un danger mais comme un être. «La crise de l’éducation est un danger majeur pour notre société», prévient Philippe Meirieu. Le danger serait de se laisser tenter par un retour à l’autoritarisme dogmatique et la tyrannie ou de permettre à nos sociétés de se dissoudre dans l’individualisme ou la juxtaposition des individualités. Et M. Meirieu d’espérer que peut-être, grâce à la crise, nos sociétés pourront dépasser les enfermements et affrontements et identifier les repères fondateurs pour vivre ensemble. «Nous portons devant nos enfants et avec eux la responsabilité de leur avenir. Nous nous devons de leur transmettre les principes qui permettront au monde de durer au-delà de nous», conclut-il. Anne-Marie El-HAGE
C’est devant une salle comble que Philippe Meirieu, présenté par le doyen de la faculté des sciences de l’éducation de l’USJ, Henri Awit, comme étant l’une des figures les plus marquantes de la pédagogie moderne, a prononcé une conférence sur la crise de l’éducation, au Salon du livre, au Biel. Une conférence au cours de laquelle il a exposé les valeurs, les perspectives et les repères que l’éducation pourrait imaginer dans un monde en mutation, où les adultes ne savent plus utiliser leur autorité, où les enfants sont de plus en plus livrés à eux-mêmes et aux influences de la modernité.La crise de l’éducation découle aujourd’hui de différents facteurs inhérents à notre société, dont notamment la disparition d’une référence morale unique. «Dans toutes les sociétés qui s’efforcent au...