Actualités - REPORTAGE
SOCIÉTÉ - Des contraintes socioculturelles et économiques coupent la route aux postulantes La politique arabe n’aime toujours pas les femmes(photos)
le 28 mai 2002 à 00h00
Qu’est-ce qui empêche les femmes, notamment dans les pays arabes, de s’impliquer davantage en politique ? Les facteurs socioculturels ? Le taux d’alphabétisation encore insuffisant ? Les portes des institutions qui leur sont toujours fermées ? Les législations discriminatoires ? C’est sur ces questions qu’ont planché durant deux jours d’éminentes chercheuses de divers pays arabes lors d’un congrès sur la « participation de la femme dans les systèmes politiques du Moyen-Orient » qui s’est tenu à l’initiative de l’association Friedrich Ebert et du Comité civil de suivi des affaires féminines. De ces discussions ressort le fait, particulièrement marquant, que le progrès n’est pas toujours continu. Les conférencières ont insisté sur le fait assez paradoxal qu’une éducation poussée des femmes et des lois qui leur sont favorables n’aboutissent pas ipso facto à une forte participation de ces dernières à la vie politique. Et elles ont relevé avec amertume le recul de la présence féminine dans les sphères de décision de certains pays… Pour expliquer le fait que la femme n’a pas encore réussi à percer dans l’univers politique du monde arabe, les analyses diffèrent selon les régimes en vigueur dans les pays, mais elles se recoupent en plusieurs endroits. Parmi les contraintes évoquées, le système patriarcal qui n’aide pas la femme à se propulser dans le domaine public, où elle n’est pas toujours la bienvenue. Son éducation qui la pousse souvent à emprunter d’autres chemins, la confinant dans un rôle d’épouse et de mère. Même certaines nominations à des postes importants reflètent plus une volonté des dirigeants ou du prince qu’un réel progrès au niveau de la rue. La montée des mouvements islamistes n’arrange pas non plus les choses. En Tunisie, un déclin a même été constaté depuis que de tels mouvements ont gagné en puissance dans ce pays avant-gardiste par rapport aux autres États de la Ligue en matière de droits des femmes. L’analphabétisme et l’illettrisme sont également désignés du doigt comme des facteurs de sous-développement des populations féminines. Ces obstacles d’ordre socioculturel, et d’autres encore, ont été longuement évoqués par les conférencières. Parlant des pays du Maghreb (Tunisie, Maroc, Algérie), Malika Horchani, de l’Association féminine tunisienne pour les recherches et le développement, a résumé ainsi les contraintes socioculturelles : la spécificité religieuse qui n’est évoquée que quand la condition de la femme est soulevée, l’éducation à l’obéissance qui façonne son comportement ultérieur, la responsabilité qu’elle assume dans son foyer et qui l’éloigne de la vie publique, l’infériorité dans le domaine économique et l’énergie qu’une grande partie de la population féminine est obligée de dépenser pour survivre, la réticence masculine à partager un pouvoir lui revenant de facto depuis des siècles. « La Tunisie a acquis un statut particulier et a connu une participation féminine supérieure à d’autres pays, a souligné Malika Horchani. En 1994, quand la pluralité politique a été consacrée, le taux de femmes au Parlement a atteint 10%. Il y a eu quelques nominations exceptionnelles à des postes habituellement réservés aux hommes. Mais était-ce un progrès par rapport aux deux autres pays du Maghreb ? » Des progrès illusoires, a conclu Mme Horchani. « Il s’agissait principalement de nominations servant les intérêts des hommes politiques et susceptibles de redorer leur blason auprès des Occidentaux, a-t-elle constaté. Cela ne reflétait pas un changement en profondeur des habitudes sociales. Au sein des bureaux exécutifs des syndicats et des partis, la présence des femmes oscille entre 0 et 1 %. Au niveau des élections, il n’y a pas eu de réels progrès. » Les habitudes ont la vie dure. C’est ce que Fehmieh Charafeddine, du Comité civil de suivi des affaires féminines, n’a pu que constater. « Au Liban, même si notre démocratie se porte bien par comparaison avec d’autres pays arabes, et malgré des lois qui donnent aux femmes leurs pleins droits politiques et électoraux, celles-ci ne sont toujours pas représentées de façon adéquate sur la scène politique, a-t-elle noté. Les législations sont importantes mais pas suffisantes pour une réelle remise en question des rôles traditionnels des hommes et des femmes. Il faut des modifications essentielles dans les comportements sociaux et un renouvellement des mentalités, une nouvelle philosophie. » Une des participantes au congrès a ultérieurement fait remarquer que l’important n’était pas de prétendre à la démocratie, mais de la pratiquer vraiment. Une autre a souligné « l’absence de philosophie(s) féministe(s) dans notre partie du monde ». Par ailleurs, pour montrer que la nature du système politique n’avait pas nécessairement d’impact direct sur la participation féminine à la vie publique, Mme Charafeddine a indiqué que les taux de femmes aux Parlements respectifs du Liban et de la Jordanie étaient similaires et tournaient autour de 3,4 %. Or le Liban est une république parlementaire et la Jordanie a toujours été une monarchie, les Libanaises ont obtenu leurs droits civiques depuis 1953 alors que les Jordaniennes n’ont commencé à participer aux élections qu’en 1997… Que serait une loi électorale plus juste ? Prenant le relais lors de la seconde session, Fadia Kiwan, vice-recteur de la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, a passé en revue tout ce qui, dans le système actuel libanais et les multiples lois électorales, faisait obstacle à une avancée des femmes. Des données qui tiennent compte de toute la complexité de la formule libanaise. « D’une part, le système patriarcal en vigueur ne laisse aucune place à la femme, à laquelle on ne donne sa chance que par élimination, ou sous condition qu’elle adopte le même style politique que les hommes, a-t-elle souligné. D’autre part, le système confessionnel, qui rejoint les caractéristiques du patriarcat, favorise la mentalité selon laquelle le fait de garantir les intérêts du groupe doit prévaloir sur tout le reste. Dans ces conditions, il est normal qu’on préfère confier cette tâche à un homme, qui représentera la famille au sein de la communauté. Quand, dans des circonstances exceptionnelles, c’est la femme qui occupe le poste, elle devra servir, elle aussi, les intérêts du groupe, sans pouvoir se consacrer à l’intérêt public. » Mme Kiwan a alors noté que les partis seraient le seul cercle où la femme pourrait briser le système qui l’exclut. « Or les partis politiques sont nombreux mais pas assez puissants et actifs pour constituer des élites, a-t-elle ajouté. Dernier facteur qui garde la femme au second plan, l’influence grandissante de l’argent qui occupe désormais une place primordiale en politique, les grandes fortunes n’étant généralement pas entre les mains des femmes ». Quelle loi électorale pour une plus grande justice dans la représentation ? Mme Kiwan, qui dénonce les modifications de la loi à chaque échéance, fait la proposition suivante : combiner les circonscriptions uninominales et la circonscription unique dans un système à deux tours de scrutin. « La circonscription uninominale donne moins d’ampleur que les autres aux facteurs familiaux, confessionnels et économiques, elle facilite la compétitivité, vu que le candidat peut communiquer plus facilement et en personne avec ses électeurs, a-t-elle expliqué. Au second tour, les élus du premier seront obligés de former des alliances politiques et donc de sortir de leur enfermement. Cela pourrait favoriser les alliances interconfessionnelles, les coalitions sur base d’un programme, peut-être même la recrudescence du rôle des partis. Un tel système pourrait présenter des avantages non seulement pour les femmes, mais pour quantité d’hommes qui n’ont pas aujourd’hui leur chance. » Pas de changement sans modification des mentalités Et le système des quotas ? « Dans tous les pays, ce système a été implanté un jour ou l’autre, mais il s’est avéré qu’il n’assure pas la qualité de la représentation s’il ne reflète pas des modifications profondes dans les mentalités, a souligné Samia al-Hadi al-Nager, de l’Association des initiatives féminines soudanaise. Dans beaucoup de cas, des femmes élues sur base de quotas n’étaient pas intéressées par l’émergence de leurs consœurs sur la scène publique. » C’est Mme al-Nager qui a également évoqué, comme principal obstacle à une avancée des femmes (notamment au Soudan, en Égypte et au Yémen, pays sur lesquels portait sa conférence), la « conceptualisation du rôle des femmes, le cadre socioculturel dont il leur est difficile de sortir ». Elle a également dénoncé « la désinformation qui met en évidence les femmes dans les postes avancés sans vraiment se soucier de la grande majorité des anonymes ». Mais les conférences ne se sont pas limitées à dénoncer le mal, des solutions ont été proposées. Afin de faire progresser la situation, Amal Mahmoud, du Forum de développement des femmes d’Égypte, a suggéré de modifier les législations et de supprimer les différents obstacles juridiques, de faire des droits de la femme une priorité pour les institutions et les partis, de combattre l’analphabétisme, de changer les programmes scolaires, d’introduire les notions précitées dans les médias. « La résistance des hommes à accorder leur place aux femmes étant un acte politique, il faut y faire face par un acte politique, c’est-à-dire par le militantisme, a affirmé Mme Horchani. Les femmes ne doivent pas s’exclure des lieux où s’élaborent les politiques, et elles doivent s’intégrer dans les partis. » Enfin, comme l’a fait remarquer Mme Charafeddine, « la longue route est entamée, même si nous sommes loin du but ». Suzanne BAAKLINI
Qu’est-ce qui empêche les femmes, notamment dans les pays arabes, de s’impliquer davantage en politique ? Les facteurs socioculturels ? Le taux d’alphabétisation encore insuffisant ? Les portes des institutions qui leur sont toujours fermées ? Les législations discriminatoires ? C’est sur ces questions qu’ont planché durant deux jours d’éminentes chercheuses de divers pays...
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