Actualités - CHRONOLOGIE
LIVRES « Les Enfants de la louve » de Georges N. Rubeiz
Par ZEIN RAMY, le 15 avril 2002 à 00h00
Résumer Les Enfants de la louve (éditions FMA 2001. 176 pages) serait réduire à quelques notes isolées une tonitruante et joyeuse polyphonie orchestrale. Ce deuxième roman de Georges Rubeiz ne connaît aucun temps mort. On n’y trouvera ni analyses psychologiques fouillées, ni descriptions simoniennes du réel, mais une vertigineuse cavalcade où s’entremêlent allègrement aventures rocambolesques, situations cocasses, scènes de vaudeville, dialogues enlevés, personnages haut en couleur, périples à travers le monde... Même les événements historiques, omniprésents dans l’ouvrage, y prennent des allures de péripéties romanesques. L’écriture du livre est à l’avenant : pétulante, vive, alerte. Georges Rubeiz ne craint pas d’employer des termes argotiques, des locutions familières ou populaires, des tournures grammaticales empruntées au langage parlé, des contractions ludiques à la Queneau : «kèskevouv’nez foutre», «Kestudilà»... Les licences formelles de Rubeiz semblent refléter la réalité chaotique et absurde du Liban, au même titre – toutes proportions gardées – que les turbulences syntaxiques et les transgressions verbales d’un Ghassan Fawaz(1). Léger dans son expression, sa tonalité gouailleuse, son enchaînement trépidant d’épisodes burlesques, Les Enfants de la louve n’en est pas pour autant un livre futile. Derrière l’apparente légèreté de cet ouvrage se profilent plusieurs des caractéristiques historiques, sociopolitiques ou culturelles qui fondent et définissent l’identité libanaise. Les Enfants de la louve abonde notamment en indications relatives à la mentalité et aux mœurs des Libanais. Un exemple parmi d’autres : à travers les parcours et les réflexions de ses protagonistes, le roman de Georges Rubeiz illustre les valeurs que les Libanais aiment à se reconnaître, à savoir la débrouillardise, le dynamisme, le sens de la fête (la «nouba» dit Rubeiz), l’esprit d’entreprise... Autant de «qualités» dont le romancier nous laisse entrevoir les revers au fil de son récit, qu’il s’agisse de la roublardise, de l’incivisme, de la versatilité, ou bien sûr, de la vénalité, source, aux yeux de Georges Rubeiz, de tous les malheurs du Liban. Ajoutons à cela l’arrière-plan historique du livre, et surtout les commentaires politiques que fait l’écrivain par le truchement du narrateur ou des personnages. Comme dans son précédent roman, L’Enfant et la ville(2), Rubeiz s’attache en particulier à souligner la responsabilité collective de ses compatriotes dans le naufrage de leur pays. De même qu’il dénonce le marketing idéologique, l’opportunisme politicien, le confessionnalisme, la perversion de la démocratie... Les évocations du vieux Beyrouth sous la plume de Rubeiz retiennent également l’attention, même si Les Enfants de la louve demeure, à cet égard, en deçà de l’apport documentaire de L’Enfant et la ville. Autre axe de signification qui traverse le roman : les deux principaux personnages du livre, Mich et Michel, semblent incarner le destin de leur pays. Tous deux sont nés à quelques jours d’intervalle en 1920, soit l’année même où fut proclamé le Grand-Liban. Michel est orthodoxe ; Mich maronite. Le premier fut circoncis, suivant la tradition musulmane ; pas le second. L’un et l’autre s’éteignirent à la fin de la guerre libanaise, sans laisser de descendance, sans même s’être mariés, après une existence placée sous le signe de l’hédonisme, de l’improvisation, de la «combine», de la prodigalité, mais aussi de la solidarité fraternelle envers et contre tout... Est-il besoin d’insister davantage sur cette dimension allégorique du récit ? Roman sans prétention, Les Enfants de la louve est un livre plaisant où Georges Rubeiz parvient à transcender par l’humour une réalité souvent tragique. Jankélévitch a mis en évidence le pouvoir libérateur et salutaire de l’ironie, qui «nous présente le miroir concave où nous rougissons de nous voir déformés, grimaçants» et «nous apprend à ne pas nous adorer nous-mêmes». Qu’on ne fasse pas la moue devant les grimaces de Mich et Michel. Ces grimaces sont les nôtres. Ramy ZEIN* * Docteur ès lettres, enseignant universitaire, auteur du Dictionnaire de la littérature libanaise de langue française. (1) Les Moi volatils des guerres perdues, Paris, Seuil, 1996, et Sous le ciel d’Occident, id., 1998. (2) Beyrouth, Éditions Dar an-Nahar, 1996.
Résumer Les Enfants de la louve (éditions FMA 2001. 176 pages) serait réduire à quelques notes isolées une tonitruante et joyeuse polyphonie orchestrale. Ce deuxième roman de Georges Rubeiz ne connaît aucun temps mort. On n’y trouvera ni analyses psychologiques fouillées, ni descriptions simoniennes du réel, mais une vertigineuse cavalcade où s’entremêlent allègrement aventures...
Les plus commentés
BDL : le jeu dangereux de Joseph Aoun
Naïm Kassem : La résistance continue par sa présence et sa sagesse
Législatives et Sénat au Liban : ce qu'il faut savoir sur les propositions de loi de Hassan Khalil