Actualités - REPORTAGE
SOCIÉTÉ - Les étudiants de l’USJ se mobilisent contre la concurrence illicite Marché-sur-campus pour soutenir l’agriculture libanaise Abdel-Hafiz Naamani : « Les problèmes ne peuvent être résolus qu’à travers une complémentarité avec la Syrie »(photos)
Par MERHI Nada, le 18 mars 2002 à 00h00
Le décor du campus des sciences sociales de l’Université Saint-Joseph a changé l’espace d’une journée, pour porter les couleurs des fruits et légumes «libanais». Et pour cause ! L’amicale du campus des sciences sociales de l’université a décidé d’organiser une journée de solidarité avec les agriculteurs libanais pour manifester sa sympathie à ce secteur qui ne bénéficie pas, selon elle, du soutien du gouvernement. À partir de la porte nord du campus, deux jeunes gens accueillent étudiants, enseignants et visiteurs et les invitent gentiment à signer la pétition de solidarité avec les agriculteurs. Quelques mètres plus loin, les produits agricoles achetés plus tôt (à 7h du matin) aux Halles de Sin el-Fil, et destinés à être vendus, sont soigneusement étalés. Concombres, tomates, laitues, menthe, thym, radis, petit pois, citrons, fraises, bananes, pommes, oranges et clémentines… vraiment l’embarras du choix. «La marchandise est libanaise, le vendeur est libanais, les bénéfices sont libanais», «Fièrement produits au Liban»… Bien affichés sur des panneaux, ces slogans accompagnent une exposition de photos sur l’agriculture qui sert d’arrière-plan au campus-marché. «La majorité des étudiants a été mobilisée pour soutenir la cause des agriculteurs libanais», explique Nicole Khoury, chargée des affaires sociales à l’amicale. «Ils ont tout acheté et nous avons été obligés de renouveler notre stock, notamment celui des fraises. Certaines mères ont même appelé leurs enfants et leur ont passé leurs commandes, d’autres se sont déplacées jusqu’ici pour choisir leurs légumes et fruits sur place». Elle poursuit : «Nous ne prétendons pas, à travers cette journée, pouvoir aider tous les agriculteurs du Liban ou parer aux problèmes qu’ils affrontent. Nous voulons juste leur dire que nous les soutenons». Un discours monolithique L’enthousiasme de la journée devait pourtant s’achever sur une note décevante. Le débat à trois voix sur les difficultés de l’agriculture libanaise, auquel étaient conviés Abdel Hafiz Naamani, conseiller du ministre de l’Agriculture, Wadih Haddad, agriculteur et journaliste à L’Orient-Le Jour, et Joseph Moussallem, commerçant de produits agricoles et vice-président du conseil d’administration de la Coopérative des grossistes en produits agricoles des Halles de Sin el-Fil, s’est vite transformé en monologue. M. Naamani a pratiquement monopolisé le débat énumérant fièrement les projets d’avenir du ministère et ne tarissant pas d’éloges envers «l’appui constant de la Syrie au Liban, à tous les niveaux», rappelant, par exemple, que des hélicoptères syriens ont été utilisés pour circonscrire les incendies de forêts et pulvériser des insecticides dans les régions menacées. «L’agriculture s’est développée partout dans le monde alors que le Liban était pris dans la tourmente», affirme M. Naamani. «Les agriculteurs se sont imaginés que, pour parer à cette situation, le gouvernement allait créer des bureaux d’orientation agricole : vingt-quatre au total en fonction des vingt-quatre cazas».Or, selon M. Naamani c’est une conception totalement fausse car l’orientation agricole est une science en soi et malheureusement le Liban ignore tout de cette science. «J’ai travaillé pendant plusieurs années en Arabie saoudite dans une ferme dont la production agricole dépassait à elle seule toute la production des agriculteurs libanais réunis», confie-t-il. «Mon équipe était formée de cinq personnes. À nous seuls, nous écoulions facilement toute la production. Parce que nous avions une vision». Il poursuit : «Le ministère libanais de l’Agriculture a cette vision», assure M. Naamani. «Il œuvre actuellement à la préparation de brochures propres à chacun des secteurs agricoles. Ces livrets seront distribués par la suite aux ingénieurs agricoles, qui s’occuperont de l’orientation». Ces brochures sont préparées en coopération avec la Fao et selon un zoning qui consiste à diviser le Liban en régions agricoles, en spécifiant les cultures adaptées à chaque région : bananes et agrumes à Saïda, culture maraîchère et floriculture à Jbeil, etc. «De cette façon, les ingénieurs agricoles pourront s’occuper de la culture prépondérante dans chacune des régions tout en ne négligeant pas les cultures secondaires», souligne M. Naamani qui affirme que les bureaux d’orientation agricoles seront certainement créés mais qu’il faudrait terminer auparavant les études nécessaires. Ce projet verra le jour, selon le conseiller du ministre de l’Agriculture, en juin 2003. Parlant de la faune, M. Naamani assure que «la santé des Libanais a toujours été préservée». C’est un secteur facile à contrôler «d’autant qu’il ne comprend que les ovins et les bovins, notre pays n’étant pas riche en porcins». «En ce qui concerne l’élevage des volailles l’État ne s’en mêle pas car il est privé. Et le secteur privé défend ses intérêts mieux que le secteur public ne saurait le faire»., note-t-il. L’industrie agroalimentaire : un atout pour l’agriculteur «Cessons de suivre la politique de l’autruche», insiste M. Naamani en parlant de la concurrence. «Il faut que vous sachiez que dans trois ans les barrières douanières tomberont et les pays suivront le régime du libre-échange. En tant que Libanais, nous allons disparaître si nous n’agissons pas vite», remarque-t-il. Et de poursuivre : «Le problème de la concurrence illicite est une chose ordinaire entre deux pays voisins. Ce problème se pose entre le Paraguay et le Brésil, entre les Etats-Unis et le Canada, entre l’Italie et la France. Naturellement, il va continuer à exister entre le Liban et la Syrie». M. Naamani rassure toutefois l’audience en expliquant que cette concurrence n’englobe pas tous les produits agricoles. «Vous devez également savoir que le coût des produits illicites est beaucoup plus cher que celui des produits locaux», explique-t-il. «Si nous ne pouvons donc pas faire face à ce commerce c’est que le problème est chez nous». Mais, comme toujours, le gouvernement a les choses bien en main… Il a posé donc des solutions à long terme. Il s’agit en premier lieu de baisser le coût de la production et de changer les cultures qui sont actuellement pratiquées. «Nous devons cultiver les produits qui constituent une valeur ajoutée, telles que les pommes de terre», souligne-t-il. «Nous allons également établir les barrières non tarifaires qui consistent à appliquer des spécifications précises et propres aux produits agricoles libanais. Pour cela nous avons copié les modèles britannique et japonais qui sont les deux marchés les plus difficiles à conquérir dans le monde. Mais évidemment la réalisation de ce projet nécessite du temps et un énorme travail». M. Naamani souligne par ailleurs que l’avenir agricole du Liban est dans le Food Processing Industry (l’industrie agroalimentaire), tels que le vin, le pop corn, les chips, les corn flakes, etc. Il assure dans ce cadre que les chips libanais ont déjà envahi le marché jordanien. «Nous n’avons aucun problème pour écouler nos produits», constate-t-il. «Je vous assure que sur le plan de la technologie et du marketing nous sommes les as de la région. Et parer au problème de la concurrence illicite nécessite en premier lieu une complémentarité agricole avec la Syrie et la signature de protocoles avec la Jordanie». Un secteur en agonie Face à cet exposé et ce tableau idyllique de l’agriculture libanaise, M. Wadih Haddad est intervenu pour inviter l’audience, sur un ton mi-figue mi-raisin, à abandonner ses études et à s’adonner à l’agriculture, «ainsi pourra-t-elle au moins assurer son avenir». «Messieurs, l’agriculture au Liban agonise parce que le gouvernement n’estime pas que le Liban est un pays agricole», affirme-t-il. «L’aide que le gouvernement a déjà accordé ou se propose d’accorder sur le plan agricole ne touche, en fait, que de richissimes commerçants qui peuvent se permettre d’acheter toute la récolte de fruits pour l’exporter. Mais les petits agriculteurs qui se sont endettés auprès des banques pour monter un projet agricole se trouvent sans soutien et sont soumis à des taux d’intérêt quasi usuriers». S’adressant à M. Naamani, il poursuit : «Vous avez dit que la solution aux problèmes de la concurrence illicite nécessite une complémentarité agricole avec la Syrie, qui nous aide à tous les niveaux. Si elle offre effectivement l’aide que vous avez décrit, rattachons alors le Liban à la Syrie, au titre de mohafazat, et oublions donc l’existence de ce pays !» Et d’ajouter : «Le gouvernement répète ce même discours prometteur depuis des années et jusqu’aujourd’hui nous n’avons reçu aucune aide de sa part». Quant à M. Joseph Moussallem, il a indiqué que le seul remède à la concurrence illicite consiste à apprendre à «acheter libanais». Reprenant la parole, M. Naamani a conclu le débat en expliquant que le ministère de l’Agriculture est en train d’établir une loi-programme qui obligerait les ministres à s’y conformer, dans l’intérêt de l’agriculteur, puisqu’à chaque fois qu’il y a changement de ministère, «nous perdons six mois à nous retrouver parmi les dossiers». En attendant les «futures réalisations» du ministère, les agriculteurs continuent à délaisser leurs terres. Ceux d’entre eux qui refusent de baisser les bras se retrouvent dans la misère, pris entre l’indifférence du gouvernement et les intérêts bancaires rédhibitoires. Mais comme dirait Pangloss : «Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles». Pétition en faveur des agriculteurs Dans le cadre de la journée de solidarité avec les agriculteurs libanais, l’amicale du campus des sciences sociales de l’Université Saint-Joseph, a fait signer aux étudiants, enseignants et visiteurs du campus une pétition d’appui aux agriculteurs. Cette pétition d’appui aux sur laquelle plusieurs centaines de personnes ont apposé leur signature sera envoyée au ministère de l’agriculture. Voici le texte de la pétition : «Nous, étudiants de l’Université Saint-Joseph, demandons à l’État libanais d’assurer le minimum de droits et de protection aux producteurs agricoles libanais par le biais de législations adéquates et par la révision des accords bilatéraux avec la Syrie en matière agricole afin qu’ils puissent prétendre à une vie plus décente». Nada MERHI
Le décor du campus des sciences sociales de l’Université Saint-Joseph a changé l’espace d’une journée, pour porter les couleurs des fruits et légumes «libanais». Et pour cause ! L’amicale du campus des sciences sociales de l’université a décidé d’organiser une journée de solidarité avec les agriculteurs libanais pour manifester sa sympathie à ce secteur qui ne bénéficie...
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