Actualités - OPINION
Regard - Fouad Naïm : techniques mixtes La confusion des genres
Par TARRAB Joseph, le 11 mars 2002 à 00h00
Journaliste, metteur en scène reconverti à la peinture, Fouad Naïm rappelle qu’il n’est pas d’âge pour décider de changer de cap. À 65 ans, Olga Limansky n’avait pas encore touché un pinceau. Avocat pénaliste à succès, Sami Rifaï décide à 45 ans de devenir à la fois pépiniériste, peintre et sculpteur. La vocation tardive est-elle un avantage ou un inconvénient ? L’expérience acquise dans d’autres domaines est-elle pertinente, peut-elle être investie dans la nouvelle activité ou reste-t-elle non monnayable ? Transporte-t-on d’un métier à l’autre des manières de voir, de penser, de faire ? Ou doit-on se forger, peu à peu, de nouvelles voies neuronales, de nouvelles connexions cérébrales, de nouvelles possibilités d’intelligence émotionnelle jusqu’ici inconnues ? Le cas Limansky tendrait à montrer qu’une totale fraîcheur de perception peut être récupérée à tout âge et que cette récupération dépend de l’adoption d’un nouveau moyen d’expression. Le handicap du manque de formation académique compte peu devant la force de conviction du nouveau converti. Tentative d’intégration Dans le cas de Fouad Naïm, sa familiarité avec la peinture arabe, notamment irakienne, et sa connaissance de la peinture moderne constituaient une propédeutique suffisante à sa démarche personnelle qui tente d’intégrer autant que faire se peut ses acquis culturels. Cette tentative d’intégration est peut-être ce qui trahit le plus le néophyte chez lui. Multiplier les techniques, les matières, les traitements, les signes, les symboles les couleurs, comme si l’on cherchait à tout dire, exprimer, montrer et démontrer d’un seul coup est une tentation quasi irrésistible quand on n’est pas encore totalement maître de son art. Le maître n’a rien à démontrer et, à la limite, rien à montrer, rien à dire, rien à exprimer : il lui suffit de laisser une ligne, une simple ligne parler pour lui en parlant pour elle-même. Fouad Naïm cherche dans l’accumulation ce qui ne se trouve que dans le dépouillement. Mille grimoires couverts d’empâtements, de matières mixtes, de couleurs, d’écritures arabes de pictogrammes, de hiéroglyphes ne rendent pas le message plus lisible ni plus visible qu’une seule lettre de l’alphabet tracée comme il le faut, là où il le faut dans le champ de la toile de façon à se charger d’une puissante alchimie esthétique. Le mystère de la forme Certes, parvenir à cette maîtrise est le privilège de ceux qui savent se délester de leurs armes et bagages pour entrer les mains vides dans l’arène et prendre le taureau par les cornes, sans autre forme de procès. Peu y parviennent, il est vrai, car peu arrivent à pénétrer le mystère de la forme, le secret de sa pureté originelle qui dit le plus avec le moins. Fouad Naïm semble vouloir, par une sorte de stratification archéologique, renouer avec le passé culturel oriental, comme si ce passé commun comportait, en lui-même, des réponses adéquates aux perplexités et interrogations actuelles sur l’identité, la voie, la vie, la vérité, l’illusion. Dans certaines œuvres, il cherche à remonter en amont, vers des stades primitifs, africains, de la culture à travers des visages stylisés en masques dédoublés, symétriques, disposés en rangs et en colonnes. Là aussi, la combinaison de registres différents cherche à embrasser d’un coup des démarches contradictoires, celle qui repose sur la forme et celle qui repose sur l’écriture. Mais elles ne sont pas véritablement intégrées : elles sont mises ensemble sans possibilité de transcender le fossé entre la forme issue de la réalité concrète extérieure et l’écriture issue de la réalité abstraite intérieure. Supprimer le problème Fossé que n’ont jamais réussi à combler les «houroufistes» orientaux ; la forme reste forme, même réduite à l’expression congrue, et le signe, même étoffé, reste signe. Tout au plus l’un peut-il servir de contexte, de fond ou de décor à l’autre, sans conciliation novatrice. D’où l’aspect souvent feuilleté d’œuvres qui tentent de résoudre un problème esthético-philosophique sans solution. La seule issue étant de supprimer le problème en optant carrément soit pour l’écriture, avec ses normes, soit pour le monde, avec ses formes. Jamais la tradition orientale authentique n’avait entrepris de mélanger les deux. Même dans la miniature, où ils figurent ensemble, l’écriture reste confinée dans des cartouches ou des cases où elle se déploie à l’aise. La confusion des genres n’est pas une simple confusion esthétique : c’est le signe d’une confusion des valeurs, des sentiments et des esprits, d’une civilisation déglinguée en perte de repères et en panne de dynamique créateur face à une autre civilisation en phase d’offensive hégémonique. L’intérêt de cette troisième exposition de Fouad Naïm est de mettre en lumière ces contradictions qui ont mené une grande partie de la peinture arabe dans l’impasse. Et cela d’autant plus que la peinture libanaise fournit rarement pareille occasion, étant peu portée à ces jeux combinatoires. (Galerie Épreuve d’artiste). Joseph TARRAB
Journaliste, metteur en scène reconverti à la peinture, Fouad Naïm rappelle qu’il n’est pas d’âge pour décider de changer de cap. À 65 ans, Olga Limansky n’avait pas encore touché un pinceau. Avocat pénaliste à succès, Sami Rifaï décide à 45 ans de devenir à la fois pépiniériste, peintre et sculpteur. La vocation tardive est-elle un avantage ou un inconvénient ? L’expérience acquise dans d’autres domaines est-elle pertinente, peut-elle être investie dans la nouvelle activité ou reste-t-elle non monnayable ? Transporte-t-on d’un métier à l’autre des manières de voir, de penser, de faire ? Ou doit-on se forger, peu à peu, de nouvelles voies neuronales, de nouvelles connexions cérébrales, de nouvelles possibilités d’intelligence émotionnelle jusqu’ici inconnues ? Le cas Limansky tendrait à...