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Ghassan Ghosn : La centrale syndicale est à l’image du pays (PHOTO)
Par HADDAD Scarlett, le 01 mars 2002 à 00h00
Le bâtiment est immense mais désert. Contrairement à la situation sur le terrain, où plus de quatre mille travailleurs défilent dans la rue. D’avoir emménagé dans un siège principal impressionnant ne suffit visiblement pas à donner un nouveau souffle à la CGTL, ni surtout à dissimuler ses divisions. Un gardien solitaire au rez-de-chaussée, quelques vieux syndicalistes bavardant nonchalamment au second étage, l’atmosphère ressemble à tout sauf à un lieu de rencontres syndical. M. Ghassan Ghosn, président de la centrale depuis moins d’un an, commente : «La CGTL est à l’image du pays. Mais nous faisons de notre mieux pour obtenir quelques acquis dans le pragmatisme et la négociation. Nous ne faisons pas de politique, nous voulons améliorer la situation des travailleurs». Il est 11 heures et le soleil tape fort à travers les vitres de l’immense bureau du président de la CGTL. Au début, Ghassan Ghosn balaie d’un geste négligeant la manifestation qui doit démarrer incessamment à Wata Mousseitbé, à l’appel de trois fédérations sur 37 membres de la centrale. Mais au fur et à mesure que les coups de fil lui parviennent, il change de ton. C’est que, contrairement aux pronostics de ses partisans, la «manif» réunit plusieurs milliers de personnes et semble indiquer une profonde scission au sein de la CGTL. Surtout que M. Ghosn lui-même reconnaît que la manifestation à laquelle avait appelé la centrale le 27 septembre dernier n’avait regroupé que 4 000 personnes. « Une question politique » Six fédérations seraient-elles donc plus populaires que l’ensemble de la centrale ? «C’est une question politique, répond M. Ghosn. Tout le monde sait que ce sont les fédérations communistes qui ont appelé à cette manifestation dirigée contre le gouvernement. Mais qu’est-ce que plusieurs milliers de manifestants ? À l’âge d’or de l’action syndicale, la moindre manifestation mobilisait 50 000 personnes». Il y a donc eu un plan de neutralisation systématique de la CGTL depuis 1994 ? «Non, il y a surtout le fait que la CGTL est à l’image du pays. Où sont les partis, où est la classe politique, où est la société civile ? D’être restés 15 ans dans les abris a totalement modifié la mentalité des Libanais. Ils ne se mobilisent plus comme avant et la moindre action est politisée. Ce que nous essayons de faire maintenant, c’est justement de dépolitiser la CGTL pour que notre action redevienne purement revendicatrice. Notre rôle n’est pas de faire chuter le gouvernement et de briguer sa place, ce qui ferait le jeu du pouvoir. Nous voulons simplement améliorer la situation des travailleurs. Nous avons des revendications précises et un plan d’action. Mais nous ne pouvons pas empêcher les syndicalistes d’être politisés, comme l’ensemble des Libanais». Justement, votre plan ne paraît pas clair et on a l’impression que la CGTL ne fait rien ou ne peut rien faire. «Nous avons en tout cas pu obtenir une hausse indirecte des salaires avec le relèvement des frais de déplacement et l’augmentation des bourses scolaires. C’est le premier acquis depuis 1996. Nous aurions pu continuer à réclamer une hausse de 40 % des salaires et continuer à descendre dans la rue pour crier en vain nos revendications. Nous avons préféré agir avec pragmatisme, en choisissant la voie du dialogue et de la négociation. Nous sommes loin de nos aspirations, mais une petite amélioration vaut mieux que rien du tout et nous poursuivrons notre lutte. C’est un combat qui ne se terminera jamais. Si d’ici à un mois, nous n’obtenons pas gain de cause au sujet de la CNSS et sur l’adoption d’un système d’indemnités et de protection sociale, nous reprendrons notre action». « Il n’y a pas de scission » Mais une grève annulée à la suite de si petits acquis, des menaces de manifestations non suivies, cela ne décrédibilise-t-il pas la CGTL ? «Si nous avions lancé un ordre de grève boycotté par les partis et si nous avions exposé nos revendications sans que le gouvernement n’y réponde, est-ce notre faute ? Qu’aurions-nous dû faire ? Tuer les dirigeants ? Nous pensons agir avec sagesse, dans l’intérêt des travailleurs. C’est très facile d’appeler à une manifestation, de prononcer des discours enflammés et de ne rien obtenir en contrepartie, tout en faisant le jeu du pouvoir et de transformer la manifestation en occasion pour les mécontents de se défouler. Nous préférons obtenir petit à petit des mesures concrètes, sans faire des éclats. Même si nous gardons la possibilité de recourir à des grèves et des manifestations en temps voulu. La décision d’appeler à une grève est en elle-même une action. La preuve, c’est que le gouvernement a réagi». Ne risque-t-il pas de revenir sur ses promesses à la suite de la manifestation à laquelle ont appelé certaines fédérations ? «Je ne crois pas. Le président du Conseil ne remettra pas en cause l’accord auquel nous avons abouti. De toute façon, cette manifestation ne le dérange pas. Ce qui le gênait, c’est que les journaux titrent le lendemain : la CGTL manifeste contre le gouvernement». Et si les journaux titrent sur la scission au sein de la CGTL ? «Il n’y a pas de scission. Si, à chaque fois qu’il y a des divergences dans les points de vue, on parle de scission, tous les couples devraient divorcer. Ces trois fédérations ont une position hostile au gouvernement et elles ont tenu à l’exprimer dans la rue. C’est leur affaire, mais nous ne prendrons aucune mesure contre elles. Notre priorité étant de dépolitiser autant que possible les revendications syndicales et de redonner à la CGTL son véritable rôle». On a surtout l’impression que la CGTL est désormais sous la coupe d’Amal et que vous n’avez en réalité aucun pouvoir... «Sincèrement, je n’ai pas cette impression. Si c’était vrai, lorsque le président de la Chambre et le Premier ministre étaient en conflit, la CGTL serait descendue dans la rue et aurait cherché à renverser le gouvernement. Or, cela n’a pas été le cas. La CGTL cherche justement à ne plus être que sous la coupe des travailleurs et moi-même je suis un travailleur comme les autres. Je suis employé à la TMA et je touche un salaire d’un million et demi de livres. C’est dire que mon souci est comme celui de millions de travailleurs de pouvoir joindre les fins de mois et faire vivre décemment ma famille». Après l’augmentation des frais de déplacement et celle des bourses scolaires, la CGTL restera donc calme un moment. Mais elle attend la suite des événements. Dans un mois, le problème de la Sécurité sociale devra être réglé et ensuite il faudra passer à la question des privatisations. «Si, par le biais de cette opération, des travailleurs se retrouveront au chômage, nous sévirons. Nous ne pouvons pas nous taire et nous comptons d’ores et déjà réclamer une caisse pour le chômage». Le printemps sera donc chaud ? «C’est une lutte qui n’aura jamais de fin...». Scarlett HADDAD
Le bâtiment est immense mais désert. Contrairement à la situation sur le terrain, où plus de quatre mille travailleurs défilent dans la rue. D’avoir emménagé dans un siège principal impressionnant ne suffit visiblement pas à donner un nouveau souffle à la CGTL, ni surtout à dissimuler ses divisions. Un gardien solitaire au rez-de-chaussée, quelques vieux syndicalistes bavardant nonchalamment au second étage, l’atmosphère ressemble à tout sauf à un lieu de rencontres syndical. M. Ghassan Ghosn, président de la centrale depuis moins d’un an, commente : «La CGTL est à l’image du pays. Mais nous faisons de notre mieux pour obtenir quelques acquis dans le pragmatisme et la négociation. Nous ne faisons pas de politique, nous voulons améliorer la situation des travailleurs». Il est 11 heures et le soleil tape fort...
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