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Actualités - REPORTAGE

COOPÉRATION - Lorsque le politique se confond avec l’humanitaire, les obstacles peuvent parfois rapidement tomber Le Liban-Sud sera bientôt libéré du fléau des mines(photos)

Quatorze gouvernements donateurs dont l’Union européenne, cinq ONG internationales et une dizaine d’associations locales s’intéressent de près ou de loin au problème des mines qui infestent le Liban-Sud. Des centaines de personnes sont mobilisées depuis plusieurs années, pour essayer de remédier à ce qui est devenu une véritable plaie qui empoisonne la vie des gens et paralyse tout projet de reconstruction et de développement. Malgré les efforts déployés par les différents partenaires sur le terrain pour trouver une solution rapide à ce problème, les victimes continuent de tomber sur les champs de mines. Depuis le retrait de l’armée israélienne en mai 2000 jusqu’au 5 février dernier, le nombre des victimes s’est élevé à 140, dont 22 tués. Ce sont souvent des enfants qui sont «piégés» par les mines, parfois même des agriculteurs ou des femmes travaillant dans les champs. Une campagne nationale de prévention et de mise en garde des populations locales a été lancée depuis 1997 par un collectif d’ONG. Son efficacité reste toutefois sujette à une véritable prise de conscience collective du danger que représente l’existence des champs de mines et ce qu’on appelle les engins piégés. «La campagne de conscientisation est déjà effective depuis plusieurs années. Elle touche toutes les catégories de la population, tous les âges confondus», explique Habouba Aoun, coordinatrice du Centre de ressources des mines qui relève de l’Université de Balamand. «Mais dans la mesure où l’on s’adresse à une population qui a connu 20 années de guerre, et qui a été quotidiennement exposée au risque, il est très difficile de convaincre les habitants d’éviter le danger. Le goût du risque fait partie de leur culture maintenant», explique Habouba Aoun. Rassembler des informations, faire connaître le problème dans toutes ses dimensions et cerner son ampleur en définissant ses conséquences économiques et sociales, tels sont les objectifs des recherches entreprises par le centre de Balamand. Le Centre des ressources des mines, qui possède le statut d’une ONG, coordonne son action, depuis plusieurs années déjà, avec les organisations locales dans un effort conjoint de promouvoir au sein de la population locale une attitude prudente par rapport aux engins non identifiés. Conférences, interventions, distribution de tracts et contacts personnels avec les habitants ont alimenté la campagne de promotion orchestrée par le Bureau national de déminage (BND) de l’armée libanaise. «La mission première du Bureau est d’ordre humanitaire, explique le directeur du BND, le général Georges Sawaya, chargé de coordonner toutes les activités de ce Bureau. Outre les opérations de déminage que l’armée libanaise mène en dehors des zones affectées aux donateurs et l’assistance aux victimes, le Bureau national de déminage agence en outre la gestion de l’aide internationale ainsi que la campagne de sensibilisation». «À ce titre, nous avons même prévu une formation spéciale pour tous les membres de la société civile qui travaillent sur le terrain dans le cadre de cette campagne. Il fallait que le langage soit adapté en fonction d’une communication bien ciblée selon les groupes d’âge», précise le général Georges Sawaya. Si, malgré les multiples campagnes organisées, certains accidents sont encore inévitables, cela est principalement dû à l’inconscience des gens, explique ce haut responsable de l’armée. Dernier exemple en date : un villageois qui est entré la semaine dernière dans un champ de mines malgré la signalisation prévenant des risques à encourir. «Il a fallu l’intervention de la Finul et des démineurs de l’armée libanaise pour le faire sortir», explique le responsable du BND. Le général Sawaya relève un autre aspect du problème qui est l’absence de clôtures autour des champs de mines déjà repérés : «Matériellement et techniquement, nous ne pouvons pas enclaver 10 millions de m2. Par contre, nous avons placé des poteaux de signalisation tout autour indiquant les zones à risques». Entre-temps, trois gouvernements se partagent les projets de «nettoyage» de cette région et ses alentours. L’Arabie saoudite s’est chargée du déminage de la zone de Jezzine, le gouvernement grec de la région de Nabatiyeh et, enfin, les Émirats arabes unis, un des plus grands donateurs, se taillent la part du lion en se voyant octroyer toute la zone récemment libérée. Sur la base d’un protocole signé avec le gouvernement libanais, les EAU financent à concurrence de 50 millions de dollars un projet de déminage exécuté dans une première phase par une société britannique, Bactec. Cette société, qui est chargée de la première phase de l’exécution, a d’ailleurs bien progressé dans le projet, alors que les Grecs et les saoudiens en sont encore à un stade préliminaire. «Notre mission consiste lors de cette première phase à repérer, à identifier et à neutraliser les engins piégés (Booby Traps – à ne pas confondre avec les mines), tout en assurant une réponse rapide aux demandes d’intervention des citoyens en cas d’urgence. Les engins piégés sont d’autant plus redoutables qu’ils sont facilement confondus – surtout par les enfants – avec des objets usuels tels qu’un jouet, un rocher ou un appareil photographique», explique le directeur marketing de Bactec, Oussama al-Gosaibi. Entamé le 26 novembre dernier, l’intervention de Bactec sur le terrain est d’autant plus complexe que la société britannique s’est lancée dans cette première phase alors qu’elle ne détenait que peu d’informations sur la localisation des mines. «Nous avions commencé avec des informations de première main indiquant que les engins piégés étaient au nombre de 260. Ces indications provenaient du premier lot de cartes remis par les Israéliens à la Finul puis à l’armée libanaise, qui nous fournit régulièrement les données dont elle est en possession» , souligne M. Gosaibi. En décembre 2001, Israël décide de remettre à la Finul huit autres dossiers comprenant de nouvelles cartes, des données qui ne seront publiées par la presse que plusieurs semaines plus tard. «Il fallait tout d’abord s’assurer de l’exactitude des données fournies par l’État hébreu avant d’annoncer l’existence de ces cartes», affirme le général Sawaya. Après vérification sur le terrain par une équipe spécialisée, le responsable de Bactec affirme que les dernières informations livrées par Israël sont relativement exactes. «Il existe toutefois quelques légères déviations qui sont dues aux instruments de calculs qui diffèrent d’un pays à l’autre. Mais dans l’ensemble, les indications sur l’emplacement des mines et des engins piégés sont vérifiées sur le terrain», estime le porte-parole de Bactec. Interrogé à son tour, le général de l’armée corrobore les dires de Gosaibi sur les déviations dues à la différence des instruments. Il précise toutefois que les écarts sont parfois importants et atteignent plusieurs mètres. Sur la base de ces nouvelles informations, le chiffre total des mines enfouies par l’armée israélienne au Liban-Sud a atteint 405 000, soit une augmentation de 85 % par rapport aux premières informations obtenues en mai 2000, faisant état de 77 000 mines seulement. «Quatre-vingt-sept pour cent de ces informations portent sur la zone se situant autour de la zone bleue, affirme le général Georges Sawaya. Cela affecte à peu près 30 villages qui se trouvent tout au long de la frontière». Israël a-t-il remis à l’État libanais toutes les informations qui sont en sa possession ? À cette question, personne n’est habilité à répondre. Le nombre total présumé de mines se trouvant sur le terrain reste jusqu’à ce jour totalement inconnu. D’autant que les parties en présence – l’ALS, les Israéliens et, bien avant eux, les Palestiniens – sont, non seulement nombreuses, mais certaines d’entre elles – Israël en l’occurrence – ne constituent pas des sources fiables. D’autres, tels les Palestiniens, ne détiennent aucune information sur l’emplacement des mines qu’ils avaient implantées il y a plus de trente ans déjà. C’est pour cela d’ailleurs que le BND ne compte pas uniquement sur les données fournies par l’État hébreu, précise son directeur. Les informations dont dispose l’armée libanaise proviennent de sources aussi diversifiées que les citoyens sur place, les milices, ainsi que les données récoltées par la troupe de démineurs relevant du corps de génie de l’armée. Outre la collecte d’informations, ces derniers effectuent une mission de déminage dans les zones qui ne sont pas affectées aux gouvernements donateurs. Ils opèrent conjointement avec des démineurs syriens dans des régions qui avaient anciennement servi comme zones de combat, notamment la Békaa-Ouest. Mais pour l’instant la priorité est donnée à la zone récemment libérée, là où il y a la plus forte concentration de champs de mines. Ainsi, comme nous l’explique Oussama, al-Gosaibi, la stratégie suivie par les gouvernements est de privilégier les zones habitées et les lieux propices au développement de l’infrastructure, la région du Sud étant appelée à se développer rapidement. «Ainsi, une fois la première phase terminée – en mars prochain, le gouvernement des EAU lancera un appel d’offres pour choisir la société qui sera chargée d’exécuter la seconde phase. Celle-ci débutera, à titre symbolique, le 25 mai prochain et consistera à effectuer les opérations de déminage proprement dites (neutralisation des mines et non plus des seuls engins piégés)». Une opération qui devrait normalement se terminer d’ici à deux ans, assurent les experts. À moins de surprises de dernière minute. L’assistance arabe et internationale Ci-dessous la liste des pays qui contribuent aux projets de déminage dans les différentes régions libanaises, notamment au Liban-Sud : - La Grèce (projet de neutralisation des mines à Nabatiyeh). - L’Arabie saoudite (projet de neutralisation des mines à Jezzine). - La Syrie (projet de déminage en collaboration avec les démineurs libanais). - Les Émirats arabes unis (don de 50 millions de dollars pour le déminage de la région libérée du Liban-Sud). - Les États-Unis (fourniture de matériel et donations pour des activités à but humanitaire). - L’Italie (projet de neutralisation des mines en coordination avec le BND et fourniture de matériel). - La France (fourniture de matériel et programme d’entraînement des démineurs libanais). - L’Allemagne (fourniture de matériel). - La Commission européenne (projet de déminage et études statistiques). - La Russie (programme d’entraînement des démineurs libanais). - L’Espagne (programme d’entraînement des démineurs libanais). - L’Ukraine (fourniture de matériel, plus programme d’entraînement des démineurs libanais). - La Norvège (fourniture de matériel). - Le Canada (projet de détecteurs des mines, plus programme d’entraînement des démineurs libanais). - Le Pakistan (projet de neutralisation des mines au Mont-Liban). Trois dollars pour planter une mine et mille autres pour la neutraliser... L’armée israélienne a planté au Liban-Sud et dans la région de la Békaa des centaines de milliers de mines de tous genres qui ont fait de nombreuses victimes parmi la population civile mais également parmi les militaires libanais. Dans un ouvrage collectif consacré aux mines israéliennes au Liban-Sud, Hassan Jouni explique comment les mines antipersonnel constituent «une arme de combat en contradiction totale avec les principes fondamentaux du droit international humanitaire». En effet, explique l’auteur, plusieurs conventions et protocoles interdisent l’utilisation des mines contre les civils, notamment la Convention de Genève de 1980 ou plus récemment celle d’Ottawa de 1997 qui interdit «l’emploi, le stockage, la production et le transfert des mines antipersonnel». L’État hébreu a violé le droit international non seulement en ayant planté les mines, explique Hassan Jouni, mais également en ayant refusé de les retirer avant son retrait. De plus, ayant tergiversé pendant plusieurs mois avant de remettre les cartes indiquant l’emplacement des mines, cette attitude révèle la répugnance d’Israël de régler ce problème au plus tôt, soulignent les observateurs. D’ailleurs il n’est pas dit actuellement que le lot de cartes récemment remis par Israël est le dernier comme le prétend l’État hébreu, et personne ne peut véritablement savoir s’il ne s’agit pas une fois de plus d’un leurre. «Contrairement à tous les autres types d’armes, les mines représentent un danger perpétuel jusqu’à leur explosion. Leur neutralisation est par ailleurs une opération longue et coûteuse. Une mine nécessite 100 fois plus de temps et d’efforts pour être retirée que pour être plantée. Si son installation ne coûte que 3 dollars, il faut par contre 1 000 dollars pour la neutraliser», explique Hassan Jouni. Afin d’éviter ce type de conséquences précisément, le droit international humanitaire a exigé de tout État ayant planté des mines en territoire étranger de les retirer lui-même ou, faute de pouvoir le faire, de collaborer avec les Nations unies en leur remettant les cartes qui indiquent l’emplacement des champs minés. L’article 9 du second protocole afférent à la Convention de La Haye de 1980 stipule que toute information concernant l’existence de mines ou de champs minés doit être communiquée aux gouvernements concernés. Les parties au conflit doivent en outre prendre dès la cessation des hostilités toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils des conséquences des mines. Jeanine JALKH
Quatorze gouvernements donateurs dont l’Union européenne, cinq ONG internationales et une dizaine d’associations locales s’intéressent de près ou de loin au problème des mines qui infestent le Liban-Sud. Des centaines de personnes sont mobilisées depuis plusieurs années, pour essayer de remédier à ce qui est devenu une véritable plaie qui empoisonne la vie des gens et paralyse tout projet de reconstruction et de développement. Malgré les efforts déployés par les différents partenaires sur le terrain pour trouver une solution rapide à ce problème, les victimes continuent de tomber sur les champs de mines. Depuis le retrait de l’armée israélienne en mai 2000 jusqu’au 5 février dernier, le nombre des victimes s’est élevé à 140, dont 22 tués. Ce sont souvent des enfants qui sont «piégés» par les...