Actualités - CHRONOLOGIE
SOCIÉTÉ - « Le chamanisme est la religion la plus pacifique du monde » Prêtre-magicien en Bouriatie
le 19 février 2002 à 00h00
Retrouver une voiture volée, éviter un divorce, recouvrer la santé : le premier réflexe des Bouriates est d’aller consulter un «chaman», ce «prêtre-magicien» des religions primitives, demeuré un personnage de la vie quotidienne dans la république russe de Bouriatie. Envoyés dans les camps à l’époque de Staline, les chamans sont aujourd’hui environ 200 en Bouriatie (est), selon une liste «officielle» établie par la profession pour lutter contre les charlatans, nombreux depuis la chute de l’URSS. Chaman depuis dix ans, Nadejda Stepanova reçoit jusqu’à trente clients par jour. «Le chamanisme va se répandre de plus en plus car c’est la religion la plus pacifique du monde. Il y aura toujours des personnes qui recevront le don du chamanisme puisqu’il vient de la nature et que celle-ci ne s’épuise pas», assure cette Bouriate d’une cinquantaine d’années, fervente admiratrice du dalaï-lama. Le chaman est «un maillon qui relie les esprits des ancêtres à ceux qui vivent aujourd’hui», explique-t-elle. Nadejda invoque dans un état de transe les ancêtres de son client lorsqu’il est Bouriate et les siens lorsqu’il est Russe. «Je leur explique, c’est votre enfant, aidez-le, il souffre», raconte cette ex-professeur de russe qui a abandonné son métier pour devenir chaman. Un métier que l’on ne choisit pas, car «cette vocation est irrésistible», selon elle. Rites spectaculaires Les rites les plus spectaculaires, comme le sacrifice d’un mouton, ont lieu l’été dans des «lieux sacrés» (montagne, arbre) qui sont propres à chaque famille et les rattachent à leurs ancêtres à travers les siècles. Nadejda endosse alors un manteau de cérémonie d’un poids de plus de 20 kilos sur lequel ont été cousus des serpents de soie et des amulettes en métal. Des objets rituels sont accrochés au mur de son salon : bâtons à tête de cheval, tambour, miroir, couronne... L’hiver, «lorsque les esprits de la terre sont endormis», on pratique les rites à domicile avec un liquide clair, vodka ou lait. La plupart des Bouriates ne prendraient pas la route sans jeter quelques gouttes de vodka par la fenêtre pour conjurer le risque d’accident. «Mon père jette aussi quelque gouttes de vodka avant que je ne passe mes examens. Quand je suis malade, je vais chez le médecin mais ma grand-mère va voir le chaman pour moi», confie Nastia, une étudiante de 21 ans. Un Occidental se souvient encore du jour où l’ordinateur de son bureau est tombé en panne pour la énième fois. Sa secrétaire a fait venir le chaman pour qu’il «purifie» la pièce des mauvais esprits. «La dernière fois que je suis allé voir un chaman, c’était en janvier. J’avais fait un mauvais rêve. J’avais l’impression que quelqu’un voulait me nuire», raconte Vladimir Antonov, professeur de sociologie. Au bord du divorce, Slava et sa femme ont eux aussi eu recours au chaman. «Nous devons nous laver tous les jours pendant un mois avec un chiffon imbibé de vodka puis le brûler. On nous a jeté un sort. Nous avons commencé il y a huit jours et ça va déjà mieux», assure ce chauffeur de taxi. Le chamanisme fait bon ménage avec le bouddhisme, la religion des Bouriates qui vont indifféremment consulter un lama (prêtre) ou un chaman, voire avec la médecine officielle. «Il faut reconnaître que les lamas et les chamans assument une fonction de psychothérapeute. C’est positif car nous en manquons. Dans les cas les plus graves, ils nous envoient leur client», se félicite Vitali Grif, psychiatre à Oulan-Oudé. «Je travaille dans ce dispensaire depuis dix-sept ans et je n’ai jamais vu de patient qui soit devenu fou après avoir consulté un chaman. Nous avons actuellement un malade qui entend des voix. Il est convaincu qu’il doit devenir chaman. Dans une autre région, il n’aurait pas pensé au chamanisme mais il aurait souffert du même délire», conclut le médecin russe. L’irrésistible vocation du chaman On ne naît pas chaman, on le devient et sans pouvoir y résister, en Bouriatie, l’un des foyers de cette religion primitive que l’on trouve également en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique ou en Indonésie. Petite fille, Nadejda Stepanova avait déjà des visions. «Je voyais des esprits qui se déplaçaient». Rien de très étonnant lorsqu’on appartient à une famille qui a des chamans dans ses ancêtres, mais de là à le devenir.... «À l’âge de 39 ans, je suis tombée gravement malade. J’avais encore plus de visions qu’avant. Lorsque je voyais un homme, je pouvais voir l’intérieur de son corps, ses organes malades. Je ne pouvais plus prendre le bus. Trop d’organes se plaignaient. Je me suis retrouvée à l’hôpital avec un éclatement du tympan», raconte cette femme d’une cinquantaine d’années, en T-shirt et pantalon de jogging, l’air parfaitement équilibré. «Le médecin n’a pas réussi à me soigner. Mon mari m’a ramenée à la maison et m’a emmenée chez un guérisseur. Celui-ci m’a dit : “Tu dois soigner les gens”. J’avais peur, je ne suis pas médecin», raconte Nadejda. Refusant toujours sa «vocation», elle est allée consulter un autre chaman. «Je voulais rendre ce don. Cela n’était pas possible et j’ai été encore plus malade. Je n’avais plus de force. Je ne pouvais plus marcher. J’ai entendu une voix qui m’a dit : “Si tu ne deviens pas chaman, tu mourras écrasée par une voiture”. Je n’ai plus résisté. Soit je devenais chaman, soit je devenais folle». C’est une expérience similaire qu’a éprouvée Mounré, un père de famille sans histoire, tombé brusquement malade vers l’âge de 40 ans. «Les analyses ne révélaient rien. Il n’avait plus d’appétit. Il était en dépression. Il a commencé à mourir lentement. Le chaman a dit qu’il devait devenir chaman», raconte son cousin, Vladimir Antonov, professeur de sociologie à l’université d’Oulan-Oudé. «Il a étudié pendant un an. Après son rite d’initiation, il a “refleuri”. Il est aujourd’hui le chaman de notre famille», confie le professeur. «La vocation chamanique, à l’instar de n’importe quelle autre vocation religieuse, se manifeste par une crise, par une rupture provisoire de l’équilibre mental du futur chaman», écrivait, en 1951, l’historien des religions, Mircea Eliade, dans son étude sur le chamanisme. Dernier détail, on ne devient pas riche en devenant chaman en Bouriatie, une région pauvre proche du Baïkal qui ne s’est pas remise de la chute de l’URSS. «Nous n’avons pas de tarifs, les clients donnent ce qu’ils veulent», un sac de pommes de terre, quelques roubles ou quelques dollars pour les plus riches, affirme Nadejda Stepanova.
Retrouver une voiture volée, éviter un divorce, recouvrer la santé : le premier réflexe des Bouriates est d’aller consulter un «chaman», ce «prêtre-magicien» des religions primitives, demeuré un personnage de la vie quotidienne dans la république russe de Bouriatie. Envoyés dans les camps à l’époque de Staline, les chamans sont aujourd’hui environ 200 en Bouriatie (est), selon une liste «officielle» établie par la profession pour lutter contre les charlatans, nombreux depuis la chute de l’URSS. Chaman depuis dix ans, Nadejda Stepanova reçoit jusqu’à trente clients par jour. «Le chamanisme va se répandre de plus en plus car c’est la religion la plus pacifique du monde. Il y aura toujours des personnes qui recevront le don du chamanisme puisqu’il vient de la nature et que celle-ci ne s’épuise pas»,...