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REligion - Le vestige le plus ancien de la Nativité remonte au VIe siècle La Vierge et l’Enfant dans l’art syriaque et oriental(PHOTOS)
Par BOUSTANY Hareth, le 17 janvier 2002 à 00h00
Par Hareth BOUSTANY Le domaine de l’Église syriaque, tel que nous l’entendons, indépendamment des différents credos professés par tel groupe ou tel autre, est très vaste. Il s’étend depuis les rivages de la Méditerranée jusqu’aux plateaux de l’Asie centrale et aux contreforts du Dekkan, et des frontières de l’Arménie jusqu’à la presqu’île arabique, englobant tous les chrétiens qui ne sont pas d’obédience byzantine, ayant leur propre organisation et leur langue ethnique. Cependant, l’agglomération la plus compacte, la plus active, où s’est développée une civilisation religieuse, littéraire et artistique de portée mondiale, a rayonné autour des grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate, et de leurs affluents, depuis leur source jusqu’à leur embouchure. L’on comprend bien, dès lors, que l’art syriaque ait reçu, au cours des temps et à travers la succession des peuples et des croyances, des apports qui ont pu influencer le fond initial. Si la littérature préchrétienne nous a laissé de beaux textes de valeur, il n’en est pas de même de l’art. Cela n’implique pas l’absence de toute production artistique. Nous savons déjà que la délégation dépêchée par Abgar, roi d’Edesse, à Jésus, comprenait le peintre Hanan, lequel a brossé un portrait du Christ qu’il a rapporté à son souverain. Et il n’est pas exclu que d’autres artistes vivaient auprès des mécènes ou bien travaillaient pour leur propre compte. Malheureusement, aucune reproduction ne nous est parvenue illustrant une telle activité. Le vestige le plus ancien que nous puissions consulter, en ce qui concerne la Nativité, ne remonte pas au-delà du VIe siècle. De fait, les églises primitives de l’Orient syrien, aujourd’hui en ruines, étaient décorées de scènes en léger bas-relief. Les rares figures que l’on retrouve actuellement sont difficiles à identifier, les traits étant estompés par les intempéries ou martelés par le prosélytisme de l’islam naissant qui interdit toute figuration humaine. Sur un pan de mur sauvé de l’église de Yabroud (Syrie), l’on arrive cependant à reconnaître un enfant emmailloté, sous une étoile à huit branches, la silhouette de deux animaux, l’âne et le bœuf, sous un texte grec relatant la prophétie d’Isaïe : «Le bœuf reconnut son bouvier et l’âne la crèche de son maître»; de même que le nom en lettres capitales grecques. Si le martelage a épargné l’Enfant, ce n’est pas par pur hasard : les prosélytes y auraient reconnu Issa ibn Maryam mentionné dans le Coran, sans pour autant reconnaître sa mère, sinon ils l’auraient entourée de vénération : «Ô Maryam, Dieu t’a choisie, et purifiée; Il t’a élevée au-dessus des femmes du monde…» (Coran, al-Omran, 30 – 39). Influence byzantine À la même époque remonte une sculpture, syrienne également, sur un panneau calcaire provenant de l’église de Salameh et conservé au Musée de Damas. La scène, plus facile à interpréter, fait penser au style des catacombes et des sarcophages. La Vierge, trônant, de face, à côté d’une étoile à huit branches, porte l’Enfant, tandis que trois personnages – les mages – sont rangés de profil, de dimension décroissante, des cadeaux dans les mains ; leurs courtes tuniques et leurs bonnets phrygiens trahissent la main d’un artiste byzantin, et plus précisément grec. Dans les vestiges du monastère de Saint-Siméon le stylite (VIe siècle), on reconnaît une Nativité en léger relief qui témoigne, elle aussi, d’une influence byzantine. Par contre, aucun vestige de fresque ou de mosaïque n’a été répéré dans l’une ou l’autre de ces ruines. La profusion de ce procédé, adopté pour orner les monuments byzantins, religieux et civils, porte à croire cependant que les églises syriennes devaient en être dotées. Pour apprécier la fresque, il faut passer en Égypte, au couvent syriaque de Wadi En-Natrûn, mieux connu sous le nom de Deir es-Suriâni. Le bâtiment en question a été construit au VIIe siècle par les coptes, sur l’emplacement d’un ancien couvent syriaque désaffecté. Il fut repris par des syriaques de Takrit (Mésopotamie), établis à Fostat au début du VIIIe siècle. C’est à cette époque probablement que remontent les fresques, aux couleurs assez bien conservées, de la chapelle de la Vierge. Là, la Nativité se déroule sur la moitié d’une abside. Dans une grotte ouverte à flanc de montagne, Marie s’appuie sur un matelas, sous une mangeoire où repose Jésus emmailloté ; au bas de la grotte, un vieux Joseph à barbe blanche somnole, la tête sur le bras. Tout autour, six anges vaquent à leurs occupations respectives. À gauche, les bergers avec leurs troupeaux accueillent l’annonce céleste avec un naturel vivant et expressif. À droite, trois rois, de trois âges différents, coiffés de couronnes en pointe, offrent de la main gauche une bourse, un coffret et une coupe. Le «Gloria in excelsis…» est écrit en entier en syriaque, de même que «Marie, Mère de Dieu», tandis que le nom de Jospeh est en grec. Tel agencement pourrait être retenu comme modèle cent fois répété dans les miniatures postérieures. Quant aux arts dits mineurs, ils ont eu une prédilection pour les scènes évangéliques, courant depuis l’Annonciation jusqu’à l’Ascension. Mais l’artiste n’ayant à sa disposition qu’un espace exigu a dû se contenter de l’indispensable. On retrouve les éléments de la Nativité – Jésus au berceau entre Marie étendue et Joseph assis, l’annonce aux bergers et l’adoration des mages – sur un bon nombre d’encensoirs en argent du VIe – VIIIe siècle dont l’Église syriaque fait grand usage. L’« Évangéliaire de Rabboula » : précurseur des miniatures syriaques Mais c’est dans le domaine de la miniature que l’artiste syriaque donne toute sa mesure. Les images s’y présentent dans toutes les dimensions et sous toutes les formes, depuis les simples expressions, les vignettes abrégées illustrant les canons, jusqu’aux grands tableaux agrémentant les manuscrits, qui s’échelonnent entre le VIe et le XVe siècle et au-delà. Et c’est toujours au VIe siècle que remonte le plus ancien de tous les livres ornés de peintures, qu’ils soient syriaques, grecs ou latins, et dont l’influence sur l’iconographie byzantine n’est pas à renier. Il s’agit de l’Évangéliaire de Rabboula, reconnu pour être une «œuvre maronite». Dûment daté, il est le seul représentant du siècle ; deux ou trois ouvrages ont été placés par les critiques dans son contexte, mais ils lui sont postérieurs d’un ou deux siècles, sinon plus. Le manuscrit de Rabboula reprend les quatre Évangiles pour la lecture à l’office ; il comprend 292 feuillets d’écriture sur deux colonnes de 20 lignes, dans un parfait état de conservation. La note qui le termine nous apprend qu’il a été «écrit et achevé au monastère de Mar Youhanna de Beit Zagba» et «terminé le 6 du mois de Shbat… l’an 897 d’Alexandre», par le calligraphe Rabboula, avec la collaboration de cinq religieux. Il s’agirait sans doute d’un atelier, qui fut traditionnel, dont Rabboula aurait assumé la direction et la coordination entre les rôles de ses coadjuteurs spécialisés. Quant au monastère de Beit Zagba, aucune trace n’en indique l’emplacement ; et aucune mention ne s’y réfère, de sorte qu’on ne saurait dire, même approximativement, dans quelle région il se trouvait, ni quand et comment il a disparu. D’après quelques indices, il serait à localiser dans l’Antiochène, et précisément dans la région de Cyr, berceau de l’Église maronite. Ce beau manuscrit aurait-il fait partie, dès l’origine, du patrimoine maronite ou bien y fut-il intégré à une date postérieure, impossible à déterminer ? Toujours est-il qu’il en est fait mention comme appartenant au couvent de Maiphuk, le siège patriarcal à partir du début du XIIe siècle, d’où il fut transféré, avec le même siège, à Qannubîn, dans la Vallée Sainte de la Qadisha. Vers la fin du XVe siècle, il aboutit à Florence où il est toujours conservé à la Bibliothèque Laurentienne, sous la cote de «Codex Rabulensis». L’illustration, toute rassemblée au début du livre, comprend quatorze feuillets peints recto verso. Elle a pour but d’orner les canons de concordance, cette sorte de table de matières, ou tableaux dressés en colonnes, en tête des Évangiles indiquant les fêtes, les célébrations liturgiques et les passages à lire à ces occasions. Pour agrémenter de tels tableaux et les mettre en valeur on les a inscrits dans des cadres polychromes avec quelques ornements ; puis on les a surmontés d’arcades soutenues par des colonnettes, selon une stylisation architecturale combinant arcs et frontons. Les espaces libres furent ensuite remplis de dessins, de vignettes à décor floral, ou animé de représentations de personnages individuels ou de scènes bibliques, et ce en concordance avec le canon du jour. Cette facture, caractéristique des premiers manuscrits, devint un thème stable répandu dans tout le domaine syriaque. L’Évangéliaire de Rabboula est le modèle du genre. Ses dessins, frais de couleur, sont d’une technique parfaite. C’est là que nous admirons une Nativité, réduite aux trois personnages de la Sainte Famille, au centre de la marge droite d’un feuillet de canon, entre la dernière colonne et la bordure. Au premier plan, Marie, assise de trois quarts, tend la main droite vers un Enfant couché à hauteur de sa tête. Cet Enfant est emmailloté de bandelettes qui le recouvrent à la façon d’une momie. Un tel procédé est devenu classique ; il s’est perpétué jusqu’à une époque tardive et a transgressé le domaine syriaque ; les bandes se réduisent parfois à deux ou trois, qui se croisent comme pour retenir les langes qui enveloppent complètement l’enfant. Cette méthode sort aussi du cycle de la Nativité et atteint même celui de la Présentation au Temple, comme en témoigne un groupe de pierre, œuvre française du XIVe siècle (musée de Cluny). Chez Rabboula, Jésus est étendu de droite à gauche, les pieds touchant presque le nimbe de Marie, sur un rectangle recouvert d’une sorte de baldaquin à tentures et placé sur une haute estrade rectangulaire. Au-dessus, Joseph en buste se penche avec beaucoup d’intérêt sur le Nouveau-Né. Est-ce intentionnellement que l’artiste l’a ainsi représenté, ou bien, acculé par l’exiguité du champ, n’a-t-il pas trouvé où le mettre ? De toute façon, cette attitude du père putatif de Jésus risque d’être unique dans toutes les productions de l’iconographie natale. Elle ne se répétera pas, ni dans l’art syriaque, ni byzantin, ni occidental, sinon dans quelques rares compositions. Presque partout et toujours, Joseph, s’il n’est pas absent de la scène, est, en bon vieillard, relégué dans un coin, ne s’intéressant d’aucune façon à ce qui se passe autour de lui. Notons cependant une ou deux figures, parmi les exceptions de l’art européen postérieur. Un haut relief provenant du jubé de la cathédrale gothique de Chartres donne à Joseph un linge développé entre les deux mains, comme s’affairant à en couvrir le bébé. Un tableau, attribué au Florentin Francesco Pesellino ou à son école (XVe siècle) le montre ; vieillard ramassé, un genou à terre, en adoration à la tête de l’Enfant-Dieu. Le livre de Rabboula fit école. Mais il semble que les rares ouvrages qui nous sont parvenus, considérés contemporains ou ultérieurs, ont dû ignorer, iconographiquement, la Naissance du Christ. Pour la voir de nouveau indépendamment traitée dans les manuscrits syriaques, il nous faut couvrir un hiatus de cinq ou six siècles.
Par Hareth BOUSTANY Le domaine de l’Église syriaque, tel que nous l’entendons, indépendamment des différents credos professés par tel groupe ou tel autre, est très vaste. Il s’étend depuis les rivages de la Méditerranée jusqu’aux plateaux de l’Asie centrale et aux contreforts du Dekkan, et des frontières de l’Arménie jusqu’à la presqu’île arabique, englobant tous les...
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